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Damette Félix : « Non seulement le Burkina est pauvre mais il s’appauvrit »

Publié le mardi 25 août 2009 à 01h28min

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Damette Félix

Géographe spécialiste en aménagement du territoire et ancien professeur à la Sorbonne, Damette Félix est collaborateur du cabinet DIRASSET G2 Conception en charge de l’étude sur le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT) du Burkina. A l’occasion de la restitution de la 2e phase de l’étude de ce projet sous l’égide du ministère de l’Economie et des Finances, les 30 et 31 juillet 2009, il a bien voulu nous entretenir de son importance et du diagnostic sur le développement de notre pays.

Quelle est l’importance d’un shéma national d’aménagement du territoire (SNAT) ?

L’importance du SNAT peut se définir à 2 niveaux. D’abord, pour tous les pays du monde, quels qu’ils soient, un schéma national, c’est forcément un document important parce que cela fixe des objectifs de développement économique et spatial sur 20 ans. Mais c’est aussi un outil qui sert à l’Etat, aux collectivités, aux acteurs socio-économiques pour avoir une vision à long terme. Et si on veut développer un pays, une vision à long terme est indispensable.

Il y a une deuxième dimension qui est spécifiquement burkinabè. Le Burkina est dans une conjoncture particulière où il a grand besoin d’un document de synthèse qui pose l’ensemble des problèmes du pays et qui propose en même temps des orientations. Ce qui définit la situation du pays renvoie au travail que nous avons accompli dans la première phase qui a porté sur le diagnostic, qui peut se résumer de la façon suivante : le mode de développement du pays n’est pas durable ; la croissance démographique est telle qu’il n’arrive pas à décoller pour avoir un véritable développement de l’économie.

Non seulement le pays est parmi les plus pauvres du monde, mais aussi il s’appauvrit. Le revenu par habitant diminue en campagne et en ville. Plus grave que la pauvreté, il y a un processus d’appauvrissement auquel vient s’ajouter celui de la dégradation inquiétante des données naturelles, en particulier des sols, la presque seule richesse du pays, en destruction permanente. Le Burkina va donc vers une situation extrêmement grave s’il continue dans cette lancée. Au regard de ce qui précède, la conclusion du diagnostic a vivement recommandé un changement de trajectoire pour orienter le pays vers une autre direction.

C’est précisément l’objectif de cette deuxième phase qui vise à expliquer en quoi consiste le changement de trajectoire, c’est-à-dire ce qu’il faut faire. Dans ce pays, il y a mille projets qui se développent dans tous les sens, depuis des décennies, sans que cela ne puisse apporter des améliorations sensibles. Et nous disons que le système lui-même, c’est-à-dire la façon dont les autorités nationales s’articulent avec les bailleurs de fonds, est inefficace. Parce que tout financement demande des bailleurs de fonds. Or nous sommes tout à fait dans un système purement pernicieux, dans la mesure où ce sont les bailleurs qui décident, surtout dans le court terme et dans le désordre.

Chaque bailleur a sa politique. Il fait des projets sur 5 ans et refuse d’accepter les propositions nationales. Le résultat de tout cela, c’est qu’il n’y a aucune cohérence ni un quelconque suivi. Et par-dessus le marché, les bailleurs de fonds veulent se cantonner à ce qu’ils appellent de l’investissement (la construction de routes), autrement dit, l’investissement matériel, alors que le grand problème du pays, c’est l’investissement immatériel, c’est la santé et l’enseignement. C’est ceux-là qui ont besoin de sommes bien plus importantes que celles qui sont en jeu aujourd’hui. Actuellement, le pays n’a pas les moyens de financer son système éducatif. Il se fixe des objectifs qui ne peuvent pas être atteints réellement.

