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S.E.M. Gérard Simon : "Le tourisme peut jouer un rôle central dans la réduction de la pauvreté"

Publié le vendredi 15 septembre 2006 à 06h33min

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Gérard Simon, ancien ambassadeur de France au Burkina

En dépit des sérieux handicaps auxquels ils sont confrontés, les Pays du Sahel disposent de potentialités réelles en matière de développement du secteur économique du tourisme : le cas du Burkina-Faso est tout à fait caractéristique à cet égard. C’est le point de vue de M. Gérard Simon, ancien ambassadeur de France au Burkina.

A ) - Quels sont ses handicaps et ses potentialités ? :

a ) - Ces handicaps, bien déterminés, sont :

a-1 : Les coûts exorbitants et les aléas du transport aérien vers ces destinations non concurrentielles.

a-2 : Les contraintes climatiques limitant les périodes propices.

a-3 : L’insuffisance notoire des infrastructures d’accueil adaptées et décentralisées dans les zones adéquates, hors la capitale, Ouagadougou,

a-4 : Le faible impact des politiques de promotion développées jusqu’ici auprès des médias étrangers.

a-5 : Le caractère négatif des images véhiculées par l’Afrique, en général, auprès des opinions publiques occidentales.

b ) - Cependant, des facteurs positifs pourraient se révéler attractifs en motivants s’ils étaient mieux mis en valeur :

b-1 : Le principal de ces facteurs potentiels découle, en quelque sorte, du confinement dans lequel le Burkina-Faso a été tenu, depuis son Indépendance, au plan du développement touristique, en raison même de ses handicaps. Il en résulte que l’authenticité de ses valeurs culturelles, artistiques et de ses traditions ancestrales a été entièrement préservée de toutes les pollutions traumatisantes habituellement générées par les flux touristiques conséquents. De sorte que les voyageurs occidentaux, pour peu qu’ils se montrent motivés et respectueux dans leur approche, sont encore à même d’enrichir leur propre héritage spirituel en puisant aux sources surnaturelles du religieux, de l’animisme, du fétichisme, des arts, usages et coutumes des populations du Burkina-Faso.

b-2 : Le second élément, corrélatif du premier, tient au sens inné de l’accueil, de l’hospitalité, de la communication spontanée dont font preuve, avec leur gentillesse coutumière, les populations du Burkina-Faso à l’égard de l’étranger.

b-3 : La Qualité de certains paysages du Burkina-Faso, les particularités de sa flore et de sa faune sont également des éléments touristiques attractifs susceptibles d’être mieux mis en valeur qu’ils ne l’ont été jusqu’ici.

b-4 : Ce projet de développement touristique s’inscrit parfaitement dans le contexte de la politique vigoureuse de promotion des arts et de la culture du Pays, déjà engagée par l’Etat Burkinabé avec notamment les évènements de portée internationale que sont le SIAO et le FESPACO

b-5 : La qualité générale et le niveau des infrastructures routières, les moyens modernes de télécommunication, la stabilité politique reconnue du pays, la sécurité qui y règne, sont des critères positifs propres à inciter les agences de voyage occidentales à soutenir la promotion de l’image du Burkina-Faso.

B ) Dans un tel contexte quelle politique de tourisme privilégier ?

B-1 : Le type de tourisme à privilégier devrait donc être à fortes connotations et vocations culturelles. De ce fait, sa promotion serait placée sous des thèmes bien spécifiques à cet égard, tels que : ‘’ La Culture des peuples du Niger ‘’, ‘’ Arts, coutumes et traditions des Pays du Sahel ‘’.

B-2 : Il en résulte que ce tourisme ne devrait, en aucun cas, avoir des objectifs quantitatifs. Mais il devrait, bien au contraire, se calibrer sur des flux, séquentiels, de petits groupes de 15 à 20 personnes, accompagnés par des guides de hauts niveaux de compétences en ethnographie, sociologie, anthropologie et culturel. Ces accompagnateurs devraient établir et entretenir des liens de confiance avec les populations afin que celles-ci se montrent aussi accessibles et communicatives que possible. Le choix, la formation et la gestion de ces guides seraient donc déterminants.

B-3 : Dans cet esprit, le tourisme devrait aussi être itinérant afin d’appréhender, tout au long des circuits, la variété, le particularisme des profils humains et les fondements des us et coutumes régionaux. Ainsi, le projet aurait pour ambition de faire découvrir la richesse ethnographique et la diversité culturelle des peuples du Sahel vivants dans des sites et environnements variés.

