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Alizèta Nikièma, atteinte de nanisme : « Je suis peut-être de petite taille, mais mon cerveau ne l’est pas »

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Publié le dimanche 4 juillet 2021 à 22h14min

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Alizèta Nikièma, atteinte de nanisme : « Je suis peut-être de petite taille, mais mon cerveau ne l’est pas »

Benjamine d’une fratrie de huit enfants dont quatre de petite taille, Alizèta Nikièma ne s’est pas apitoyée sur son sort. Malgré son handicap et les difficultés que cela engendre dans son quotidien, la jeune femme s’est mise à la couture, consciente que son handicap ne saurait être un frein à son épanouissement.

Il est à peine 8 heures quand nous arrivons au quartier Rimkiéta de Ouagadougou, ce matin pluvieux du vendredi 25 juin 2021. Nous avons rendez-vous avec Alizèta Nikièma, une femme de petite taille. Après quelques minutes d’attente à notre lieu de rendez-vous, la jeune femme, la trentaine, vient à notre rencontre. Juchée sur son tricycle, elle nous fait part des difficultés qu’elle a pour circuler quand il pleut. Cahin-caha, après quelques détours pour éviter les rues où elle pourrait s’embourber, nous arrivons finalement à son domicile qu’elle partage avec le reste de sa famille.

Dans la famille Nikièma, Alizèta n’est pas la seule à souffrir de nanisme. Ils sont quatre, dont malheureusement un n’est plus de ce monde, à souffrir de ce trouble de la croissance caractérisé par une taille anormalement petite comparée à la taille moyenne des individus de même âge et de même sexe.
C’est en Côte d’Ivoire que naît Alizèta. Elle y fera ses premiers pas à l’école jusqu’en classe de CM1 où elle met fin aux cours. Quelques années plus tard, elle décide d’apprendre la couture, mais ne fera pas plus de deux ans d’apprentissage.

Puis, elle s’installe au Burkina Faso avec sa mère en 2006. Les premières années au pays sont difficiles à vivre pour la jeune fille qui avoue que, pour se nourrir, elle a été obligée de mendier. Pourtant, à voir ce sourire qui ne quitte presque jamais son visage, l’on pourrait croire qu’Alizèta a une vie facile. Que nenni ! Dans son quotidien, elle traverse des difficultés qui semblent décuplées à cause de son handicap. Les tâches accomplies sans encombre par les personnes de taille normale lui demandent, à elle, de grands efforts.

Mais elle est du genre battante et ne laisse pas les difficultés assombrir sa vie. Elle décide d’abandonner la mendicité pour prendre sa vie en main. « Je suis peut-être de petite taille, mais mon cerveau ne l’est pas », laisse-t-elle entendre. Consciente que le handicap ne saurait être un frein à son épanouissement, elle s’inscrit dans un centre d’apprentissage où elle apprend à confectionner des chapeaux qu’elle revend. Puis elle décide de reprendre l’apprentissage de la couture. Avec les bénéfices de la vente des chapeaux, elle s’achète une table pour machine à coudre. Pour l’achat de la machine elle-même, c’est son père, resté en Côte d’Ivoire, qui lui enverra de l’argent.

Ce matériel en main, elle loue un petit hangar au marché de Rimkiéta où elle se met à la couture non sans avoir lutté pour vaincre certains préjugés. « Quand on est handicapé, on fait face à beaucoup de difficultés. Vous êtes confrontés à une discrimination dans la société, dans la famille, dans la vie courante. Il y a même souvent des gens qui doutent lorsqu’on leur dit qu’on a accompli telle ou telle tâche. Quand nous sommes arrivés au Burkina, je voulais reprendre les études. Mais mes parents n’avaient pas de moyens. J’ai alors décidé de continuer la couture, mais personne ne voulait m’accepter à cause de mon handicap, on me demandait toujours si je pourrai travailler », confie-t-elle.

Avec sa machine à coudre, Alizèta a débuté par les raccommodages de linge. Avant de se mettre à la coupe et à la confection de vêtements d’abord pour ses amis et sa famille. Et même si aujourd’hui ses clients sont satisfaits, elle a dû faire face à la discrimination et au doute sur sa capacité à réaliser certaines choses. Il arrive que des personnes curieuses se déplacent exprès pour la voir travailler, affirme-t-elle. Ces regards et cette discrimination n’ont pas entamé la détermination de la jeune femme qui avoue qu’elle ne regrette pas de s’être obstinée à faire de la couture son métier.

« Ce n’est pas facile au quotidien, parce qu’à cause de mon handicap, il me faut toujours de l’aide pour faire sortir mon matériel de travail, vu que je n’ai pas de local fermé, et quand je rentre le soir je suis épuisée. Mais pour rien au monde je ne voudrai arrêter mon travail. Avant, il me fallait mendier pour manger, mais aujourd’hui avec ce que je gagne, j’arrive à subvenir dignement à mes besoins et à ceux de mon fils. » La jeune femme est en effet mère d’un petit garçon de bientôt 6 ans. Et lors de sa grossesse, elle aura bravé les regards interrogateurs et curieux de plus d’un.

Répondre aux moqueries par l’humour

Alizèta n’a pas toujours été la femme souriante, joviale et pleine de confiance en elle-même. Elle se cachait pour fuir les moqueries jusqu’à ce qu’elle finisse par s’accepter. « Au début, je me cachais. J’attendais la nuit pour sortir par peur du regard des gens. Mais petit à petit quand j’ai commencé à voir les personnes handicapées moteurs qui ne s’occupent pas du regard des autres, qui font leur vie, cela m’a donné le courage d’affronter le regard des gens. On ne peut pas empêcher les gens de nous regarder. Quand j’étais enceinte, les gens parlaient et je passais mon temps à pleurer. Et même quand j’ai accouché, les gens venaient voir comment est l’enfant, pensant qu’il serait comme moi », dit-elle dans un sourire.

Son arme pour vaincre le regard des curieux, c’est l’humour. « Peut-être que si Dieu vous donne un handicap, il prend soin de vous attribuer quelques doses supplémentaires d’humour pour vous aider à le supporter ». Cette citation de l’écrivaine américaine Jodi Picoult traduit très bien l’état d’esprit d’Alizèta. « Quand je sors à pied et que je remarque que quelqu’un me regarde, je me retourne vers lui et je lui dis en riant que chaque regard qu’il pose sur moi coûte 10 000 F CFA. Rire de mon handicap est une façon pour moi de vaincre le regard des gens. »

Le handicap n’est pas une fatalité

Alizèta Nikièma est la secrétaire de l’Association Elan des personnes de petite taille. Aux côtés des autres membres, elle milite pour l’épanouissement des personnes souffrant de ce handicap. Son souhait, c’est surtout de ne plus voir d’enfants de petite taille cachés ou négligés par leurs parents sous prétexte qu’ils n’ont pas d’avenir. « On espère qu’avec le temps, les parents qui cachent leurs enfants vont les laisser sortir et même les inscrire à l’école. Mon souhait, c’est surtout que les parents des enfants de petite taille les inscrivent à l’école parce que l’intelligence est dans le cerveau. Même si on n’a pas une grande taille, notre cerveau est intact et fonctionne. Moi par exemple, je n’ai fait la couture que deux ans, mais j’arrive à coudre. Si j’avais pu apprendre pendant cinq ans, je serais encore plus professionnelle. »

Son autre cri de cœur, c’est que l’Etat respecte ses engagements en ce qui concerne la santé des personnes en situation de handicap. Elle dispose en effet de la carte d’invalidité depuis plus de trois ans, mais de son aveu, cette carte ne lui sert strictement à rien. Toutes les fois qu’elle s’est rendue dans un centre de santé, elle a dû payer les soins de sa poche.

En attendant donc le respect par l’État de ses engagements, elle lance un appel aux personnes en situation de handicap comme elle, afin qu’ils ne baissent jamais les bras et prouvent que le handicap n’est en aucun cas une fatalité.

Justine Bonkoungou
Photo : Bonaventure Paré
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