Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Dans cet article, l’enseignant-chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo, Dr Vincent Zoma, analyse l’importance de l’importation et de la vente de véhicules d’occasion à Ouagadougou, l’organisation des acteurs du secteur et les enjeux économiques de ce commerce pour le Burkina Faso. Lisez plutôt.
Selon les Nations unies, 70% des véhicules légers exportés sont destinés aux pays en développement. En effet, l’Afrique a importé le plus grand nombre (40 %) ces dernières années, suivie par l’Europe de l’Est (24 %), l’Asie-Pacifique (15 %), le Moyen-Orient (12 %) et l’Amérique latine (9 %) (ONU, 2020).
Au Burkina Faso, la voiture particulière était un bien de luxe parce que de coût très élevé. Aujourd’hui, elle fait partie des biens les plus utilisés dans ce pays. En effet, après la dévaluation du FCFA, le marché des véhicules d’occasion a connu un boom extraordinaire (A. Dabilougou, 2005). Durant la dernière décennie le pays a importé au total 272 887 véhicules usagers. Le prix du véhicule neuf étant passé du simple au double après la dévaluation du FCFA en 1994, devenant du coup inaccessible à la bourse du Burkinabè moyen, les usagers de voitures se sont orientés sur ceux de moindre coût, communément appelés "France au revoir ". Ces véhicules sont convoyés depuis l’Asie, l’Europe, les USA et parviennent au Burkina Faso via les ports de Lomé, de Téma, d’Accra, d’Abidjan et de Cotonou (V. Zoma, 2019). Il s’agit là d’une catégorie très particulière d’importation au niveau des trafics. Ainsi, le présent article vise à étudier l’importance de ce trafic, de cerner l’organisation locale des acteurs du secteur et de présenter les enjeux économiques de l’importation de ces véhicules pour le pays.
En guise de méthodologie, il a été procédé à plusieurs entretiens avec des vendeurs, des transitaires, des acheteurs et la douane du Burkina Faso. Il a été également procédé à la géolocalisation des principaux parcs de vente de véhicules d’occasion à Ouagadougou.
Une croissance rapide de l’importation des véhicules d’occasion
La sollicitation de véhicules d’occasion n’a fait que croitre durant cette dernière décennie comme l’indique le graphique1.
Graphique1 : Importations des véhicules par corridor de 2010 à 2021
- Source : Données recueillies auprès de la Direction Générale de la Douane à Ouagadougou (2022)
Les importations de véhicules usagers par le Burkina Faso sont passées de 12 383 à 29 305 véhicules entre 2010 et 2021, soit une croissance de 137 % en 11 ans (une progression de 12 % en moyenne par an). Cette situation tient en plus de l’émergence d’une classe moyenne importante, à l’urbanisation rapide et à l’incapacité actuelle du pays à produire des véhicules neufs à des prix adaptés. D’après M. Wolkowitsch (1992), la mobilité progresse avec le niveau de vie, l’évolution des mœurs et la croissance spatiale des villes. La tendance se maintiendra aussi longtemps que la situation décrite n’aura pas changé. Dans un contexte Burkinabè où les transports urbains en commun sont défaillants au profit des modes individuels de déplacement, l’importation de véhicule de seconde main risque de s’accentuer dans les décennies suivantes.
De l’organisation locale des acteurs de la filière
Une fois arrivés au pays, les véhicules sont lavés et/ou réparés pour ensuite être stockés dans des points de vente éparpillés dans la ville (carte 1).
Carte 1 : Les sites de vente de véhicules usagers à Ouagadougou
La plupart des sites de vente de véhicules usagers à Ouagadougou se situent au centre de la ville. Le choix de ces sites relève de l’initiative des acteurs qui travaillent à les rendre formel. En effet, il existe trois associations de revendeurs dont deux ont rejoint la Fédération Nationale des Associations des Vendeurs de Véhicules du Burkina (FNAVVB). Il s’agit de l’Association des Vendeurs et Revendeurs de Véhicules du Burkina (AVRVB) et de l’Association des Vendeurs de Véhicules du Kadiogo (AVVK).
