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Béchir Ben Yahmed est décédé : Le magnat de la presse panafricaine a cassé sa plume

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Publié le mardi 4 mai 2021 à 21h30min

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Béchir Ben Yahmed est décédé : Le magnat de la presse panafricaine a cassé sa plume

Le fondateur du plus vieux magazine panafricain francophone est décédé à 93 ans. Béchir Ben Yahmed laisse orphelin son journal Jeune Afrique, et ses deux fils Amir et Marwane Ben Yahmed plus jeunes que le magazine qui a la soixantaine, et qu’il avait voulu débaptiser, pour l’appeler l’Intelligent. Projet auquel il dût renoncer face au tollé général.

Ce journal a l’âge des indépendances et a accompagné plus souvent que critiqué les chefs d’État, tant qu’ils sont utiles, ou que la diffusion de Jeune Afrique est importante dans le pays. BBY a réussi la prouesse de fonder un empire de presse qui avait plusieurs déclinaisons et qui était un succès économique. Quelle était la recette du succès ?

Si le journal n’était pas intelligent, son fondateur l’était puisqu’il a su le premier faire un journal en venant de l’Afrique du nord qui sera plus lu au sud et par la diaspora. Jeune Afrique a eu des concurrents souvent sortis de son ventre, qui ont utilisé ses armes secrètes et n’ont jamais eu sa longévité.

Si le vieux chef a gardé longtemps la main sur son œuvre, que deviendra-t-elle après sa mort ? Coup d’œil à un organe précurseur, mais qui a aussi semé dans la profession les germes de la plupart des maux actuels que connaît la presse francophone.

Béchir Ben Yahmed avait deux cordes à son arc : la politique et le journalisme. Il était le plus jeune ministre de Bourguiba quand il créé son premier journal l’Action en 1956, qui deviendra en 1960 à Tunis, Afrique Action et qui deviendra un an plus tard Jeune Afrique. Mais la politique et la presse ne font pas toujours bon ménage et même si son cœur balançait, un choix s’imposera à lui. En 1962, il quitte la Tunisie, son pays natal, pour l’Italie. Deux ans après avoir déposé ses valises à Rome, il gagne Paris où les portes du succès s’ouvrent à BBY et à son journal.

Jeune Afrique a connu ses moments de gloire dans les années soixante avec des plumes célèbres comme Frantz Fanon ; il a fait des interviews d’anthologie avec Ho Chi Minh, Fidel Castro, Che Guevara, Patrice Lumumba. Et BBY a côtoyé tous les grands noms du tiers monde, lui qui était anticommuniste était aussi affable avec les « camarades » que ceux du camp de son cœur. Parmi les têtes couronnées qu’il a fréquentées, il y a « le sénégalais Senghor, l’ivoirien Houphouët-Boigny, le marocain Hassan II ou encore les français Jacques Foccart – dont il a coédité les Mémoires – et François Mitterrand. Dans les années 1960, il avait côtoyé Che Guevara à Cuba, rencontré à Hanoï, en pleine guerre du Vietnam, Ho Chi Minh, et bien connu l’Égyptien Nasser, le ghanéen Nkrumah, le congolais Lumumba et l’algérien Ben Bella. »

Le sensationnel et la proximité avec les dirigeants

Jeune Afrique avait une recette propre à lui de s’attirer la sympathie des chefs d’État africains par journaliste interposé ou par le charme du grand patron. Ainsi Sennen Andriamirado fera tout pour être dans les grâces de Thomas Sankara et compter parmi ses proches. Cela aidait Jeune Afrique à faire la concurrence avec Afrique Asie qui était le pendant de gauche du journal de droite qu’il était. Et les unes sur le leader de la révolution burkinabè se répondaient entre Jeune Afrique et Afrique Asie. Bien que ne partageant pas les idéaux de la révolution, BBY a vite vu le potentiel vendable de l’expérience burkinabè et contribuera aussi à la création médiatique qu’est Thomas Sankara.

Sennen Andriamirado et son patron sortiront très vite un livre : Il s’appelait Sankara. Chronique d’une mort violente pour exploiter ce filon que la presse continue toujours à creuser. Après avoir usé et abusé de la mort de Sankara, Jeune Afrique s’est vu doublé à sa droite par Jeune Afrique Économie, qui va se proposer comme organe de communication à l’international du régime Compaoré et qui se fera bien payer pour cela. À cette époque, c’était le journal le plus distribué gratuitement dans l’administration burkinabè. Avec le temps et à force d’approches de charmes et d’amabilités, Jeune Afrique réussira à obtenir les publicités et les publireportages du Burkina, naturellement sans la plume de Sennen.

Dans la diaspora Jeune Afrique était connu par sa proximité avec les dictateurs africains, certains le lisaient pour savoir ce que le pouvoir avait payé pour dire et rechercher le vrai à travers le faux publié, qui pouvait être le non-dit.

Jeune Afrique interdit de vente en Côte d’Ivoire

Aux derniers moments de règne d’Houphouët Boigny, Jeune Afrique sentant la fin de règne à Abidjan, avait commencé à publier des articles très critiques envers Houphouët. Celui-ci a répondu en interdisant la vente de Jeune Afrique en Côte d’Ivoire. Touché au porte-monnaie, BBY s’est fendu d’un éditorial bien senti dans « Ce que je crois » pour dire que le bilan d’Houphouët Boigny est globalement positif, ce qui a permis au journal du tunisien d’être diffusé dans le pays où il était le plus acheté. C’est avec diplomatie, en ménageant la chèvre et le chou, que le groupe Jeune Afrique Média a vécu et a prospéré, contrairement à ses concurrents panafricains Afrique Asie, Jeune Afrique économie.

Jeune Afrique est une entreprise familiale gérée comme les chefs africains ont géré nos pays, c’est entre les mains des fils à papa BBY que les rênes du pouvoir ont été transmis et à un héritier idéologique François Soudan qui connaît la recette du succès et tisse ses liens de proximité tous azimuts avec les puissants, de Gbagbo à Kagamé en passant par ‘’l’empereur’’ Sassou du Congo.

BBY est mort, vive BBY, sa recette fera bouillir encore la marmite Jeune Afrique, tant que des tyrans croiront que des mots sur papier glacé changent la nature d’un régime. Ils auraient tort, les successeurs, de ne pas voir les changements que les insurrections portent en Afrique, chassant les dictateurs au Burkina, au Mali, en Tunisie…

Sana Guy
Lefaso.net

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