LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine.” Montaigne

Visas invitation Schengen, entrée France : Aux larmes, étrangers !

Point de vue

Publié le lundi 22 juillet 2019 à 22h30min

PARTAGER :                          
Visas invitation Schengen, entrée France : Aux larmes, étrangers !

Le site Lefaso.net faisait état, il y a à peine une semaine, de la « visite » du futur ex-ambassadeur de France au Burkina Faso dans ses locaux. Voilà qui tombe bien : il y était invité, ou s’y est invité, en tout cas accueilli ; et surtout, que l’on sache, il n’y est pas resté pour y élire domicile, évidemment : selon toutes la logique et la pratique qui ne sont pas celles du coucou mais de l’invitation et de la visite comme telles.

Or, de cette évidence de l’invitation et de la visite, connue de toutes les sociétés humaines civilisées, qui veut que l’invité visiteur ne soit que de passage, l’Europe de Schengen, qui propose pourtant parmi ses visas un d’invitation contre une attestation d’accueil, en vient à la retourner contre les étrangers invités dans son espace, notamment en France ; et les suspecte toujours d’abord de ne pas vouloir quitter son territoire et son espace avant le terme de leur visite…

Comme si cette Europe-France était la seule à savoir ce qu’est une invitation et une visite à domicile. Invités, vous êtes des suspects, une menace potentielle pour le territoire français et l’espace Schengen ! Mais qui d’autre pourrait-on alors proprement « inviter » chez soi si ce n’est pas un étranger ? Il faudrait inviter ses voisins Français avec une attestation d’accueil établie en mairie, mais avec quel visa d’invités ou de visiteurs qui ait un sens ? Est-ce même de sens qu’il s’agit ? Le sens est-il même ce qui prévaut en Europe aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’étrangers non européens ?

L’amère et dégoûtante expérience est connue par plus d’un Africain en l’occurrence : vous travaillez dans votre pays et connaissez un ami, un camarade qui vous invite chez lui en France pour un court séjour de moins de trois mois. Naïvement vous pensez qu’il n’y aura aucun problème à vous rendre en France si en outre il vous offre le billet d’avion et prend en charge toutes vos dépenses, et qu’il remplit lui-même toutes les conditions d’accueil (revenus et logement décents qui donnent droit à une attestation d’accueil que vous transmet l’ami depuis la France pour demander votre visa auprès de l’ambassade de ce pays, s’il est votre première destination) :
Finalement, parfois le lendemain ou surlendemain de votre vol, vous recevrez une réponse négative pour votre visa, avec le motif invariable suivant, que vous résidiez à l’Ouest ou à l’Est de l’Afrique : « Votre volonté de quitter le territoire des Etats membres avant l’expiration du visa n’a pas pu être établie » !! Par où l’on saute et passe alors de la « capacité d’accueil » de l’invitant qui est mesurable, vérifiable et vérifiée par les mairies françaises, à la plus floue « volonté de quitter le territoire » ou non chez l’invité. Faisant ainsi, et bizarrement, porter tout le poids de l’invitation sur l’invité qui n’a rien demandé et n’a fait qu’être invité : parce qu’il est étranger.

Qu’il travaille et gagne sa vie dans son pays ne suffira pas à convaincre les ambassades françaises de sa volonté de quitter la France et l’espace Schengen à l’expiration de son visa. Au contraire, le fait même d’être invité est aussi, pour ces ambassades, une invitation à rester et s’établir en France ! Car, si la volonté de l’étranger invité de quitter le territoire n’a pas été établie, n’est pourtant pas établie sa volonté d’élire domicile en sol franco-européen !

Contre chaque étranger invité en France pèse lourdement une présomption d’immigration sans retour, clandestine. Quel sens alors, avions-nous commencé par demander, Schengen donne-t-il à la logique et à la pratique humaine de l’invitation ? Peut-être n’y a-t-il là justement pas plus d’humanité que de sens…

La France et l’Europe sont sûrement hantées autant par l’étranger que par leur propre histoire, ou les deux (hantées par l’étranger dans leur histoire) : de même que la France en l’occurrence s’est rendue en Afrique pour ne jamais complètement retourner chez elle (colonisation est le nom de cette émigration sans retour), et y reste jusqu’à aujourd’hui, après la fin de la colonisation, de même est-elle toujours déjà convaincue que tout étranger, en particulier Africain, qui se rend en France n’y va que pour y rester et y élire domicile (c’est la panique d’une « colonisation de la France » par les étrangers Africains).