Cette fédération crée en 2017 compte plus de 1500 membres. Elle œuvre à emmener tous les vendeurs à y adhérer afin de pouvoir mieux encadrer les acteurs de la filière. Il n’existe pas de site formel mais il existe des parcs connus de vente dans la ville de Ouagadougou (Photos 1 et 2).
- Clichés : V. Zoma (Avril 2022)
Ces photos montrent des parcs de stockage et de vente des véhicules d’occasion à Ouagadougou. Ces points de vente sont disséminés surtout au centre-ville et dans la zone péricentrale de la ville à proximité des principales voies. Ils se distinguent par leurs tailles et par la qualité des véhicules proposés. Il y a des parcs de moins de 5 véhicules à plus de 200 véhicules (cf. carte 1). L’importance du secteur de l’importation des véhicules d’occasion a sans doute des enjeux économiques pour le pays.
Les enjeux économiques de l’importation de véhicules d’occasion pour l’État
L’importation des véhicules d’occasion par le Burkina Faso présente un enjeu économique non négligeable pour l’État comme l’indique le graphique 2.
Graphique 2 : Valeurs des véhicules importés en douane par an par le Burkina Faso (en milliard de F CFA)
- Source : Données recueillies auprès de la Direction Générale de la Douane à Ouagadougou (2022)
De 2010 à 2021, les burkinabè ont dépensé entre 26 milliards FCFA et 63 Milliards FCFA pour l’importation des véhicules d’occasion. La tendance générale de la courbe est à la hausse même si elle a quelque peu baissé entre 2019 et 2021 en passant de 61 milliards à 53 milliards FCFA. Cette situation traduit l’engouement des burkinabè pour ce produit et la tendance se maintiendra aussi longtemps qu’augmentera la classe moyenne et que l’État ne puisse pas produire des véhicules neufs à coût abordable.
Cette filière génère également des recettes pour l’État (graphique 3).
Graphique 3 : Droits de douane perçus sur les véhicules importés par an par le Burkina Faso (en milliard de FCFA)
- Source : Données recueillies auprès de la Direction Générale de la Douane à Ouagadougou (2022)
La tendance de la courbe est évolutive durant la période de 2010 à 2021. Les droits de douane se sont chiffrés entre 3,7 milliards de FCFA et 9, 29 milliards de FCFA avec un pic en 2019. À partir de 2018, ces droits de douane ont constamment dépassé 8 milliards de FCFA. Ce chiffre parait relativement important et présente un enjeu économique pour le pays. Dans un tel contexte, le secteur de la vente des véhicules d’occasion mérite d’être davantage organisé à travers une règlementation. Une meilleure organisation du secteur permettrait non seulement aux principaux acteurs de mieux se structurer afin de se professionnaliser pour davantage être des interlocuteurs crédibles, compétitifs dans la mondialisation classique, mais aussi, permettrait à l’État en général de mieux suivre le secteur. L’État pourrait même pouvoir imposer des normes en matière d’importation de ce type de véhicules au profit de la classe moyenne tout en participant de moins en moins aux pollutions atmosphériques des centres urbains, et en réduisant le nombre d’accident ou de pannes provenant de ces véhicules.
En définitive, la filière d’importation des véhicules d’occasion date de la période des indépendances et connait aujourd’hui un développement fulgurant en raison de l’incapacité du pays à proposer des véhicules neufs d’une part et de l’accroissement de la classe moyenne d’autre part, dans un contexte où le transport en commun demeure insuffisant. Par ailleurs, cette filière tend à se développer en raison de la mondialisation, favorisant l’ouverture des marchés mondiaux par la mise en place de circuits plus ou moins formels et accessibles aux plus modestes. Cette activité fonctionne de façon artisanale. Un meilleur encadrement des acteurs par l’État permettra de professionnaliser le secteur en plein essor. Cependant, aucune restriction liée à l’âge des véhicules n’existe au Burkina Faso comme c’est le cas dans certains pays de la sous-région (Sénégal, Côte d’Ivoire). Cette situation engendrera un parc automobile vétuste avec plus d’émission de gaz polluants.
