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Procès du putsch du CND : L’intégralité de la déclaration liminaire de Jean Baptiste Ouedraogo

Déclaration

Publié le mercredi 13 mars 2019 à 00h24min

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Procès du putsch du CND : L’intégralité de la déclaration liminaire de Jean Baptiste Ouedraogo

L’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo, qui a participé aux tractations lors du putsch du CND en 2015 était, le 11 mars 2019, à la barre pour livrer son témoignage. Celui qui se présente comme un « témoin privilégié », a d’entrée de jeu fait une longue déclaration appelant à tourner la page, à « laisser le passé au passé ». Nous vous proposons l’intégralité de sa « déclaration liminaire ».

Monsieur le Président du Tribunal,

Avant de me prêter à vos questions, permettez-moi, en ma qualité de témoin privilégié de partager, brièvement avec vous, le contexte et la genèse des évènements du 16 Septembre 2015, car ces évènements ont une histoire dans l’Histoire de notre pays et un contexte qui peuvent vous éclairer dans la manifestation de la vérité, de ce qui préoccupe en ce moment la nation toute entière,

Quatre ans nous séparent déjà de l’insurrection de 2014.

Je ne reviens ni sur ses causes ni sur son déroulement ni sur ses conséquences. Quoiqu’il en soit, beaucoup d’entre nous ont cru que l’heure était venue de nous retrouver pour, enfin, nous remettre en cause ; pour enfin réfléchir ensemble ; pour enfin construire ensemble le développement de notre cher pays ; pour enfin vivre ensemble dans la paix, l’unité, la sécurité, la cohésion, l’harmonie et la solidarité.

Souvenez-vous que nous avions tous à cœur que l’heure était venue de panser définitivement les plaies béantes, qui ont contribué à élargir la fracture sociale, qui a longtemps empêché le vivre ensemble, le pardon et la réconciliation, socles fondamentaux du développement de notre pays.

Nous avons pensé qu’il était temps de recouvrer les valeurs cardinales, qui ont forgé la fierté de notre nation, le courage, l’héroïsme, la bravoure et la dignité de notre Armée. Mais hélas !

Après l’insurrection, la Transition, avec une loi d’exclusion, la contestation dans les composantes de l’armée auxquelles s’ajoute la contestation politique, est passée par là, accentuant du même coup les clivages au sein de notre nation. La Transition, qui devait préparer la paix et la fin des rancœurs, des amertumes et tracer le chemin à suivre, a été, plutôt, harcelée, malmenée et presque détournée de ses objectifs.

En effet, les valeurs de référence inscrites à l’article premier même de la Charte de la Transition du 16 novembre 2014, consacraient notamment « LE PARDON et LA RECONCILIATION », « L’INCLUSION », « LA TOLERANCE et LE DIALOGUE », « LA SOLIDARITE », « LA FRATERNITE », « L’ESPRIT DE CONSENSUS et DE DISCERNEMENT » devant guider l’action de cette Transition.
Dieu merci et nous lui rendons grâce, elle a cependant réussi à nous organiser des élections.

Un nouveau régime, dans un contexte d’insécurité, d’incivisme continu et de contestation sociale accentuée, est né mais sans avoir bénéficié de l’état de grâce qu’on était en droit d’attendre en pareilles circonstances.

Dès le 15 janvier 2016, en effet, il s’est trouvé confronté à l’obstacle du terrorisme, phénomène jusque-là inconnu de notre pays. Cela l’oblige à tout concentrer et à n’investir que sur la sécurité, la préservation et la sauvegarde de l’intégrité territoriale. Obérant ainsi tout effort au profit du développement économique pourtant très attendu.

Face à une telle situation que devons-nous faire ? Que pouvons faire ? Le réflexe normal aurait été d’unir nos forces et taire nos différences pour vaincre l’ennemi commun. Car, si l’évolution de la situation devait se poursuivre dans une telle dynamique, il y a lieu de s’interroger sur notre devenir et notre avenir commun.

Pour conjurer ce sort, le minimum qui s’impose serait de reconnaître que le pouvoir s’exerce par une autorité sur un territoire, un peuple ou une nation.

Nul pouvoir ne peut s’exercer dans le chaos !

