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Albert Roamba, l’homme qui enseigne les maths gratuitement depuis 45 ans

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Publié le mardi 15 juin 2021 à 23h11min

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Albert Roamba, l’homme qui enseigne les maths gratuitement depuis 45 ans

Albert Roamba est un phare. Et c’est peu de le dire. Contrôleur des impôts à la retraite, il dispense des cours de mathématiques gratuitement à des élèves, surtout ceux en classe d’examen, depuis maintenant 45 ans. Oui, vous avez bien lu ! 45 ans. À la retraite depuis le 31 décembre 2016, sa passion et son don de soi n’a pris aucune ride. Découverte.

« La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir », disait le physicien Albert Einstein. Ainsi, peut-on résumer la vie d’Albert Roamba, natif de Ramongo, village situé à une quinzaine de kilomètres de Koudougou, dans la province du Boulkiemdé. Difficile de dresser le portrait de ce sexagénaire qui, pendant 45 ans, a donné et donne toujours de son temps, son énergie, son savoir et de son argent afin d’améliorer le niveau des élèves de la classe 3e en mathématiques, la bête noire de la plupart des élèves.

Une cour bondée d’élèves

Son domicile, situé au quartier Naab-Puugo, dans le secteur 12 de Ouagadougou, ne désemplit pas, chaque samedi, à partir de 15h. Depuis qu’il y a emménagé en 2004, le nombre d’élèves ne fait que s’accroître, atteignant parfois 200. Difficile même de se frayer un chemin pour accéder au salon. Les membres de sa famille sont parfois condamnés à rester au salon ou à l’extérieur de la cour, pour ceux qui ne sont pas rentrés avant le début des cours.

A quelques jours de l’examen du BEPC, les élèves se font rares mais l’engouement est le même
L’argent sort de sa poche

Debout ou assis sur les bancs confectionnés à ses frais, les élèves suivent les cours gratuitement sur un tableau, également fabriqué à ses frais. « Les bancs ne suffisent pas. Parfois, je vais en demander aux voisins pour venir compléter. Ils sont compréhensifs. Quand je vois un devoir, je le mets au propre. Je le corrige en intégralité. Je vais certes le corriger au tableau, mais pour que les élèves puissent comprendre davantage, je leur remets la correction écrite. Pourvu que les élèves arrivent au but visé, à savoir obtenir le BEPC. Je fais du volontariat. Certains parents ont tenté de me donner de l’argent. Mais non, c’est du volontariat. Les cours ne sont pas payants », soutient Albert Roamba. En plus des bancs et des tableaux, il se saigne pour acheter les rames de papier et faire les copies des devoirs pour ses apprenants qu’il ne connait ni d’Ève ni d’Adam.

Albert Roamba entouré de quelques membres de sa famille et des élèves
« Un homme intègre »

Pour comprendre la passion de l’homme pour l’enseignement, il faut faire un saut dans le temps jusque dans les années 70. « Après mon BEPC en 1976, j’avais commencé, dès la classe de Seconde à composer des sujets pour les candidats au BEPC. Il y a des élèves qui veulent apprendre et comprendre, mais qui n’ont personne pour les aider. J’ai appartenu à un mouvement d’action catholique qui est la Jeunesse Étudiante Catholique (JEC) qui prône le partage. », se souvient M. Roamba dont l’engouement n’a pris aucune ride. « Si vous cherchez quelqu’un qui adore le service gratuit, si vous aviez cherché un agent de la fonction publique intègre qui préfère mourir pauvre en restant intègre, attrapez Albert Roamba à l’humour requinquant », a témoigné le frère cadet, Alexandre le Grand Roamba, journaliste et communicateur.

Sylvie et Rodrigue, deux anciens élèves aujourd’hui étudiants
Les témoignages d’anciens élèves

« J’ai bénéficié de son encadrement depuis la classe de 5e jusqu’à l’examen du BEPC. C’était en 2009. J’avais des difficultés en mathématiques. Mes professeurs ont tout essayé, mais je ne pouvais pas avoir plus de 3/20. Mais avec papa Albert, à l’examen, j’ai eu 17/ 20 et tout le monde était étonné », se souvient Sylvie Nikièma, aujourd’hui étudiante en Finances Comptabilité.

Un autre étudiant, Rodrigue Bagoro, passé sous la main d’Albert Roamba en 2009 est tout aussi séduit. « Je ne sais pas comment qualifier ce papa. Sa cour était devenue notre QG (Quartier général, NDLR). On mangeait même ici. C’est lui qui achetait les journaux de la place pour nous ses élèves pour qu’on s’informe. À l’approche des concours, il parcourt la ville avec sa Yamaha qu’il a depuis 37 ans pour nous rassembler les informations. C’est encore lui qui achète les timbres pour ses élèves-candidats afin de constituer leurs dossiers. Vraiment, on ne peut pas finir de remercier cet homme intègre et pieux. »

Un petit selfie en famille
De la peur à l’assurance

D’autres témoignages réconfortants, Albert Roamba les a entendus de la part d’anciens élèves. « Certains ont témoigné que quand le professeur posait une question, ils se mettaient sous la table pour qu’on ne les interroge pas. Mais à force de suivre les cours et d’écouter mes conseils, ce sont eux-mêmes qui corrigent souvent certains profs », anecdotise-t-il, sous les rires de ses élèves candidats au BEPC session de 2021.

Le travail, encore et toujours

Le plus grand conseil que prodigue l’encadreur à ses apprenants reste le travail : « Je leur dis de travailler. Toujours travailler. Tu ne peux pas être tout le temps aux mariages ou aux anniversaires d’un tel alors que tu as un devoir le lendemain. Il faut savoir aménager son temps. Il faut savoir ce qu’on cherche. Aide-toi et le ciel t’aidera », aime-t-il rappeler aux élèves.

Albert Roamba connu pour sa simplicité posant avec sa monture qu’il possède depuis 37 ans
La famille, son soutien

Si Albert Roamba déborde toujours d’énergie et d’engouement, sa famille y est certainement pour quelque chose. Son épouse Pascaline, en service à la Poste Burkina, et ses enfants biologiques Clémence, Dimitri et Ella lui ont constamment été d’un grand secours. Sans oublier ses autres nombreux enfants des frères et sœurs décédés ou vivants qu’il accueille et scolarise, encadre et éduque. Ses neveux qu’il a pris, très tôt sous sa coupe, sont aujourd’hui des fonctionnaires ou cadres dans le secteur privé.

Albert Roamba mérite plus qu’un article
Ce que peut le ministère de l’Éducation

Au-delà de la décoration qu’il a reçue le 10 décembre 2011 pour services rendus à la direction générale des impôts, Albert Roamba mérite mieux de la Nation. C’est un phare. Et le pays doit en être fier. Son exemple est la preuve qu’une vie au service de la communauté est possible aussi bien lorsqu’on est en activité ou à la retraite. L’Etat burkinabè pourrait trouver un cadre pour ce genre de retraités afin qu’ils puissent inculquer des valeurs et savoirs aux jeunes dont certains sont en déphasage avec les valeurs de la société.

Le ministère en charge de l’Éducation est interpellé. Des “Albert Roamba”, il en existe au Burkina. Intègres et humains. Même s’ils se comptent du bout des doigts, leur histoire doit être connue. De tous. Pour la postérité.

HFB
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