B-4 : De ce fait, la capitale, Ouagadougou, ne serait qu’un point d’ancrage stratégique. L’essentiel de la logistique serait alors décentralisé dans des sites provinciaux qui, pour une bonne part, devraient être édifiés selon des données techniques simples mais strictes.

B-5 : En raison de sa dimension culturelle dominante, ce tourisme s’adresserait, plus particulièrement, à des voyageurs occidentaux motivés à la fois par une quête spirituelle et culturelle ainsi que par la recherche d’horizons nouveaux et insolites. Cette clientèle, désireuse de découvrir d’autres intérêts que ceux offerts par les sempiternelles destinations de voyage à la mode dont les attraits se sont usés et affadis avec le temps, serait donc restreinte. Mais elle concernerait, en majorité, des cadres et décideurs susceptibles d’assumer des frais de participation d’un certain niveau. En contrepartie, il serait indispensable de veiller à l’excellence de l’intérêt et de la qualité des informations et commentaires qui lui seraient dispensés ainsi qu’au degré de confort offert par les hébergements.

C ) Quels seraient alors les rôles respectifs des pouvoirs publics et des intérêts privés dans la mise en oeuvre de cette politique ?

Les expériences passées ont montré les limites des politiques touristiques entièrement placées sous l’égide directif et castrateur des Pouvoirs Publics. Il n’en demeure pas moins que l’Etat devrait tenir un rôle fondamental s’agissant d’un projet d’envergure Nationale. En fait, il s’agirait d’établir un partenariat fructueux entre les services publics et les investisseurs privés.

a : Rôle de l’Etat :

a-1 : L’Etat devrait contribuer, en liaison avec les intérêts privés ( Agences de voyages, compagnies aériennes, hôteliers etc...) à la promotion extérieure, aussi bien qu’intérieure, de la politique touristique du Pays.

a-2 : L’Etat devrait exercer un certain poids politique auprès des compagnies aériennes afin de négocier les meilleures conditions tarifaires.
a-3 : L’Etat exercerait son contrôle sur la sélection, la formation, la gestion des guides accompagnateurs.

L’ Université de Ouagadougou forme suffisamment de jeunes diplômés dans les disciplines adéquates, parmi lesquels le recrutement et la formation, ne devraient pas poser de problèmes.

a-4 : L’Etat définirait et contrôlerait les normes techniques du cahier des charges auxquelles devraient se conformer les investisseurs privés pour la réalisation des hébergements et la logistique des circuits. Les types de constructions de ces infrastructures seraient simples et s’inspireraient de l’architecture locale traditionnelle.

En fait, il suffirait de ‘’ paillotes ‘’, de structures améliorées, réalisées sur le modèle des campements de chasse. La qualité des éléments de détente, après des journées de visite des sites quelque peu éprouvantes, devrait, toutefois, être de bons niveaux : climatiseurs split système, piscine, téléphone etc... De même que l’Etat devrait imposer aux tours-opérateurs les normes de mises en circuit de petits cars climatisés, confortables et fiables.

a-5 : En contrepartie du respect de ce cahier des charges, l’Etat pourrait inciter les investisseurs à la mobilisation des capitaux nécessaires par des mesures fiscales appropriées basées sur la durée des amortissements ou les seuils de leurs rentabilités.

b ) Obligations des investisseurs privés.

b-1 : La réalisation des infrastructures d’hébergements, permettant le développement d’un tourisme provincial et itinérant serait donc essentiellement le fait de capitaux privés dans le cadre des normes définies par l’Etat en matière de qualité du confort et de l’hygiène sous tous ses aspects. Il en serait de même pour la logistique des transports.

b-2 : En revanche, les programmes et circuits seraient élaborés, d’un commun accord, entre les Pouvoirs Publics, responsables de la politique nationale du tourisme et les investisseurs privés. Les Chambres de Commerce devraient être associées à ce travail. Les promoteurs privés auraient également pour tâche de veiller à l’animation culturelle lors des séjours des groupes dans leurs établissements, en particulier pour les soirées.