Or, un peuple, une nation c’est un tissu de cohésion, d’institutions fortes, dotées d’une armée forte, unie, disciplinée, républicaine et professionnelle.
Nul pouvoir ne peut s’exercer dans le chaos !

Pour éviter ce chaos, il faut un sursaut de conscience, d’honneur, de tolérance, de solidarité, de responsabilité et de devoir mais aussi de concessions et de sacrifices, de dignité et d’humilité, de magnanimité et beaucoup d’amour pour son prochain.

Au Burkina Faso, nous formons une seule et même communauté. Nous sommes tous de la même maison.

En cela, tous les citoyens sont interpellés : du plus petit au plus grand, du plus faible au plus fort de quelque niveau social que ce soit. La même interpellation s’adresse, surtout, à l’ensemble des acteurs politiques et à la société civile, aux communautés religieuses et coutumières car nous devons trouver, ensemble, comment sortir de « cette situation critique » aux fins d’expurger tout ce qui est contraire à la morale et à nos valeurs de justice ; d’exorciser les vieux démons de la division ; d’absoudre tous ces crimes abjects ; de pardonner, non du bout des lèvres mais du fond du cœur.

Souvenez-vous, la paix n’est pas un mot mais un comportement, et nous devons tous démontrer au quotidien dans nos paroles et nos actes que nous sommes partisans de la paix.
En somme, il s’agit de mettre fin aux ignominies que nous avons toutes les peines du monde à bannir pour tourner définitivement la page aujourd’hui.

Bref, nous avons le devoir de nous réconcilier et nous pouvons, ensemble, avec l’aide de Dieu, trouver la formule appropriée pour peu que nous y soyons disposés, car il n’y a pas d’autres issues.

Pour parvenir à un tel résultat, nous devons hisser les intérêts supérieurs de notre pays au-dessus de nos intérêts individuels.

Car, nous avons l’impérieux devoir de sauver notre nation, le Burkina Faso ! En effet, au nom de la réconciliation, les lignes les plus rigides, les principes et les théories doivent faire place au consensus pour nous permettre de construire ensemble la Nation dont nous rêvons tous mais surtout préserver celle que nous avons tous reçue en héritage.

Ce procès ne doit pas donner pas lieu à un procès de notre armée !

Dans les circonstances actuelles du pays que nous vivons, il me semble de la plus haute importance de veiller à ce que ce procès ne donne pas lieu à un procès même de notre armée, en la dépouillant, en la dénudant publiquement, ce qui serait un saccage, une destruction pure et simple. Un pays, une Nation, a besoin d’une Armée patriote, digne et forte, pétrie de valeurs et d’honneur.

Laissons, encore cachées, toutes les révélations qui participent à la désorganisation et à la déstructuration de cette institution républicaine dont nous avons aujourd’hui tant besoin pour notre sécurité et pour préserver l’intégrité même de notre territoire. L’Etat se doit, me semble-t-il, d’honorer, tant au plan moral que matériel, ceux de nos compatriotes qui mettent leur idéal et leur vie au service de la patrie. Celles et ceux qui risquent leur vie au quotidien au service du Burkina Faso méritent la gratitude de la patrie.
De plus, il est fort souhaitable que ce procès ne puisse pas rompre la chaîne de commandement si chère à toute armée.

Je souhaite dans toute la mesure du possible que nous puissions éviter de démoraliser nos valeureux soldats qui se trouvent au front, face à l’ennemi où le devoir et la discipline prévalent sur toute autre considération. Ils sont aujourd’hui les seuls garants de notre sécurité en ville comme en campagne.

Laissons donc le passé au passé

Laissons donc le passé au passé et tournons-nous vers l’avenir en pensant non pas à nous-mêmes mais à nos enfants, à nos petits-enfants, à la postérité, à l’avenir, à la pérennité de notre Nation !

Que de chemin parcouru depuis notre indépendance de 1960 à nos jours ! Dans notre acte de contrition et de désir de justice, demandons à Dieu la force de que soient leurs condamner tous les assassinats et autres crimes politiques, quelques causes.

