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Diébédo Francis Kéré : quand l’architecture construit l’avenir

Publié le lundi 16 janvier 2006 à 07h52min

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Diébédo Francis Kéré

« Lorsqu’une personne quitte sa communauté en quête d’une vie meilleure, elle essaie de compenser son absence par une aide financière. C’est précisément la situation dans laquelle je me trouve et mon vœu est de m’acquitter de cette part d’obligation sociale, de cet ‘’être là les uns pour les autres’’ », qui m’incombe. »

Tel est en quelques mots le désir ardent qui anime ce jeune architecte burkinabé installé en Allemagne il y a presque 20 ans. Venu dans l’espoir de raffermir ses connaissances en menuiserie, il s’est vite rendu compte que ces capacités se trouvent dans l’architecture dont la maîtrise pourrait jouer un grand rôle dans les pays pauvres.

« Voici un domaine auquel on s’intéresse peu lorsqu’il est question de développement en Afrique, comme si l’architecture était l’apanage de la culture occidentale », remarque tristement Francis Kéré. Des propos qui nous interpellent tous et surtout les décideurs à revoir leur politique de développement. Construire de grandes maisons d’habitation, des salles de conférence ou des hôtels etc. a bien entendu des effets positifs sur l’urbanisation mais il faudrait aussi tenir compte des phénomènes climatiques et culturels du pays. Ce qui permettra d’éviter les imitations ou les copies conformes honteuses dont souffre aujourd’hui notre Afrique.

Francis Kéré est diplômé de la grande université technique de Berlin ; un privilège peu répandu qu’il tente de faire profiter autrement à ses jeunes frères restés à Gando, un village situé à 200 kilomètres de Ouagadougou.

« Lorsque la grande couche de la population, c’est à dire sa jeunesse sera bien formée, bien instruite, le continent noir étonnera le reste du monde, et il faut le croire » assène-t-il. On pourrait rétorquer à notre architecte que cela a déjà été dit par de nombreux intellectuels africains et « amoureux du continent » depuis belle lurette et que l’Afrique malgré les traces de progrès dans l’éducation et l’instruction a encore un des niveaux se scolarisation les plus bas sur le plan mondial. Mais à la différence de beaucoup de ceux qui ont fait cette affirmation avant lui, Francis Kéré à des actions concrètes à son actif.

« Schulbausteine fuer Gando » ou l’ « Association des briques pour l’école de Gando » a germé dans la cafétéria de l’université où était inscrit M. Kéré. « Se retrouver entre copains à cet endroit habituel à boire le café, à discuter et à vouloir changer le monde était beau. Mais comment le faire reste toujours l’énigme. J’ai donc réussi à convaincre mes copains étudiants qu’au lieu de prendre une deuxième tasse de café, de contribuer à la construction d’une école à Gando ».

Cet esprit de solidarité donna naissance à l’association qui compte aujourd’hui une trentaine de membres actifs et de nombreux bénévoles. Ceux-ci développent de nombreuses initiatives permettant de financer les projets de construction d’écoles et les prises en charges des élèves.

L’école comme concept complet de développement

La construction des infrastructures étant l’une des casse-têtes pour les pays pauvres, M. Kéré s’est engagé à faire des écoles des lieux à multiples fonctions. C’est ainsi que l’école en plus de ses salles de classe, son dispositif de recueillement d’eau, les latrines et la construction de logements pour enseignants doit être un lieu propice et adapté pour des réunions, des séances de vaccination et même pour des fêtes. Un tel concept qui soulage surtout la femme africaine.

Ce qui fait l’originalité du travail artistique de M. Kéré est comme, il le dit, d’« d’exploiter la construction traditionnelle en terre, par nature provisoire, en modifiant le matériau et en utilisant de nouveaux principes pour en faire un mode de construction durable aux bonnes qualités techniques. Il importait également de réaliser une architecture moderne et esthétique ».

Pour la réalisation d’une telle architecture, il utilise le principe de bâtiment climatiquement confortable, avec des matériaux locaux et surtout bon marché. La couverture du toit qui était traditionnellement en paille et qui est aujourd’hui en tôle ondulée entraîne des problèmes acoustiques et isothermes.

Ne voulant pas rejeter cette évolution, la couverture en tôle a été soulevée du toit à l’aide des fermes à treillis en acier à béton pour ajouter une couche de terre. Cette technique permet une bonne aération des salles de classe et entraîne une séparation acoustique. La partie restante débordante du toit protège du soleil et des fortes pluies.

Avec des salles de classe d’une telle architecture, les élèves évitent les salles surchauffées et peuvent écouter attentivement le maître. On imagine facilement les avantage quand on saiy qu’au mois d’avril, sous des température de 35 à 40 degrés à Ouagadougou, à Dori, même à Bégédo ou dans d’autres localités des pays chauds, on demande à des élèves entassés dans des classes pléthoriques de suivre des cours de calcul dans des salles de classe financées par la grande Banque Mondiale qui n’ont ni plafond, ni un système d’arriération voire de ventilation.

La réalisation de l’école de Gando n’aurait été possible si l’architecte burkinabé n’avait eu l’idée de faire participer les habitants du village qui, formés aux techniques de soudure et de fabrication de briques de terres plus solides, ont considérablement joué un rôle important dans la réussite du projet. Une formation qui leur permettra certainement dans l’avenir d’entreprendre d’autres projets. Le soutien de nombreux collèges et écoles primaires allemands et de l’université technique de Berlin ont aussi permis au projet d’être aujourd’hui une réalité.

La conjugaison des efforts de M. Kéré avec ceux des bénéficiaires et des donateurs ont permis au jeune architecte de l’école de Gando de recevoir l’une des meilleures distinctions d’architecture en novembre 2004, l’« Aga Khan Award en architecture ». Un prix qui lui a été décerné pour la clarté architecturale et la dimension sociale de son travail. Ce qui inscrit l’architecture burkinabé voire africaine dans une modernité sans pour autant nier les brillants acquis de la civilisation. Traditionnelle.

Aujourd’hui enseignant à l’université technique de Berlin, Francis Kéré dispose d’un cabinet d’architecture avec une dizaine d’employés travaillant à son compte dans l’un des quartiers les plus chatoyants de Berlin. Très sollicité dans les pays à climat sec, l’architecte burkinabé arrive à décrocher sans surprise de nombreux contrats au Yémen, en Inde, en Jordanie, au Jamaïque. Quelques pays africains comme le Zimbabwé ont déjà montré leur intérêt de même que les Etats maghrébins. « J’espère que les autorités de mon pays se rendront compte qu’elles disposent des hommes et des femmes compétents dans mon domaine ; ce qui nous permettrait de nous s’affirmer et de montrer à la génération montante que l’espoir est permis » souligne M. Kéré.

Voilà de quoi ouvrir les yeux à certains afro-pessimisstes et surtout à ceux qui à coup de millions importent des architectes occidentaux sur le continent pour construire des buildings futuristes sans réel ancrage dans la culture locale.

Le développement d’un pays, d’un continent ne peut être possible tant que toutes les capacités de sa population ne sont pas prises en compte. L’Afrique dispose d’une matière créative et dynamique très appréciée à l’extérieur et malheureusement ignorée sur son sol. Il est temps que nos dirigeants prennent leur responsabilité car si la politique d’immigration par quota dans une Europe vieillissante devenait réalité, l’Afrique serait encore la grande perdante.

Alex Moussa Sawadogo
Correspondant en Allemagne (Berlin)
Lefaso.net

Photos : David Heerde

P.-S.

Pour d’autres informations concernant le travail de Francis Kéré : www.fuergando.de

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