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Procès du putsch manqué de 2015 : Pour le journaliste Sita Tarbagdo, « les faits sont têtus »

LEFASO.NET | Par Etienne Lankoandé

Publié le lundi 16 septembre 2019 à 21h32min

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Procès du putsch manqué de 2015 : Pour le journaliste Sita Tarbagdo, « les faits sont têtus »

Dans le milieu de la presse, ses confrères et consœurs l’appellent affectueusement « le Doyen ». Pas parce qu’il est le plus ancien des journalistes burkinabè, mais tout simplement par respect pour ce qu’il a été et est pour le journalisme au Burkina Faso. Aujourd’hui à la retraite, Sita Tarbagdo continue de s’intéresser à l’écriture. Il vient de terminer la rédaction d’un ouvrage sur le procès du putsch manqué de septembre 2015. Pour en savoir plus, nous l’avons rencontré.

Lefaso.net : Vous avez produit tout récemment un document de référence sur le procès du putsch manqué de septembre 2015. De quoi s’agit-il exactement ?

Sita Tarbagdo : Ce que vous appelez production de référence est en fait un document portant sur le procès du dossier du coup d’Etat manqué de septembre 2015. Il est intitulé « Chronologie d’un procès de putsch manqué : Les faits sont têtus ». L’œuvre se veut, comme vous l’avez dit, un document de référence sur « le déroulement du procès » tel que conté au jour le jour, par la presse nationale et internationale.

Pour l’essentiel, le lecteur du document y trouvera entre autres, « le show des avocats avant d’entrer dans le vif du sujet, les interrogatoires des accusés, la parole aux témoins, les éléments de preuves apportés, la parole aux victimes, les plaidoiries des parties civiles et de la défense, les réquisitoires du ministère public, les mémoires en défense des accusés et l’intime conviction des juges ».

La production de votre document répond à quels objectifs exactement ?

En produisant ce document, mon intention n’est nullement de refaire le procès, en accablant ou en dédouanant tel ou tel accusé. Cela ne relève pas du tout de mes compétences. Ce qui relève de mes compétences, c’est plutôt l’exploitation minutieuse et judicieuse de la presse nationale et internationale pour fertiliser et nourrir la réflexion sur diverses thématiques sur ce procès historique du coup d’Etat manqué de septembre 2015, un procès qui a valeur de pédagogie.

Mon travail, je le veux ancré dans la mémoire collective et au service des entités comme l’armée, les facultés de droit, les cabinets d’avocats, les organisations non-gouvernementales, les sociétés civiles, les structures de défense des droits de l’homme, etc. C’est un document que je conseille aussi aux étudiants qui veulent enrichir la réflexion sur le procès du putsch de septembre 2015. Je peux dire donc que ce sont toutes ces raisons qui m’ont motivé à produire ce travail.

Mais, comme vous le savez, malgré la force de ma bonne foi dans l’exploitation des documents et le suivi du déroulement du procès, certains esprits verront toujours des poux sur une tête rasée ! Si vous devez tenir compte de cela, vous n’allez jamais entreprendre.

Votre document repose en grande partie sur le regard de la presse dans sa diversité, quant au déroulement au quotidien du procès. Quelle est votre part de contribution ?

La source de mon travail, c’est le procès en lui-même. Les audiences au jour le jour m’ont servi de repère. Et comme vous le savez, qui mieux que la presse a porté ces audiences quotidiennes sur la place publique ? Par conséquent, cette presse ne pouvait être qu’une source pour moi dans le cadre de ce travail sur le procès.

A toutes les sources médiatiques référées dans le présent document, je formule mes vœux de succès et témoigne toute ma reconnaissance et mes remerciements confraternels. Merci à la presse nationale et internationale dont les différents reportages sur le procès ont contribué à le faire connaître et à rendre visible le déroulement des audiences. C’est un travail de grande valeur, dans le sens de répondre au droit précieux du public à l’information.

A juste titre, vous vous demandez quelle est alors ma part de contribution ! En tant que journaliste, même si je suis à la retraite, je me considère toujours comme un historien du présent. La présente œuvre vise tout simplement, comme dirait le célèbre écrivain burkinabè Maître Titinga Frédéric Pacéré, à « ajouter de la terre à la termitière ». Pas parce que la termitière ne vit pas ; mais pour, dira-t-il, « ajouter de la terre à la Terre ».

Avec donc la conviction d’avoir fait œuvre utile, je formule à l’endroit des animateurs et animatrices de ce procès que sont les juges, les assesseurs, le greffe, les avocats des parties civiles et de la défense, le parquet militaire, les accusés, les témoins, ma reconnaissance pour avoir chacun joué sa partition. Au service d’ordre sous la coupe et la vigilance de qui, le procès s’est tenu sans perturbation aucune, tout mon respect et ma considération. Au-delà des divergences d’appréciations que les uns et les autres ont de ce procès, soyons unanimes à reconnaître qu’il s’est tenu. Cette page dans l’histoire du Burkina Faso, personne ne peut l’effacer.

En quoi votre document sur le procès est-il une référence sérieuse et d’intérêt ?

Le document en question fait 642 pages (format A4). Pour sa réalisation, j’ai consulté 1 788 sources, essentiellement des comptes-rendus de presse sur les audiences du procès. Dans ce document, j’ai essayé d’éviter autant que possible mes commentaires personnels. Je me suis contenté de relater les audiences telles qu’elles se sont déroulées. La prouesse a été que j’ai terminé le document 30 minutes après l’énoncé du verdict par le tribunal.