Rien ne doit être laissé dans l’ombre. J’exhorte l’ensemble de nos compatriotes à promouvoir les valeurs cardinales de notre démocratie ; à consacrer nos moyens, notre ardeur au travail, notre rage de vaincre et nos énergies à la construction et au développement de notre pays.

Proscrivons l’apologie de la violence, la rhétorique de la division. Elles ne sauraient,
jamais, être légitimes encore moins légales. Notre salut est ailleurs et repose sur d’autres arguments unificateurs et rassembleurs.

Aucun sacrifice ne sera de trop pour préserver l’unité et la cohésion de notre nation.
Il nous appartient à tous de construire la survie de notre nation sans exclusive. Le peuple, notre peuple, a besoin de toutes ses composantes sociales, de toutes ses filles, de tous ses fils, avec des actions spécifiques pour ceux ou celles qui se sont détournés du bon chemin.

J’ai la conviction que nul ne peut contester que dans la poitrine de tout burkinabé vibre la fibre patriotique. Il suffit de savoir l’actionner, la stimuler et bien l’entretenir.

Monsieur le Président du Tribunal,

Je me suis permis ce préliminaire parce que l’occasion me paraissait suffisamment opportune pour ne pas la saisir et en profiter pour livrer ce cri de cœur qui participe, je l’espère, à l’écriture de notre Histoire commune. Au reste, et pour ce qui nous concerne, je pense être un témoin privilégié à plus d’un titre.

Il. OBJET DE LA DEPOSITION

Me fondant sur mes souvenirs de ces malheureux évènements :

J’en ai été, officiellement informé, le 16 septembre 2015, aux environs de 16h, par le Chef d’Etat-major Général des Armées de l’époque, le général Pingrenoma Zagré ;

Le 16 septembre 2015, j’ai discuté longuement avec le général Gilbert Diendéré accompagné du colonel major Boureima Kiéré durant l’interminable réunion, aux alentours de 17h, qui s’est déroulée au Ministère de la Défense et des Anciens Combattants dans le cadre de la CRAD (Commission de Réflexion et d’Appui aux Décisions de l’Armée), élargie à ma personne sur demande expresse du Chef d’Etat-major Général des Armées dont les discussions ont duré au-delà de minuit.

Entre minuit et aux environs de 2:00 heures du matin du 17 septembre 2015, nous avons poursuivi les échanges directs avec la délégation du RSP au PC du Camp Naaba Koom II en présence des chefs de ce régiment ;

En outre, j’ai eu connaissance, en ma qualité de personne ressource, d’autres informations qui sont liées, directement ou indirectement, aux évènements du 16 Septembre 2015 qui seront développés plus loin.

C’est à ces titres que je suis cité comme témoin à ce procès relatif aux évènements du 16 septembre 2015 que nous prenions pour une prise d’otages, et qui s’est finalement avérée être un putsch le 17 Septembre prise la Proclamation par la voie des ondes du CND (Conseil National pour la Démocratie).

De ce que je sais sur la genèse et le contexte de la crise qui a frappé notre pays à cette époque, il me plaît de rappeler les faits suivants :
En tant que personne ressource et lors de la première crise, survenue le 30 décembre 2014 entre l’ex-Premier Ministre, ZIDA et le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), mon concours a été sollicité par le Président de la Transition, Monsieur KAFANDO, sur la gestion des Cadres et des Primes du RSP.
Dans le cadre de la résolution de cette crise, j’ai d’abord rencontré les officiers supérieurs du RSP comprenant le Général Gilbert Diendéré, le Colonel major Boureima Kiéré et le Commandant Céleste Coulibaly qui avaient, tous, été mutés à d’autres fonctions sur instruction de l’ex-Premier Ministre ZIDA.

Ensuite, j’ai rencontré Monsieur ZlDA et le Colonel Auguste Barry, ex-Ministre de l’Administration Territoriale et de la Sécurité de l’époque.

J’ai, à cette occasion, demandé aux uns et aux autres de s’engager dans une dynamique de restructuration du RSP tout en les invitant à faire preuve de patriotisme, de responsabilité et de discipline pour ne pas gêner la Transition. Une telle dynamique réglerait, de facto, le problème de la Cohabitation et des Primes selon moi.