Dr Vincent ZOMA,
Université Joseph Ki-Zerbo,
Département de Géographie
E-Mail : vincentzoma3@gmail.com
Références
Dabilougou Alain, 2005, Importation de véhicules d’occasion : un deal très juteux, [En ligne], https://img2.lefaso.net/spip.php?page=web-tv-video&id_article=9290&rubrique3, Consulté le 03/03/2022.
Organisation des Nations Unies (ONU), 2020, Véhicules d’occasion et environnement. Aperçu global des véhicules utilitaires légers d’occasion - Flux, échelle et réglementation, programme pour l’environnement. unep.org, 4pages, [En ligne],https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/34298/KFUVEF.pdf?sequence=2&isAllowed=y, Consulté le 03/03/2022.
Wolkowitsch Maurice, 1992, Géographie des transports. A. Colin, Collection Cursus, série Géographie, Paris, 191 pages.
Zoma Vincent, 2019, Transport et intégration régionale dans l’espace UEMOA : le transit routier de marchandises du Mali et du Niger via le Burkina Faso. Thèse de doctorat en géographie. Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO, 343 pages.
Vos commentaires
1. Le 21 août 2022 à 20:32, par ZOMA Félicité En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Bonsoir petit frère je suis très fière de toi. Que Dieu t’amène davantage en eau profonde avec sa faveur.
2. Le 22 août 2022 à 08:23, par Lumière En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Merci pour cet effort intellectuel.
le bemol est la confusion entre Ouagadougou et le Burkina Faso. en effet l’étude parle des acteurs de Ouagadougou mais les données statistiques sont nationales. Il aurait été plus judicieux de communiquer les données statistiques de Ouagadougou puis les données nationales.
Du courage
3. Le 22 août 2022 à 09:25, par NH En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
La problématique abordée est très pertinente.
Je pense aussi que l’Etat gagnerait à mieux organiser le secteur, à fixer un âge limite pour les véhicules qui entre et à inverser la taxation (plus le véhicule est vieux plus la taxe est élevée).
4. Le 22 août 2022 à 10:20, par BATIONO En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Analyse pertinente Dr ZOMA, il faut que nos autorités prennent à bras le corp le problème des véhicules d’occasion en vue d’anticiper sur ses implications néfastes qui sont de plusieurs ordres.
5. Le 22 août 2022 à 10:25, par BATIONO En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
L’analyse est pertinente Dr ZOMA. Il faudrait que nos autorités prennent au sérieux la question des véhicules d’occasion en vue d’anticiper par rapport à ses implications néfastes qui sont de plusieurs ordres.
6. Le 22 août 2022 à 11:05, par Nani En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Article très intéressant ! Toutes mes félicitations à l’auteur.
Il est vrai que toute étude fait le choix de l’aspect qu’elle veut aborder mais la présente publication me donne l’occasion de parler de cette prolifération de lieux de vente des véhicules d’occasion. Oui, il est nécessaire que l’Etat regarde cela de près parce que le peu d’espace qui existait encore et servait de lieux de parking aux citoyens sont tous en train de disparaitre au profit de ces lieux de vente.
Pourquoi ne pas créer un grand parc, comme on en voit ailleurs, et que tous les vendeurs de véhicules d’occasion s’y installent ?
7. Le 22 août 2022 à 12:47, par Revalc En réponse à : Importation de véhicules d’occasion : Dr Vincent Zoma analyse les enjeux économiques pour le Burkina
Félicitations pour l’analyse. J’ai ouvert l’article avec précipitation à la vue du titre mais j’avoue que je n’ai pas vraiment vu l’analyse de l’enjeu économique pour le pays. L’analyse devrait être plus poussée à mon sens.
Aussi je ne suis pas d’accord avec ce passage "en raison de l’incapacité du pays à proposer des véhicules neufs" ; il y’a bien des véhiculas neufs proposés par plusieurs concessionnaires comme diacfa et cfao motors, seulement la population n’a pas les moyens de s’offrir ces véhicules hors mis une minorité ainsi que l’Etat et certaines entreprises privées.