Il en est de même pour la santé. Nous disons donc qu’il faut, au fond, un changement profond dans l’orientation, qui doit passer nécessairement par l’élaboration d’un document qui est absolument à la base de tout. C’est la définition du projet national dont l’élaboration relevait avant du Plan. Aujourd’hui il n’y a plus de Plan et il n’y a rien qui l’a remplacé. On l’a remplacé par un projet qui n’est pas du tout à la hauteur des besoins, notamment le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), qui n’est pas un projet de développement mais simplement un projet qui consiste à donner satisfaction aux organismes internationaux pour obtenir des crédits PPTE (Pays pauvres très endettés).

L’enjeu du SNAT est considérable. C’est de commencer à construire un projet national permettant à l’Etat burkinabè de modifier son rapport avec les bailleurs de fonds. Actuellement, l’Etat burkinabè est en position de quémandeur face aux bailleurs de fonds. Il faut inverser le mécanisme, de sorte que ce soit l’Etat qui définisse son projet, le coût, et qui invite le bailleur à s’y inscrire. C’est cela le SNAT, dont l’objectif est d’avoir un projet qui reprend les grands problèmes du pays, les met non seulement en ordre d’importance hiérarchique, mais aussi détermine le coût et le financement que l’Etat attend des bailleurs de fonds.

Mais nous avions eu un ministère de l’Economie et du Plan. Est-ce à dire que dans votre étude vous n’avez pas trouvé de plan ?

• Il n’y a pas de plan. Cela n’existe plus depuis longtemps. Quand on a abandonné le plan, ici comme ailleurs, on a de plus en plus perdu de vue la vision globale du développement. Et aujourd’hui, ce qui manque terriblement dans ce pays, c’est cette vision d’ensemble de développement, qui ne soit ni théorique ni une accumulation de souhaits mais une vision réaliste, faisable et bancable. Ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici.

Il ne faut pas faire de projet pour chercher un bailleur de fonds, mais un projet national d’ensemble où les problèmes clés sont déterminés et hiérarchisés, et surtout en mettant en relief ceux sur lesquels on ne peut pas transiger. Permettez-moi de revenir sur le diagnostic de départ. Lorsqu’on dit que le développement de ce pays n’est pas durable, c’est grave ! Cela signifie que quand on a une croissance démographique à 3% par an, on ne peut rien faire si ce n’est juste accueillir la nouvelle population. Mais là aussi, on le fait de plus en plus mal. Il n’y a ni les conditions ni les équipements scolaires et sanitaires nécessaires.

Autrement dit, il faudrait donc un changement de trajectoire. La première étape de cette recommandation, c’est de changer la posture de l’Etat face aux bailleurs. Cela suppose qu’il sache exactement ce qu’il veut et qu’il puisse offrir aux bailleurs de fonds la garantie que son discours est sérieux. Sinon on retombera sous les conditionnalités. Or il s’agit de rompre avec cette pratique pour adopter un système de programmation sur le long terme concerté avec les bailleurs de fonds sur la base du projet national de l’Etat burkinabè. C’est pourquoi on dit que le SNAT est important et pour le Burkina, il l’est encore plus.

Pouvez-vous nous parler un peu du contenu du document de la deuxième phase du SNAT ?

• Le contenu de ce document nous renvoie à la nécessaire hiérarchisation des problèmes du pays que j’ai tantôt évoquée. Il y a 3 questions fondamentales dans ce pays. C’est seulement quand on les aura réglées qu’on pourra commencer à parler de développement : il s’agit de problème de population, d’alimentation et d’éducation. Il faut une politique de population qui permette de réguler la fécondité. Ce n’est pas une simple question de technique, mais bien plus que cela, c’est un problème de société, de rôle et de place des femmes dans la société.

C’est pourquoi le premier thème que nous abordons concerne les femmes. Le deuxième problème est l’alimentation parce que ce pays est sous-alimenté et c’est 45% des ruraux qui sont touchés par ce fléau. C’est scandaleux et insupportable ! C’est d’autant moins supportable que ce pays peut produire bien plus que ce qu’il produit. On peut doubler les rendements vivriers et développer une grande production rizicole dans les bas-fonds pour des investissements qui n’ont rien de considérable. Mais encore faut-il qu’il y ait des décisions, une volonté politique, une programmation et que l’on sache exactement ce que l’on veut faire ! Le problème alimentaire du Burkina n’a rien d’insoluble.