La deuxième crise est intervenue le 04 Février 2015 ;

Conséquence de la première crise pour promesses non tenues par monsieur ZIDA et manipulation du personnel du régiment RSP. D’ailleurs, c’est à cette date précise que Monsieur ZIDA s’est réfugié, tôt le matin au palais du Moogho Naaba pour éviter, semble-t-il, d’être pris en otage par les éléments du RSP lors du Conseil des Ministres hebdomadaire qui devait se tenir le même jour.

Mon concours a été sollicité par le Général Gilbert Diendéré qui a été le premier à m’informer de la situation par téléphone vers 09H alors que je me consacrais à mes obligations professionnelles à la clinique. Il m’a demandé de participer à une rencontre avec le Président KAFANDO à Kosyam pour les aider à trouver une solution à la crise. Cette rencontre eut effectivement lieu en présence de Monsieur KAFANDO, Président de la Transition. A l’issue des concertations, nous nous sommes répartis les rôles

Mais toutes les solutions proposées étaient, de mon point de vue, des solutions conjoncturelles, donc palliatives en lieu et place de solutions structurelles !

C’est suite à cette rencontre que le Président KAFANDO a procédé à un léger remaniement ministériel avec le départ du Colonel Barry et l’arrivée d’un autre militaire au gouvernement alors que le RSP réclamait le départ du Gouvernement de tous les ministres militaires, y compris ZIDA, afin de laisser la Transition entre les mains des seuls civils.

Pour mémoire, rappelons que c’était l’avis émis par la haute hiérarchie militaire lors de la rencontre avec le CCS. Toujours est-il que le feu semblait, de nouveau, éteint à notre grande satisfaction. Durant cette rencontre, fort houleuse et sur mon interpellation, le Colonel BARRY, voulant justifier la présence des militaires dans le Gouvernement, m’a fait lire un document « ultra secret » très confidentiel intitulé « Accord complémentaire à la Charte de la Transition » portant sur son Préambule et dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour parce que ledit document n’a jamais été annexé à la Charte de la Transition, donc n’a jamais été publié officiellement, ni rendu public d’aucune façon !

En effet, la Charte n’a pas prévu de militaires au Gouvernement (chapitre III, article 14). La présence de militaires ne peut être justifiée que par cet Accord complémentaire !

Ce document disait, en substance, que le Gouvernement de la Transition est dirigé par un Premier Ministre nommé par le Président de la Transition sur proposition des forces de défenses et de sécurité et en concertation avec les forces vives. Et d’ajouter que la personnalité civile ou militaire proposée par les forces de défenses et de sécurité est nommée premier ministre. Cet accord secret stipule en outre la procédure de nomination du Secrétaire Général du Gouvernement, ainsi que la liste des départements ministériels. Ceci est conforme à la Charte. Ce qui n’est pas le cas de l’Accord complémentaire !

En principe, cet Accord était présumé avoir été signé le 16 Novembre 2014 par les partis politiques affiliés au CFOP, les autres partis politiques, les organisations de la société civile, les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les autorités religieuses et coutumières, date d’adoption de la Charte elle-même ! Interrogés, plusieurs des supposés signataires de la Charte de la Transition ne reconnaissent pourtant pas avoir participé ni à l’élaboration ni à la signature d’un tel Accord complémentaire. Il s’agissait, manifestement, d’un document « arrangé ou occulte », en tout cas très secret, donc faux car les considérants dudit accord sont différents de ceux figurant dans le préambule de la Charte !

 le Président KAFANDO était chargé de convoquer la haute hiérarchie militaire pour poser le problème de la gestion des crises au sein de l’armée et de la restructuration du RSP ;

 le général Gilbert Diendéré était chargé d’aller calmer la furie des éléments du RSP au Camp Naaba Koom II ;

 moi, j’étais chargé de me rendre au palais du Moogho Naaba afin de convaincre ZIDA de quitter ce lieu de refuge et de lui donner l’assurance qu’aucune action malveillante n’était envisagée, ni ne serait entreprise à son encontre et qu’il pouvait quitter le palais du Moogho Naaba et rejoindre sa résidence préalablement sécurisée par les soins du Général Gilbert Diendéré.

