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Réseaux sociaux : La responsabilité pénale du fait des émojis

Tribune

Publié le dimanche 27 novembre 2022 à 22h05min

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Réseaux sociaux : La responsabilité pénale du fait des émojis

Il revient aux différents internautes de faire preuve de prudence, de vigilance et de discernement car un simple "like" d’une publication sur les réseaux peut être porteurs de conséquences juridiques épouvantables. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus Gnoari Tankoano et S. Bertille Dembélé.

1. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il est possible d’exprimer ses émotions ou sentiments sur un sujet donné sans avoir à écrire une phrase. À travers un clic sur un bouton dédié, un réseau social tel que Facebook offre une panoplie d’émoticônes ou onomatopées aussi variées que les émotions humaines. Le plus populaire est le bouton « j’aime » de Facebook.

Mais, il en existe plusieurs qui permettent d’exprimer divers sentiments tels que la tristesse, la joie, l’étonnement, la déception, l’encouragement, etc. Il s’agit d’une duplication du gestuel physique humain à travers des exclamations telles que « j’adore », « haha », « waouh », « triste », « grrr », etc.

L’internet est devenu le reflet de la vie physique et par le réceptacle des émotions humaines. Cependant, comme tout acte ou fait, ces usages ne sont pas sans risques juridiques. Ces risques juridiques existent non seulement dans ces gestes en soi, mais aussi dans leurs effets démultiplicateurs des contenus dommageables en ligne.

2. La question qui se pose est celle de savoir si l’internaute qui appose ces types d’émoticônes sur un sujet, un discours ou toute information illégale ou contraire à la loi pourrait voir sa responsabilité engagée. Ces émoticônes peuvent en effet, être posés sur des contenus contrefaits, des fausses informations, des informations diffamatoires, injurieuses, des propos haineux, racistes, extrémistes, terroristes etc.

3. À première vue, il s’agit de gestes parfois simples, banaux, automatiques. Mais parfois aussi, ils expriment réellement le sentiment ou le ressenti de leur auteur. Ce ressenti peut-être la désapprobation ou l’approbation de l’information principale. Comme on le sait, les principes de base en matière d’infraction pénale sont la caractérisation d’un élément matériel et d’un élément moral.

Le premier élément s’accomplit avec une aisance inédite sur internet. En effet, chaque fois qu’un internaute appose ces émoticônes, il réalise subrepticement et parfois à son insu un acte de communication et de relai des contenus illicites. Pour cause, le réseau social le notifie automatiquement aux amis de l’intéressé. De ce fait, ces « amis » seront avertis du geste posé par leur « ami ». C’est plus certainement le cas des systèmes de partage d’informations.

La question se poserait peut-être avec plus d’acuité pour l’élément moral. D’emblée, sur le plan des principes, lorsqu’un internaute appose la mention « j’aime » sur une publication par exemple d’apologie des propos diffamatoires, il n’y a pas d’obstacle à sa poursuite pour avoir « aimé » lesdits propos. Du reste, l’article 95 portant réglementation de la presse en ligne au Burkina Faso dispose que « toute reproduction d’une imputation qui a été jugée diffamatoire est réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

Certes, on parle d’« imputation qui a été jugée diffamatoire », mais la disposition est intéressante en ce qu’elle infère une présomption de mauvaise foi. La victime n’aura donc pas à prouver que la personne poursuivie ou le prévenu a agi de mauvaise foi ou en connaissance de cause. Il reviendrait alors au prévenu d’apporter la preuve contraire, c’est-à-dire qu’il n’a pas agi de façon intentionnelle.

4. En effet, la personne poursuivie pourrait parvenir à s’exonérer de sa responsabilité si elle réussit à prouver le défaut de l’élément intentionnel. L’article 95 précité le dit. La présomption de mauvaise foi est simple et non irréfragable. De ce fait, dans certaines circonstances, le prévenu pourrait, en premier lieu, prouver qu’il a plutôt simplement salué la réactivité du journal ou du site. En deuxième lieu, il pourrait prétendre que son partage par exemple visait simplement à alerter les contenus qu’il trouvait lui-même inexacts. En troisième lieu,

il pourrait démontrer que son like consistait simplement à saluer la qualité de l’article notamment au regard de son style rédactionnel. En quatrième lieu, il pourrait soutenir que c’est une erreur de manipulation qui est à l’origine de son geste. Enfin, il pourrait attester qu’il n’était pas l’auteur du like. Outre ces causes d’exonérations spécifiques, il convient de noter qu’en matière pénale, le doute profite à l’accusé. Autrement dit, il suffit pour ce dernier de parvenir à susciter un doute raisonnable sur le caractère intentionnel de l’acte posé.

5. En conclusion, sur le plan des principes, de tels gestes pourraient facilement engager la responsabilité de leur auteur. Toute comme au Burkina Faso, ces condamnations sont fréquentes en droit comparé français, belge et américain (Etats-Unis, Richmond 4th circuit Court, 18 septembre 2013, Bland v. Roberts, Appeal n°12-1671). En droit comparé belge, par exemple, une personne travaillant pour une ASBL (Association sans but lucratif) a été licenciée pour avoir « liké » une publication sur Facebook (Cour du travail de Liège (3e ch.), arrêt du 24 mars 2017).

En tout état de cause, il revient aux différents internautes de faire preuve de prudence, de vigilance et de discernement. De tels gestes apparemment simples sont porteurs de conséquences juridiques épouvantables.

Gnoari TANKOANO
S. Bertille DEMBÉLÉ

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