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Me Antoinette Ouédraogo : “Les conditions d’exercice des avocats sont devenues précaires”

Publié le vendredi 30 juin 2006 à 08h24min

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Me Antoinette Ouédraogo

Première femme avocate du Burkina, Maître Antoinette Ouédraogo est originaire de la province du Zondoma. A 49 ans, cette mère de famille vient d’être élue bâtonnière de l’ordre des avocats. Première femme à occuper ce poste, elle revient sur les difficultés rencontrées par le barreau et sur ses projets pour les trois ans à venir à la tête du bâtonnat burkinabè.

Sidwaya (S.) : Qui est Maître Antoinette Ouedraogo ?

Maître Antoinette Ouédraogo (Me A. O.) : Je suis née dans un village de la province du Zondoma il y a 49 ans. Je suis mère d’un enfant. Je suis membre du barreau depuis mon stage en 1982. J’ai été titularisée en 1984. Je travaille actuellement dans mon cabinet avec deux collaboratrices.

S. : Quelles sont à l’heure actuelle les priorités du barreau burkinabè ?

Me A. O. : On a beaucoup de priorités parce que ça ne va pas dans la profession. Du fait de la situation économique du pays, le contentieux (les dossiers) a beaucoup diminué et le nombre des avocats n’a fait que croître. Présentement la plupart des avocats font plus du social que du contentieux lucratif. Ils ne s’en sortent pas. Les gens pensent que l’avocat est un homme riche, influent qui parle bien.

Malheureusement ce n’est pas toujours le cas, ce ne sont que les apparences. Nos conditions d’exercice sont devenues extrêmement précaires sur tous les plans. Même si en priorité je parle des dossiers, nous n’avons pas de couverture sociale, ni de retraite. Nous sommes exposés à beaucoup de risques. Il y a des avocats qui ont eu des accidents très graves en allant dans les provinces pour défendre des dossiers, quelquefois gratuitement. Nos rapports avec le personnel judiciaire et juridique ne sont pas clairs.

Nous avons l’impression que chacun essaye de prendre un peu la part du marché des avocats. Je ne vous apprends rien en disant qu’il y a des avocats qui vivent en location, et qui doivent aussi louer des bureaux pour travailler. Ce n’est pas évident d’autant plus qu’il faut trouver un endroit facilement accessible.

S. : Des avocats burkinabè ont été accusés à maintes reprises de détournement. Qu’allez vous entreprendre pour y remédier ?

Me A. O. : Il y a un code moral dans notre profession. Il n’y pas que chez les avocats qu’il y a des véreux. Mais c’est peut-être notre serment qui fait que nous avons une visibilité qui n’est pas celle des autres. Sinon je n’ai pas de potion magique pour faire en sorte que tous les avocats soient honnêtes. J’ai des projets et des ambitions pour qu’on le soit de plus. Un avocat qui a de quoi subvenir à ses besoins n’a pas besoin de détourner l’argent d’un client. C’est quelquefois la pauvreté absolue qui l’amène à le faire.

Pour être un avocat honnête, il faut que vous soyez formé à l’honnêteté. C’est pour cela qu’il faudrait que nous recyclions les avocats. Nous essayions d’accentuer leur formation sur l’éloquence, la tenue de dossier et de cabinet et pour respecter les règles strictes de cette profession. Je pense qu’être honnête ne dessert jamais mais ça n’est pas facile. Comme disait feu Houphouët Boigny « ventre vide n’a point d’oreille » et celui qui a faim n’est pas un homme libre.

La multiplicité des défendeurs ou défenseurs, occultes ou déclarés, tolérants ou conspués est un empiétement sur notre profession. Il faut que tout le monde nous laisse la liberté de défendre. Il faut que ceux qui nous écoutent le fassent jusqu’au bout. Que ceux qui instruisent, instruisent à charge et à décharge. Il n’y pas une potion miracle. Il y a des efforts à faire de part et d’autre. Si chacun joue sa partition je crois que, petit à petit, les avocats vont sortir de l’extrême détresse dans laquelle ils se trouvent pour pouvoir être des avocats de valeur. Nul ne peut être éloquent et percutant si à son réveil, il n’a pas eu son petit déjeuner.

S. : Vos propos ne remettent-ils pas en question la formation des avocats ?

Me A. O. : Ce n’est pas une remise en question mais un complément. C’est un complément parce que chacun a été formé par un maître de stage qui, théoriquement, est un érudit. Mais c’est à l’expérience qu’on se rend compte que certaines formations ne sont que de nom. Le contenu n’est pas à la hauteur. Je ne jette pas la pierre sur quelqu’un. Peut-être que moi-même, j’en ai formé qui ne sont pas bons. Peut-être que moi-même je ne suis pas douée pour la formation. Mais Dieu merci, aucun de ceux que j’ai formé n’a été poursuivi pour quoi que ce soit jusqu’à aujourd’hui.

S. : Pensez-vous que la formation des avocats au Burkina (stage et prestation de serment) est suffisante pour exercer dans un monde de plus en plus exigent ?

Me A. O. : La qualité est à rechercher. On ne peut pas la rechercher sans parler de formation et de recyclage. Le droit est à l’image de la médecine, un cercle mouvant. Chez nous, tout change tous les jours. Vous plaidez un dossier aujourd’hui, on vous donne raison en partant d’une loi. Votre contradicteur n’est pas content de la décision, il fait appel. En appel vous avez raison ou c’est lui qui l’a. L’un d’eux va en cassation. Là, la décision du premier juge sera confirmée comme étant la bonne mais cela peut-être aussi, celle de la Cour d’appel. La décision peut être annulée purement et simplement pour que le dossier soit rejugé dans une certaine orientation donnée par la Cour de cassation, celle-ci est juge du droit et non des faits. Actuellement, j’encourage mes collègues à la recherche de l’excellence. Celle-ci passe par la formation, le recyclage et par un apprentissage approfondi des langues étrangères notamment l’anglais. Les ouvrages de pointe sur la profession sont tous en anglais.