ZIDA a, effectivement, quitté le palais du Moogho Naaba mais est allé à la Place de la Nation pour y rencontrer des OSC.

Chacun d’entre nous a rempli sa mission et la crise semblait avoir été jugulée. C’est après cette crise, en effet, que la décision de procéder à une restructuration du RSP a été prise et confiée aux soins de l’Etat-major Général des Armées. Une Commission de Réflexion sur cette Restructuration a, alors, été mise en place. La Commission a produit son rapport qui, malheureusement, n’a été ni amendé ni exploité. Ce rapport est disponible pour votre information.

La troisième crise est survenue le 28 Juin 2015.

Il s’agissait du vrai ou faux complot de projet d’arrestation de ZIDA par le RSP à son retour de Taïwan.

Après la résolution de la crise grâce au concours de nombreuses personnes ressources dont je faisais partie, les échanges et les concertations avec le Président KAFANDO ont conduit à la décision de régulariser la création du Cadre de Concertation de Sages (CCS), qui a été rendu public par le décret du 15 Juillet 2015. Ce CCS, chargé de trouver une solution à la crise de juin, est un organe de médiation ayant pour mission d’œuvrer, en tant que de besoin, au rapprochement des positions des acteurs politiques, militaires et civils.

De nombreuses rencontres ont, effectivement, eu lieu avec les forces vives de la Nation pendant et après cette crise. Au cours de la réunion de l’après-midi du 13 juillet 2015, le CCS, après avoir rencontré le RSP, la Société Civile et la hiérarchie militaire, a entendu, d’une part, le Général Gilbert Diendéré, à la tête d’une délégation du RSP, et d’autre part, ZIDA accompagné des trois ministres militaires de la Transition. En somme un face à face entre les vrais protagonistes des crises. Le CCS leur a demandé de tout entreprendre pour mettre définitivement un terme aux multiples crises entre le RSP et ZIDA. Chaque partie a donné sa version des crises successives et le CCS a œuvré pour l’apaisement des tensions.

Ce document ne devait, donc, pas être connu, encore moins, publié ! Vu l’importance de l’information j’ai partagé ce document avec une personnalité du CCS et nous avons décidé de porter l’information à deux autres personnalités de la Transition. Par la suite et d’un commun accord, nous avons décidé de taire cette nouvelle affaire pour ne pas mettre de l’huile sur le feu très brûlant de la Transition !

Cette révélation pour dire que nous ne pouvons pas tout juger au risque de paralyser l’Etat ; car des dessous, il y en avait Et chaque affaire, crapuleuse ou politique en cache bien souvent une autre ! La politique étant ce qu’elle est, les agendas cachés, il y en avait probablement ! S’agissant des ambitions politiques, il y en avait aussi et à profusion ! Comme vous le savez en pareilles circonstances, les complots et autres intrigues de palais, il y en avait également et en abondance !

La ruée vers les divers Eldorados subits, il y en avait ! Mais rien de tout cela ne peut justifier un coup d’Etat. Au contraire, le RSP devait se surpasser et sécuriser, autant que faire se pouvait, le Président de la Transition contre toute forme de menaces. C’était sa vraie et unique mission !

La quatrième crise est celle du 16 Septembre 2015.

C’est d’abord l’événement de la prise d’otages de l’Exécutif, qui s’est révélé par la suite être un coup d’Etat.

Ce procès, au-delà de ses composantes pédagogique et répressive, devait offrir une tribune pour une éducation civique et politique dans l’objectif de cantonner définitivement les politiques dans la politique et les militaires dans leur mission traditionnelle de défense et de sécurité de notre nation. Dans cette dynamique et bien qu’il s’agisse de justice, j’en appelle à une clémence exceptionnelle du tribunal pour éviter de cristalliser davantage les meurtrissures, les rancœurs, les amertumes, les désillusions, les vengeances et les représailles.

En particulier, une telle clémence s’appliquera légitimement à tous ceux que le devoir militaire et la légitime crainte des représailles ont été obligés ou contraints d’exécuter des ordres militaires. Ne le comprendrait ni ne le tolérerait que celui qui n’a pas vécu la douloureuse situation d’un tel dilemme.

