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Banalisation de la mort sur les réseaux sociaux : Que sommes-nous devenus ?

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Publié le lundi 10 octobre 2022 à 20h45min

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Banalisation de la mort sur les réseaux sociaux : Que sommes-nous devenus ?

Depuis quelques années, les Burkinabè ont la fâcheuse tendance à banaliser la mort sur les réseaux sociaux. Plus rien n’émeut personne. L’on confond « apprendre à vivre avec la mort » et « irrespect pour les défunts ». Que sommes-nous devenus ?

Elisabeth Kübler-Ross, vous connaissez ? Il s’agit d’une psychiatre et psychologue américaine, pionnière de l’approche des « soins palliatifs » pour les personnes en fin de vie et de l’accompagnement aux mourants. Dans l’épisode 1 de la saison 6 de la série télévisée médicale américaine, Grey’s Anatomy, la protagoniste éponyme, Dr Meredith Grey, cite cette psychiatre en ces termes : « Quand quelqu’un meurt ou que l’on subit une perte horrible, on passe tous par les cinq étapes du deuil. Tout d’abord, le déni, parce que la perte est si inconcevable qu’on ne peut pas croire que c’est vrai. Puis, on est en colère contre tout le monde. Contre les survivants, contre nous-même. Ensuite, on négocie. On supplie, on implore, on offre tout ce qu’on a. On offre nos âmes en échange d’un jour de plus. Quand les négociations échouent et que la colère est trop difficile à contenir, on tombe dans la dépression, le désespoir, jusqu’à ce qu’on accepte enfin qu’on a fait tout notre possible. On abandonne. On abandonne et on accepte. En [faculté] de médecine, on a une centaine de cours qui nous apprennent à lutter contre la mort. Mais pas un seul sur la façon de vivre avec ».

Lorsqu’on rapporte cette réflexion dans le contexte burkinabè où l’humanisme et le bon sens vont à vau-l’eau sur la toile, l’on se demande si certains vivent ne serait-ce que deux des étapes énoncées par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross. L’intimité a fait place au m’as-tu-vu et c’est peu de le dire, avec des individus qui ont été bercés parfois trop près du mur. Conformisme et exhibitionnisme ? Allez savoir ! Il n’y a presque plus de limite sur les réseaux sociaux, si bien que la mort est devenue banale.

Sur les réseaux sociaux, il est fréquent de rencontrer des internautes écrire des phrases du type « Je viens juste de perdre mon père », « Maman vient juste de nous quitter ». Quel est le but recherché, lorsque ces personnes se précipitent pour annoncer le décès de leur proche ? Recherche de buzz ou besoin d’affection ? Plusieurs d’entre elles ont même le temps de répondre à chaque mot de soutien et de condoléances. Certains diront que les réseaux sociaux constituent pour eux une sorte de catharsis, mais disons-le-nous net. « En Afrique, si tu meurs, c’est pour toi qui est finit », comme le disent si bien les Ivoiriens.

D’autres personnes se contenteront de changer leur photo de profil par un fond noir pour exprimer leur deuil. Dès que cela est fait, place à la curiosité et à l’absurdité. « Ma chérie, qui est décédé ? », « Cher ami, que se passe-t-il ? » « Qu’est-ce qu’elle avait ? ». À toutes ces questions posées en commentaires, il faut ajouter les réactions des partisans du moindre effort préférant les « RIP » aux messages du type « Courage, cher (e) ami (e). Que son âme repose en paix ». Quoique, je vous l’accorde un « RIP » peut être empreint de sincérité alors qu’un « Que son âme repose en paix » peut cacher une dose d’hypocrisie.

Que dire de cette catégorie de personnes qui mettent les « likes » sans réfléchir ? Que peuvent-elles bien aimer dans l’annonce d’un décès au point de cliquer sur le pouce bleu ? Notre peine ou l’annonce du décès ? Facebook a pourtant lancé ses émoticônes « Solidaire » et « Triste » pour permettre à ces abonnés de compatir en cas d’événement malheureux. Comment se comportent ces personnes dans la vie réelle lorsqu’elles doivent exprimer leur tristesse et compassion ? Ce n’est certainement pas par des « RIP » ou « likes ».

La perte d’un être cher peut nous mettre hors de contrôle, nous plonger dans un labyrinthe de questionnements ou nous conduire à l’absurde. Les grandes douleurs sont muettes, dit-on. Il n’y a certes pas qu’une seule façon de gérer son deuil, mais tâchons de ne pas banaliser la mort ni sur la toile ni dans la vie réelle. Nos morts ne sont pas morts et ils n’aiment pas le bruit. Soyons discrets, soyons pudiques et ils nous le revaudront.

HFB
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