J’ai prôné la solidarité dans mon programme. Si les avocats y adhérent, nous allons nous former entre nous d’abord avant d’être formés par des gens extérieurs. Nous sommes 133 membres du barreau. Il y a une seule personne qui est dans une instance internationale, Maître Pacéré Titinga qui siége au tribunal d’Arusha. Cela veut dire que quelque part notre compétitivité laisse à désirer. Nous allons nous atteler à sortir de notre coin pour voir ce qui se passe ailleurs et nous enrichir au contact des autres.

S. : Le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) comme moyen d’accès à votre profession a été remis en cause par des candidats. Qu’en dites-vous ?

Me A. O. : Le droit à la contestation fait partie des droits fondamentaux de notre pays. Mais il faut l’exprimer lorsqu’on a des arguments. Il ne faut pas contester pour faire du bruit. Quand on a des arguments, la contestation peut être qualifiée de sérieuse, même méritoire. Je n’ai pas pu avoir tous les éléments qui ont fait naître la contestation des étudiants. Je peux dire avec conviction que beaucoup viennent à la profession non par vocation ou passion, mais parce que c’est un créneau. Et ce sont ces gens qui sont les plus mauvais avocats. Etre avocat, ce n’est pas faire des effets de manche. C’est être capable d’une analyse, d’une compassion et d’une compréhension qui, quelquefois, amène à pleurer avec son client : il est outré et révolté. Tant que ce sursaut d’indignation n’existe pas face à l’injustice, on ne peut pas être un bon avocat.

S. : Quelle sera la touche particulière de la première femme bâtonnière du Burkina Faso ?

Me A. O. : Je ne sais pas si j’aurai une touche particulière. Quand j’ai débuté en 1982, j’étais la première femme avocate et la plus jeune. J’ai essayé d’être femme et avocate. Etre femme parce que je vivais avec mon mari, j’avais mon fils. Et à côté je m’occupais de mon travail. Au début, j’ai toujours fait ce que les autres me demandaient comme, par exemple, m’occuper de la buvette. Je bats aujourd’hui les records de longévité dans les conseils de l‘ordre successif depuis 1990. Cela m’a permis de donner mon empreinte dans le métier.

Il y a des situations qui peuvent paraître normal pour un homme mais qui ne le sont pas pour moi en tant que femme. Je ne m’en suis jamais cachée. Je me suis toujours battue contre ces situations. Quand quelque chose révolte ma conscience d’avocat ou ma conscience de femme avocat, je me bats toujours. Durant les trois ans de mon mandat, j’essayerai de rassembler les avocats à travers la tolérance et l’acceptation de l’autre. Si j’y arrive ce sera une bonne empreinte féminine. Il n’y a pas un avocat qui puisse être sûr de la manière dont s’achèvera sa carrière.

Si aujourd’hui, il y a un avocat qui a des difficultés, nous avons un devoir de solidarité envers lui. Notre devoir de solidarité doit être permanent et réel. Il ne doit pas reposer sur des histoires d’ethnie, de localité, d’alliance. Il doit se faire sur la base de la profession. Si un avocat est en difficulté ou est couvert d’opprobre c’est toute la profession qui en pâtit. Je ferais tout pour que les uns et les autres soient solidaires afin que nous puissions nous entraider.

S. : Comment arrivez-vous à concilier votre vie de famille et votre vie professionnelle ?

Me A. O. : Quand on veut bien exercer sa profession, la famille peut en pâtir. A une certaine époque, il était rare que je fasse un mois sans sortir du Burkina Faso. Ma famille me comprenait et à mon retour, je rattrapais tous les retards. Je conviens que ce n’est pas facile. Seulement, il faut avoir un certain caractère et un conjoint qui vous comprend et vous aide. Les femmes avocates ont toujours été de bonnes mères et bonnes épouses. Les avocates ne rencontrent pas de difficultés particulières dans l’exercice de leur fonction, ni discrimination ni problèmes particuliers. Mais il faut se battre tous les jours.

S. : Avez-vous reçu une aide particulière des autres avocates pour votre élection à la tête du bâtonnat burkinabè ?

Me A. O. : J’ai adressé à mes consoeurs une lettre circonstanciée pour les informer que j’allais me présenter pour le bâtonnat en priant qu’elles m’apportent leur suffrage. 90 % d’entre elles m’ont soutenue. Elles ont joué un rôle très positif en se mobilisant derrière moi. Certaines m’ont avoué que j’étais à l’origine de leur vocation.

S. : Avez-vous un message particulier ?

Me A. O. : Tout le monde doit comprendre que l’avocat n’est pas le marchand qui est au bord de la route ou au milieu du marché. L’avocat est investi d’une mission de service public. Il défend au quotidien les libertés et les droits des uns et des autres. Il veille à ce que celui qui est inquiété dans ses droits, puisse parler librement, sans avoir peur des représailles. Chacun doit comprendre que l’avocat n’est pas celui qui défend toujours les dossiers, il fait aussi beaucoup de consultations. Les gens croient que l’avocat c’est la toge, les jeux de manche, les grosses phrases. Ce n’est pas vrai. Il y a des études d’avocat qui sont plus spécialisées dans le conseil, dans l’assistance que dans le contentieux. L’avocat est utile à tous. Personne ne peut jurer tant qu’il n’est pas mort qu’il n’en aura pas besoin.

Interview réalisée par Marie-Chantal BOUDA
& Estelle MILLOU(stagiaire)

Sidwaya

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