Cette clémence, par ailleurs, ne signifie pas exclusion ou déni de justice à l’égard des victimes et de leurs ayants-droit, Bien au contraire, elle doit, être assortie de la juste et légitime réparation due par l’Etat qui, en définitive, est l’unique responsable de ces tragiques événements pour n’avoir pas pris les mesures, en temps utile, afin de les prévenir ou les empêcher.

J’ajouterai, en outre, qu’elle pourrait ouvrir la voie à cette cohésion nationale et à cette réconciliation nationale que nous recherchons depuis des décennies appelons de tous nos vœux car nous sommes tous des agents de la réconciliation de notre nation.

Mon témoignage participe de mon désir de consolidation de notre nation

En ma qualité d’ancien président de ce pays, et au-delà des aspects judiciaires de la procédure, mon témoignage devant vous, et vous l’aurez bien compris participe de mon désir de consolidation de notre nation, de notre démocratie, de la concorde nationale.

Comme vous le savez, je n’avais manifestement pas ma place au sein de la Commission de Réflexion et d’Appui aux Décisions de l’Armée (CRAD), une structure strictement militaire et qui aurait justifié ma présence à ce procès en qualité de témoin.

J’ai été convié à cette réunion de la CRAD par le Chef d’Etat-major Général des Armées et qui s’est déroulée le 16 Septembre 2015 de 17 Heures à 03 Heures 30 du matin le 17 Septembre 2015. Et cela, au titre de membre du Cadre de Concertation de Sages (CCS). En effet, Monseigneur Paul Ouédraogo en assumait la présidence tandis que le général Pingrenoma et moi en étions membres.

Je vous remercie, Monsieur le Président du Tribunal, de m’avoir permis de livrer ce message préliminaire !

Répondant, donc, à l’appel « au secours » du Chef d’Etat-major Général des Armées, je me suis rendu dans son bureau où j’ai été informé, officiellement, de l’arrestation de l’Exécutif ce jour 16 Septembre 2015.

Après la petite séance d’information, nous avons pris la direction du ministère de la Défense et des Anciens Combattants situé à Ouaga 2000 où, sur l’initiative du Général Gilbert Diendéré, une réunion avait été convoquée.

Il était presque 17h lorsque la réunion a commencé. Etaient convoqués à cette réunion les membres de la Commission de Réflexion et d’Appui aux Décisions (CRAD). J’étais le seul civil au début de la réunion ; le reste de l’assemblée était composé d’Officiers Généraux, de Colonels-majors et de colonels.

Le Général ZAGRE, Chef d’Etat-major Général des Armées, prend la parole, annonce que la réunion a été convoquée à l’initiative du Général Gilbert Diendéré et lui passe la parole. Celui-ci situe l’objet de la réunion en confirmant l’arrestation de l’Exécutif de la Transition par les éléments du RSP et s’empresse de demander à la haute hiérarchie de l’Armée d’en assumer la responsabilité.

A travers les échanges entre le Général Diendéré, assisté du colonel major Kiéré et le groupe de la CRAD, deux questions préalables, avant toute discussion, ont été posées au général Gilbert Diendéré :

• Première question : pourquoi cette arrestation, où était-il lui, et comment a-t-il appris les faits ?

• Deuxième question : quelle autre unité de l’armée a participé ou a soutenu jusque-là l’acte posé par le RSP ?

Les sous-officiers et les hommes du rang ont été très bavards et très prolixes en griefs contre la Transition, contre le Premier Ministre ZIDA, contre Monseigneur Paul Ouédraogo et contre moi-même. Mais leurs récriminations et leurs revendications étaient surtout d’ordre corporatiste.

Quant aux officiers, seuls deux officiers subalternes ont abondé dans le sens de leurs hommes ; les officiers supérieurs n’ont pas pris la parole. De nos échanges avec les sous-officiers, nous avons compris qu’il s’agissait, cette fois, plutôt d’un coup d’Etat que d’une simple prise d’otages. Ceux-ci nous ont même proférés des menaces lorsque nous insistions et persistions dans la tentative de faire entendre raison face aux conséquences incalculables de l’acte posé, surtout s’il s’avérait être un coup d’Etat.

De guerre lasse, nous avons demandé à rejoindre le ministère pour faire le compte rendu de notre mission aux autres membres de la CRAD restés là-bas, refusant de prendre position sur un coup d’Etat. Il était presque 02 heures du matin.

De retour au ministère de la Défense et des Anciens Combattants, le compte rendu fidèle a été fait aux autres membres de la CRAD.

La parole a, ensuite, été donnée au Général Gilbert Diendéré pour nous clarifier sa position face aux déclarations des éléments du RSP. C’est à cet instant qu’il nous a avoué que les éléments étaient en train de rédiger un écrit. Nous lui avons, alors, demandé de nous faire lire cet écrit pour une meilleure compréhension de la situation. A cet effet, il envoya le Colonel-major Boureima Kiéré qui revînt en compagnie du Capitaine Abdoulaye Dao, tenant ledit document. Le Général a fait lire le contenu de l’écrit par le Colonel-major Kiéré. Il était, environ, 03 heures du matin.

A la fin de la lecture de l’écrit qui portait la date du 16 Septembre 2018, nous avons pris la parole pour dire que la déclaration s’apparentait à un projet de Proclamation de coup d’Etat et suggéré de modifier la date car, à 03H du matin, nous étions le 17 Septembre et non plus le 16 Septembre.

Monseigneur Paul OUEDRAOGO et moi-même avons alors déclaré que s’il s’agit d’un coup d’Etat, nous n’avions plus notre place dans les négociations. Nous demandons, alors, au Chef d’Etat-major Général des Armées de nous faire raccompagner chez nous. Il était 03H30 du matin et je suis arrivé chez-moi vers 04 heures du matin le 17 Septembre. C’est dans la matinée du 17 Septembre 2015, que j’ai appris la Proclamation du Conseil National pour la Démocratie (CND) par la voie des ondes.

En tant que civils, aux côtés des membres de la CRAD, notre action a été guidée par un devoir patriotique pour préserver la paix sociale dans notre Pays. Nous n’avons repris cette servitude qu’avec l’arrivée des chefs d’Etat.

En réponse à la première question, le Général Gilbert Diendéré a égrené des griefs politiques contre la Transition. Ensuite, il a affirmé qu’il se trouvait chez lui et que des éléments du RSP étaient venus l’informer et le chercher. En réponse à la deuxième question, il a répondu qu’aucune autre unité militaire n’a participé ni soutenu l’acte posé par le RSP.

Nous étions, donc, face à la situation suivante :

 Une arrestation de tout l’Exécutif de la Transition ;
 Une absence de déclaration officielle clarifiant la situation.

Face à cette situation, la CRAD, étendue à ma personne, a considéré qu’il s’agissait d’une énième saute d’humeur du RSP sous la forme d’une prise d’otages et qu’il fallait négocier, à défaut d’exiger, la libération immédiate des otages.

Les otages étaient constitués, au départ, de l’ensemble de l’Exécutif, à savoir le Président de la Transition, le Premier Ministre et tous les membres du Gouvernement. Par la suite, un tri a été opéré.

Ils étaient détenus au Palais de Kosyam selon l’information donnée par le Général Gilbert Diendéré.

Nous nous sommes assigné la mission de faire libérer les otages. Aussi, face à la situation politique confuse, avons-nous demandé de :

• Libérer le Président KAFANDO, le Premier Ministre ZIDA et les membres du Gouvernement encore détenus ;

• Faire diffuser un message au nom des Forces Armées Nationales pour informer la nation et clarifier la situation ;

• Mettre en place un organe de médiation et de suivi.

C’est au cours de ces négociations que Monseigneur Paul Ouédraogo est arrivé de Bobo entre 21H et 22H.

Face au refus du RSP de libérer les otages et face au refus de la haute hiérarchie de l’Armée d’assumer la responsabilité de cette prise d’otages et fatigués des nombreux va-et-vient entre les deux officiers du RSP et les éléments du RSP cantonnés au camp Naaba Koom Il, nous avons fini par demander à rencontrer une délégation du RSP à sa base. Il était, déjà, minuit passée. La délégation désignée pour cette rencontre était composée du Chef d’Etat-major Général des Armées, le Général Pingrenoma Zagré, du Colonel-major Alassane Moné, de Monseigneur Paul Ouédraogo et de moi-même. Nous y sommes allés escortés par les éléments du RSP. Nous les avons écoutés.