De fait, cette présomption de clandestinité contre des étrangers invités dans Schengen et en France ne permet plus de distinguer la voie régulière et licite de l’illicite pour venir en Europe : humiliation et dégoût dans les deux cas. Au point qu’il paraîtrait même préférable de risquer sa vie dans une aventure migratoire irrégulière que de perdre sa dignité pour un séjour régulier de quelques semaines en France. Car, en même temps qu’est donnée la possibilité d’inviter, Schengen se voulant espace d’hospitalité et des droits de l’Homme, est aussi plus forte l’impossibilité de venir dans cet espace. On vous y invite, ou permet qu’on vous y invite, mais en même temps on fait tout pour que vous ne puissiez jamais y aller et être accueillis…

S’il n’y a là pas plus d’humanité ni d’hospitalité que de sens, il y a certainement beaucoup de souveraineté (on ne réussira pas à nous accuser de la naïveté qu’il y aurait à confondre l’invitation de voisins chez soi et celle d’étrangers dans un Etat doté de frontières), par où les grands esprits qui voient et saluent dans l’Europe la fin de la frontière et de l’Etat-nation se trompent. Pas en droit mais en fait, l’Europe est un super Etat-nation qui supprime des frontières à l’intérieur pour mieux construire une frontière plus étanche entre elle et le reste du monde (l’Afrique notamment).

La preuve en est qu’on ne peut plus distinguer aujourd’hui entre le cosmopolitisme affiché de l’Europe et le populisme qui dicte cette dure réalité des visas Schengen : L’Europe vit du populisme et du nationalisme qu’elle-même entretient démocratiquement et fait prospérer. Ainsi exige-t-on des étrangers qui demandent des visas pour la France qu’ils soient plus riches que les Français les plus pauvres, lesquels Français, en voyant des étrangers dans de meilleures conditions de vie qu’eux chez eux la France, n’en sont que plus xénophobes et racistes (« les étrangers ont tout, nous rien » !).

Non seulement le populisme et le nationalisme (que l’on prétend combattre) sont subtilement entretenus par l’Europe et la France par les conditions d’obtention des visas, mais aussi certainement les corruptions et les richesses mal acquises en Afrique ; dans cette mesure où les visas ne sont accordés qu’aux riches étrangers, mais sans se soucier jamais de l’origine souvent douteuse de leurs richesses : les ambassades vous donneront plus facilement un visa si vous avez un compte bancaire frauduleusement garni que si vous avez un salaire régulier mais faible (ce qui ne veut pas dire que tous les étrangers Africains aisés qui obtiennent des visas soient corrompus !). Puisqu’il faut avoir beaucoup d’argent pour avoir un visa, la corruption et le trafic peuvent en être des moyens lorsque les salaires sont faibles. Et ils sont le plus souvent faibles.

Ni logique du sens, ni logique de l’hospitalité, mais logique de la souveraineté dans toute sa brutalité : les dépenses liées aux démarches de demande de visa ne sont évidemment pas remboursées par les ambassades, notamment les frais de visa qui s’appellent tels même lorsque le visa est refusé : l’étranger paye alors pour un refus, pour rien ou, du moins, pour la France notamment. Les caisses des ambassades se remplissent des frais de visas refusés. Les étrangers que ces ambassades soupçonnent d’immigration clandestine (alors qu’ils ne demandent que très licitement des visas) pour leur refuser le visa, sont donc à la fois désignés comme des pauvres voulant s’installer en France et encore…appauvris, car non remboursés.

On peut mesurer ici à quel point Derrida a vu juste de penser le lien intime qui lie le souverain et la bête d’une part et, d’autre part, la démocratie et la voyoucratie : tout souverain a la possibilité d’être brutal comme une bête sans réflexion ni logique, ayant seul le droit de ne pas respecter le droit et les règles que lui-même édicte et prescrit (remplir les conditions d’accueil ne suffira jamais à l’Etat souverain français pour vous accorder un visa, conditions que lui-même pose dès le départ pourtant et dont il ne respecte pas la lettre si vous les respectez), ainsi que le droit de décider de l’exceptionnel (il décrète unilatéralement que l’étranger invité en France ne voudra pas revenir dans son pays quand son visa aura expiré, présumant qu’il n’est pas heureux chez lui, et qu’il ne pourrait l’être qu’en France et en Europe).

En cela, tout Etat ou espace d’Etats comme Schengen, même démocratique, est voyou : hors-la-loi barrant la route de ceux qui, étrangers, se déplacent sur invitation. Coupeur de route qui pille et dépouille des étrangers que lui-même présume toujours déjà pauvres.

Tous, vous (you) : voyous…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

PARTAGER :                              

Vos réactions (31)

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique