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Décorations du 11-décembre : Les écarts du Grand chancelier

Publié le mercredi 31 janvier 2007 à 07h50min

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Dans sa livraison n°3795 du 25 janvier 2007, le quotidien "Le Pays" a publié une interview du colonel Mamadou Djerma, Grand Chancelier des Ordres burkinabè.

S’il faut, en toute honnêteté, reconnaître le bon réflexe professionnel que le journal a eu en approchant cette personnalité de la République à un moment où son institution essuie des salves de canon de toutes parts, il faut aussi avoir le courage de relever les écarts de langage de l’interviewé.

Ce, d’autant que la foule d’informations intéressantes qu’il a données concernant son institution ont été ternies voire éclipsées par ses propos dignes de l’Etat d’exception, des faucons des partis politiques ou de ce monsieur tout le monde qui, parce qu’il n’assume aucune responsabilité administrative ou politique, peut s’en payer le droit.

"Des gens se plaignent parce qu’ils n’ont pas été proposés. S’ils étaient proposés, ils ne se seraient pas du tout plaints. Ce ne sont que des égoïstes et des aigris". C’est exactement ce qu’il a confié au "Pays" en répondant à la remarque selon laquelle certains citoyens estiment que "la plupart des décorations que vous donnez ne sont pas méritées, et que tout cela contribue à dévaloriser les médailles et, partant, votre institution".

Si le Burkina Faso n’était composé que de Mossé et de Sana (Samos en langue san), nous en aurions ri en nous disant que le San qu’il est a dû, bien qu’a priori musulman, abuser du "gnontoro", ce breuvage alcoolisé des Sana, dont beaucoup de personnes disent du bien. Si, d’un autre côté, il n’y avait que des Sana et des Bissa sur cette terre des hommes intègres, les seconds lui auraient pardonné grâce à la parenté biologique et sociale qui les lie.

Enfin, si nous ne vivions pas sous un Etat de droit démocratique et libéral (ce qui implique qu’il est du droit et du devoir des citoyens d’observer une attitude de veille vis-à-vis des faits, gestes et propos de leurs dirigeants), nous l’aurions bouclé, car dans un Etat d’exception (militaire, de gauche ou de droite), il n’y a point de place pour les libertés d’opinion, d’expression et de presse. Mais voilà, notre pays compte une soixantaine de groupes ethniques et a (re)expérimenté depuis 1991 l’Etat de droit dans son acception contemporaine.

Proposé, décoré mais râleur quand même

Tant et si bien que le San qu’il est, le colonel (à la retraite) qu’il est et le Grand Chancelier qu’il est n’a aucune chance d’échapper à la critique. Proposé à la décoration, nous l’avons été en 2000 ; décoré effectivement en 2000, nous l’avons été. Pour autant, nous sommes et demeurons râleur pour les raisons ci-après :

bien que nous ayons été et soyons content d’avoir été décoré, nous devons reconnaître qu’en 2000, nous avons côtoyé des gens qui se sont défoncés plus que nous ; nous avons également travaillé avec des personnes qui étaient plus méritantes que nous ; parce que, peut-être, nous étions à un poste de responsabilités (et donc plus visible), parce que, peut-être, nous avions des relations privilégiées avec tel ou tel décideur ou peut-être qu’une fois en passant nous avons posé un acte décisif mais isolé, nous nous sommes vu décoré ;

les critères dont parle le Grand Chancelier sont un pas en avant par rapport à l’Etat d’exception, mais ces critères méritent d’être revus, car nous savons que le fait pour un directeur, un directeur général, d’un secrétaire général, un ministre ou un président d’institution de passer un certain nombre d’années à son poste lui donne automatiquement droit à une décoration. Alors, question : la longévité à un poste de responsabilités signifie-t-elle qu’on est méritant ?

L’automaticité de la décoration conduit à penser que oui. Or, il est de notoriété publique que certaines personnalités occupent des postes de responsabilités depuis cinq, dix ans (voire plus) non pas parce qu’elles sont particulièrement brillantes dans leur domaine de compétence, mais parce qu’elles ont un parrain puissant dans la sphère politique, économique ou religieuse.

Si ce n’est pas le Grand Chancelier qui propose et si ce sont "les Conseils des Ordres qui se réunissent pour examiner chaque proposition", alors pourquoi le colonel Mamadou Djerma ne laisse-t-il pas aux présidents d’institution, aux gouverneurs et aux ministres le soin de traiter les critiques d’égoïstes et d’aigris ? Il achète ainsi et de façon maladroite une bagarre qui n’est pas la sienne.

Quelle que soit la critique, elle est toujours positive !

Il est courant d’entendre des gens, à l’instar du Grand Chancelier, dire qu’ils sont "sensibles aux critiques... objectives et constructives, mais pas à celles qui ne reposent sur aucun fondement". En réalité, ce genre de discours est une façon consciente ou inconsciente de rejeter toute critique. Car, les définitions que l’on en donne généralement sont floues ou se ramènent à la manière dont celui qui fait l’objet de la critique voudrait qu’on l’apprécie. Dans ce cas, la critique perd un peu de sa pertinence, car, à moins d’être un masochiste parfait, nul n’est d’emblée prédisposé à ce que l’on malmène son égo.

Pour nous, même les critiques qui ont pour fondement la volonté délibérée de nuire inutilement ont leur place dans l’univers démocratique en ce sens qu’elles ont l’avantage de révéler ce que notre prochain pense de nous et de nos actions ; pour nous, cela est encore plus juste si nous détenons une parcelle de pouvoir ou d’autorité, car ces critiques font partie des droits de ceux-là au nom desquels nous parlons et agissons. Et si ce dont la "victime" des critiques est accusé est faux, cela se sait ou finit par se savoir ; sans oublier que l’opinion publique est douée de bon sens, une faculté qui lui permet de se faire son idée à elle des critiques.

En définitive, ce San, dont l’âge et les accointances avec les Mossé devraient faire de lui un sage comme son défunt frère Sangoulé Lamizana, gagnerait à s’inspirer de l’attitude du Moaga qui l’a mis là : avoir les oreilles suffisamment ouvertes à l’endroit de ses contradicteurs, mais tenir des propos pertinemment tempérés pour que ses efforts de séduction de l’opinion publique ne soient pas vains.

Zoodnoma Kafando

L’Observateur

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