D ) Quels sont les avantages de ce projet ?

d-1 ) Pour sa réalisation le recours aux deniers publics serait limité.

d-2 ) Son développement pourrait être progressif et flexible dans le temps. Toutefois la réalisation d’au moins trois infrastructures provinciales serait nécessaire au départ.

d-3 ) Sous son impact, le Burkina-Faso, dans son ensemble, s’ouvrirait à la politique nationale du tourisme avec des retombées économiques appréciables et visibles au niveau des populations des régions.

d-4 ) L’image du Pays en serait valorisée. En effet, de retour chez eux, les touristes occidentaux, relevant, à priori, de classes sociales privilégiées, véhiculeraient des commentaires positifs sur les qualités humaines des populations et les potentialités économiques.

d-5 ) Ces infrastructures régionales pourraient, également, permettre le développement d’un tourisme interne au Pays qui est encore à l’état embryonnaire.

E ) Ce projet pourrait s’adapter, dans le temps, à un niveau inter-Etat des Pays du Sahel

En procédant du même concept et des mêmes thèmes, les circuits pourraient être élargis en reliant progressivement les Pays du Sahel au fur et à mesure de la réalisation des infrastructures. Du Mali à Niamey, en passant par le Burkina-Faso, les diversités des sites et les particularismes des cultures des populations sont considérables.

Une politique du tourisme inter-Etats, facilitée par des visas uniques et une même monnaie permettrait d’accroître le potentiel et l’importance des retombées économiques de ce type de tourisme tout en valorisant l’ensemble de la zone Sahélienne.

F ) Création d’un Centre de documentation, d’études et de recherches des caractères ethnographiques, sociaux et anthropologiques du Burkina-Faso.

La formation des guides de haut niveau de compétences, assumant un rôle déterminant en matière de vecteurs des connaissances et de clés sur l’ouverture à la spiritualité des divers groupes de populations, nécessiterait la création d’un centre de documentation, d’études et de recherches au sein de la faculté des lettres de l’Université.

Il y a lieu de préciser que ces guides ( Niveau bac + 4 et connaissance de langues étrangères ) exerceraient en même temps et en particulier hors des saisons touristiques, les fonctions de ‘’ chercheurs ‘’ et de ‘’ documentalistes ‘’ auprès de ce ‘’ Centre d’Etudes et de Recherches en Sciences Humaines ‘’ à créer.

G ) Création d’un Diplôme d’Etat spécifique de guide.

Il appartiendrait à la puissance publique de définir le cursus des études, le degré des connaissances et compétences nécessaires à l’obtention d’un diplôme d’état permettant aux guides, formés à l’accompagnement dans ce contexte spécifiquement culturel, d’exercer une profession qui serait exclusive.

H ) Les concepts de cette politique.

Le concept fondamental de ce tourisme, à connotation culturelle et spirituelle, repose sur l’alternance et la coïncidence du sacré et du profane tout au long de son parcours. En pénétrant les constructions des mythes cosmogoniques et cosmologiques, en s’initiant au fétichisme et à la conception magique du monde, en s’approchant des lieux sacrés et des accomplissements rituels d’initiation, en découvrant toute la symbolique du culte des ancêtres, le touriste occidental pénètrera dans le ‘’ Paradigme du sacré ‘’ et s’imprègnera de la révélation d’une ‘’ Doctrine de l’âme ‘’ qui lui était jusqu’alors quelque peu étrangère.

Sa démarche vers ce puissant surnaturel sera certainement propice au ressourcement de ses propres valeurs morales fortement estompées par les dérives matérialistes de son quotidien habituel. En découvrant toutes les dimensions de cet humanisme africain à travers son pluralisme culturel et religieux, le touriste venu du Nord, prendra la mesure de l’homme dans toutes ses dimensions et ce sera donc le puissant motif de son voyage à un moment ou nous constatons que des aspirations vers un ressourcement de la spiritualité en Europe dont les hauts lieux historiques sont de plus en plus fréquentés.

I ) Impacts économiques de ce projet.

Il y a lieu de souligner que ce projet est formulé au moment même ou la CNUCED lance une initiative destinée à aider les pays en développement à utiliser au mieux leur potentiel touristique considérant que le tourisme pourrait jouer un rôle central dans la stratégie de réduction de la pauvreté.

Conclusion :

Le Développement d’un tourisme responsable au Burkina Faso illustre toute la place que la culture pourrait prendre comme facteur de développement économique.
De telles perspectives permettraient, aussi, de valoriser l’image du Pays et de ses populations sur la scène internationale.
Les moyens à mettre en œuvre pour l’accomplissement de cette politique par l’état Burkinabé seraient modestes par rapport aux enjeux susceptibles d’en être attendus.

Gérard Simon
Ancien Ambassadeur de France

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