A partir du 21 Septembre 2015 :

• Notre action, à ce niveau, était de tout faire pour éviter les affrontements fratricides en pleine ville de Ouagadougou qui aurait pu provoquer des massacres et des dégâts aussi importants qu’imprévisibles tant à Ouaga 2000 que dans les autres quartiers de la ville. Heureusement, l’entêtement du Général Gilbert Diendéré a fini par provoquer la désertion et la reddition de la plupart de ses officiers et d’une bonne partie de ses hommes, permettant l’encerclement et la neutralisation de ce qu’il restait du RSP sans grands dommages le 29 Septembre 2015.

• Depuis la proclamation du coup d’Etat, j’ai rencontré le Général Gilbert Diendéré une seule fois durant ma mission auprès de la CRAD pour lui faire lire un message de reddition afin d’éviter l’affrontement entre les deux fractions de l’Armée. C’était dans un bureau à Kosyam et en compagnie du Chef d’Etat Major Général des Armées et du Secrétaire Général du ministère de la Défense. Il s’agissait de convaincre le Général Gilbert Diendéré de lire un message de soumission du RSP au Commandement de l’armée aux antennes de la Radiodiffusion-Télévision nationale. Ce message avait été élaboré par la CRAD.

❖ Cette rencontre s’est tenue à Kosyam le 21 Septembre 2015 et le message devait être lu à la Salle Polyvalente de Kosyam face aux caméras et aux micros de la Radiodiffusion-Télévision Burkinabé.

Ce message n’a pas été lu dans son intégralité car il a été volontairement tronqué par le Général Gilbert Diendéré, qui a amputé les parties qui n’étaient pas favorables ni à lui ni au RSP lorsqu’il nous a quittés pour discuter avec son secrétariat.

❖ D’autres actes individuels ont été posés : il s’agit des interventions de plusieurs personnes dans le but de vaincre l’entêtement du Général Gilbert Diendéré pour éviter l’affrontement fratricide qui semblait imminent. C’est le cas du Général Pingrenoma Zagré et de l’Ambassadeur des Etats Unis d’Amérique, Son Excellence Tulinabo S Mushingi avec lesquels j’ai beaucoup échangé au téléphone le 29 Septembre 2015. Les tractations avaient pour but, ce jour, de convaincre le Général Gilbert Diendéré d’ordonner à son dernier carré de résistants (environ 130 soldats) de déposer les armes pour éviter d’être massacrés au cours de l’assaut ordonné par le Général Pingrenoma Zagré aux autres garnisons de l’armée qui avaient encerclé le camp Naaba Koom

Nous avons fini par obtenir ce geste de reddition de la part du Général Gilbert Diendéré en contrepartie de l’assurance de sa propre sécurité. Le coup de grâce a été obtenu juste après la première détonation déclenchée par les autres garnisons.

❖ Le Général Diendéré a, alors, souhaité prétendument se rendre à l’Ambassade des Etats Unis pour appeler par voie de presse ses hommes à déposer les armes en signe de reddition mais un refus lui a été opposé par l’ambassadeur Tulinabo au motif qu’il n’a pas reçu le OK de Washington.

Finalement, son message a été diffusé sur les ondes de radio Oméga aux environs de 17h. Après cette déclaration le Général ZAGRE ordonna aux autres garnisons de l’armée de surseoir au bombardement du Camp Naaba KOOM II. Les troupes dissidentes n’ayant pas tous entendu l’appel du général DIENDIERE, j’ai appelé le Colonel KIERE pour lui demander de transmettre les ordres du Général au reste des soldats du RSP pour qu’ils déposent les armes et se rendent afin d’éviter d’être massacrés.

Après quoi, nous lui avons proposé la Nonciature comme refuge afin qu’il puisse s’y rendre par ses propres moyens. En lui accordant l’asile, le Nonce Apostolique a permis le dénouement pacifique de la crise, ce dont je lui suis reconnaissant en ma qualité d’ancien président ce pays.

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