On pourrait même rapidement améliorer la situation. Le troisième problème, c’est l’éducation. Le système éducatif actuel fonctionne en trompe-l’œil, parce qu’on met en avant l’accroissement des taux de scolarisation, qui ne correspondent pas à la réalité de l’enseignement. On bourre des classes jusqu’à 100 gosses dans une seule classe avec des enseignants qui sont à peine formés. Ça, ce n’est pas de l’enseignement ! Et quand on avance des chiffres de 70 à 75% de taux de scolarisation, cela n’a plus grand sens. Il faut plutôt avoir des enseignants formés en nombre suffisant. C’est déjà un problème de première taille parce que l’Etat burkinabè n’en aura pas les moyens.

A ce niveau, on a effectivement besoin d’un financement extérieur. Mais il faut le cadrer, le négocier, il faut pouvoir chiffrer exactement et garantir que l’enseignement qu’on va dispenser sera de qualité. La balle est dans le camp de l’Etat et pour qu’il obtienne plus d’argent, il lui faudra démontrer qu’il sait ce qu’il veut faire et que l’argent sera utilisé à bon escient. En résumé, ce qui caractérise aujourd’hui la population du Burkina, c’est sa croissance démographique excessive et impossible à gérer, la sous-alimentation et l’analphabétisme de sa population. C’est seulement quand on aura résolu ces trois problèmes-là qu’on pourra commencer à parler de développement. Sinon nous ne sommes pas encore au développement mais à la création de conditions préalables au développement. C’est précisément cet objectif que vise le SNAT.

A vous écouter, le Burkina n’est même pas un pays en voie de développement !

• Laissez-moi vous donner quelques chiffres pour vous montrer à quel niveau est le Burkina. Je ne vais pas vous dire qu’il est 173e sur l’Indice du développement humain (IDM), ça c’est connu. Pour développer un pays, il faut des investissements.

A l’échelle mondiale en 2006, la moyenne de l’investissement par habitant était de 1030 dollars. Et Au Burkina, le montant de l’investissement disponible par habitant est de 50 dollars. Le pays n’a pas de moyens et les seuls qu’il a ne sont pas utilisés de la façon la plus efficace. Il faut être réaliste et accepter que ce pays s’appauvrit. La lutte contre la pauvreté, qu’est-ce que cela veut dire ! Il y a de plus en plus de pauvres. Dans les grandes villes comme dans les campagnes, la pauvreté s’accentue. C’est pourquoi nous disons qu’il y a un changement important à opérer et qu’il faut que l’Etat modifie la façon dont il s’articule avec les bailleurs de fonds. Mais c’est l’Etat qui doit commencer le processus.

Quel traitement avez-vous réservé au cas particulier de la culture du coton ?

• Nous reconnaissons que la culture du coton joue un rôle important dans le développement du pays, mais il a des effets territoriaux contradictoires parce que, d’un côté, les zones cotonnières sont moins pauvres que les autres. Donc on ne peut pas le négliger cette culture et qu’elle a un rôle d’impulsion sur d’autres productions agricoles, y compris les cultures vivrières.

L’or blanc a donc des effets bénéfiques mais on ne peut pas nier qu’il a également un effet destructeur sur les sols. Le coton, qui n’est pas valorisé au Burkina, reste soumis aux aléas des prix du marché mondial. Le prix qui est payé aux producteurs agricoles est trop faible. Il faut donc modifier sérieusement la culture du coton en réduisant les superficies, en augmentant les rendements et en améliorant le fonctionnement et travailler à retrouver l’industrie cotonnière qu’on a perdue. Mais cela ne peut se faire que dans le cadre de l’UEMOA qui doit, elle aussi, jouer un rôle bien plus important que celui que nous connaissons.

Quelle appréciation faites-vous de certaines infrastructures érigées dans nos villes et dont les habitants doutent souvent de l’utilité ?

• Dans nos rapports sur Ouagadougou, nous avons mis à nu un certain nombre de faiblesses considérables qui tiennent à des carences d’infrastructures, au gâchis foncier et aux insuffisances de la gouvernance. La ville de Ouagadougou est aujourd’hui confrontée à des problèmes très difficiles et ne remplit pas le rôle qu’elle devait occuper. Elle devait être plus importante que ce qu’on voit mais il y a de grandes faiblesses qui ne sont pas prises en compte actuellement.
Lesquels par exemple ?

Nous en avons énuméré beaucoup. On a parlé d’une tragédie de gâchis foncier, notamment la distribution de 150 km2 de terrain dans des conditions anormales. Aujourd’hui, la ville est complètement bloquée par une ceinture de lotissements en passe de devenir un foyer de spéculation et qui va mettre la ville dans une situation extrêmement difficile aux plans social et économique. En même temps, les gros atouts de Ouaga ne sont pas utilisés. Par exemple, cette ville n’a même pas de plate-forme logistique alors qu’à Bobo-Dioulasso il y en a deux. Il y a toute une série d’insuffisances graves accumulées dans différents domaines. Cela ne signifie pas que Ouagadougou n’a pas d’avenir. Seulement, comme je le disais tantôt, elle a un rôle de premier plan à jouer dans le développement du pays. Mais il se trouve qu’actuellement la ville n’est pas équipée pour cette mission parce qu’elle est handicapée par toute une série d’insuffisances qui l’en empêchent. Nous envisageons l’avenir de la ville, c’est dans une perspective de 3 millions d’habitants, or elle n’est pas partie pour accueillir correctement une telle population dans 20 ans.

Comment avez-vous apprécié les conditions de vie et d’habitation des populations dans les villes du Burkina ?

• Nous en avons parlé avec les responsables de l’urbanisme et avons posé le problème de logement social. Nous avons fait remarquer que cette ville était en transition et qu’on était en train de passer d’un système de distribution de terrains publics, une ancienne pratique, à une économie qui sera, de plus en plus, une économie de marché, un marché foncier avec tout ce que cela comporte comme spéculation.

Il y aura forcément une frange importante de la population qui ne pourra pas accéder au marché. Il faut donc traiter ce problème. Nous avons fait des propositions qui consistent à mettre en place des formules qui ne soient pas simplement des méthodes d’attribution de parcelles gratuites, mais qu’elles soient des formules d’attribution de parcelles sociales avec ce que cela implique comme taille, comme densité, comme nouveaux équipements. Nous avons préconisé que ces terrains soient attribués avec un système de financement abordable pour les plus pauvres, c’est-à-dire dans des conditions très modérées. Si l’on veut que ces parcelles soient à forte densité d’occupation, il faut qu’elles soient localisées à une distance raisonnable mais pas en grande périphérie. En tout cas, pas à 10 ou 15 km du centre-ville. A 10 ou 15 kilomètres du centre-ville, c’est acceptable pour les grands terrains.

Quelle suite va-t-on donner à votre étude ?

• Nous achevons la phase II qui est celle des propositions. On devrait logiquement passer à la phase III qui est l’étape de mise en forme exacte du projet. C’est une phase qui est plus compliquée à mener parce qu’il faudra le faire en concertation avec les ministères concernés. Ce n’est pas l’Aménagement du territoire tout seul qui va faire les projets de santé, d’éducation et autres. L’Aménagement du territoire va s’adresser aux différents ministères et leur proposer de coopérer pour élaborer ensemble un projet prioritaire qui sera aussi une contribution importante à ce que j’ai appelé tantôt le projet national de développement

Entretien réalisé par Hamidou Ouédraogo et Jean-Marie Toé (collaborateur)

L’Observateur Paalga

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