C’est dire donc que je travaillais au même rythme que le tribunal, avec parfois des moments de fatigue. Il faut dire que les périodes de longues suspensions de certaines audiences, pour divers motifs, ont été pour moi des moments de rattrapage des retards constatés dans le cheminement de mon travail de rédaction. Comme quoi, à quelque chose, malheur est bon ! Aujourd’hui, je savoure le fruit de mes efforts. Ça n’a pas du tout été facile, parce qu’il m’a fallu gérer intelligemment mon temps pour ne pas pénaliser mon travail quotidien aux Editions « LeFaso ».

Si ce n’est un secret, peut-on avoir une idée des retombées ?

Quand je parle de la saveur du fruit de mes efforts, c’est pour le moment au plan moral. Parce que, par manque de moyens, l’œuvre n’est pas encore éditée. Je profite lancer un appel aux bonnes volontés qui ont le souci de la bonne cause, de se joindre à l’effort d’édition de cette œuvre. Pour les besoins de mes propres archives et pour des raisons de présentation aux éventuels éditeurs, j’ai imprimé trois exemplaires dudit document. Mais j’ai bon espoir que les bonnes volontés vont se manifester, parce que c’est un document d’archive nationale d’intérêt et d’attrait.

Plus de 600 pages à lire, n’est-ce pas fastidieux ?

La lecture de 642 pages est moins fastidieuse que la rédaction de ces pages. Je pense que ceux et celles qui y ont intérêt, pour une raison ou une autre, les liront avec plaisir. Pas à la manière d’un roman certes, mais pour exploitation aux fins de recherches ou pour se remémorer les grandes étapes du procès.

Moi, je n’ai écrit que 642 pages ; mais ceux qui ont eu à dérouler le procès ont eu à se pencher sur 15 000 pages. Eux, n’ont eu besoin que de 18 mois seulement pour achever le travail ; mais pour parcourir les 642 pages de mon document, s’il est édité, le lecteur qui s’en procurera aura tout son temps pour le consulter, même en sirotant ce que vous savez ou devinez aisément.

En quelques mots, qu’est-ce que vous retenez de ce procès qualifié d’historique ?

Ce n’est pas un procès « qualifié d’historique », c’est un procès historique. De ce que ce procès m’enseigne, ma mémoire retiendra pour toujours cette maxime : « Nul n’est au-dessus de la loi ». A bon entendeur…

En dehors de cette production sur le procès du putsch de septembre 2015, avez-vous d’autres productions dans vos tiroirs ?

Bien sûr ! J’ai en attente d’édition, deux ouvrages. Le premier est intitulé « Capitaine Sankara : La chevauchée inachevée d’un ‘’fou’’ ». Il y est question du président du Conseil national de la révolution, le capitaine Thomas Sankara, depuis ses premiers pas en politique jusqu’à son assassinat le soir du 15 octobre 1987. C’est un leader, un visionnaire pour qui, je suis resté attentif et admiratif. Sa chevauchée, à la manière de l’Etalon de Yennenga, m’a beaucoup impressionné.

Même si dans le rétroviseur de l’histoire, elle a un arrière-goût d’inachevé. Mais son œuvre, quoique inachevée, mérite aussi d’être inscrite dans les annales de la mémoire collective. Le document de 776 pages (avec des illustrations) que j’ai produit, est une sorte de passage de témoin entre la vieille génération, qui a connu le président Sankara, et les jeunes générations qui ne l’ont pas connu et qui, à travers ce qu’ils ont entendu et/ou lu de lui, épousent le phénomène Sankara et la révolution d’août.

Le deuxième document est intitulé « El Hadj Oumarou Kanazoé : l’univers d’un milliardaire burkinabè exceptionnel ». Il fait plus de 500 pages dont beaucoup d’illustrations.
En projet, je suis sur un document dont je ne veux pas révéler pour le moment le contenu, parce qu’en voie de construction.

Sur votre production de plus de 600 pages sur le procès, il est mentionné « Tome 1 ». Qu’est-ce à dire ?

Comme vous le savez, la première phase du procès est terminée. Mais le procès en lui-même n’est pas clos. Car les condamnés ont jusqu’au mardi 17 septembre 2019 (si mon calcul est exact) pour interjeter appel. Je n’ai pas encore le point sur le nombre des appels mais je suppose que certains en feront usage. Si tel est le cas, il y aura matière à produire un Tome 2. Sans oublier le rendez-vous du 22 octobre 2019, avec au menu « le jugement sur les intérêts civils et les demandes de réparation ». Il y a donc de quoi produire un Tome 2, même s’il ne sera pas aussi volumineux que le Tome 1.

C’est dire que votre retraite n’est pas de tout repos !

Effectivement ! Ma retraite est mise à profit pour écrire et pour former et encadrer. Ecrire pour la mémoire du Burkina Faso, former les jeunes journalistes à la pratique journalistique selon les règles de la profession, et encadrer ma propre vie selon un axe cardinal de principes et de convictions, avec bien sûr mes forces et mes faiblesses.

Et pour toujours maintenir la flamme de l’écriture en moi, après près de 34 ans passés dans la pratique journalistique, surtout aux Editions Sidwaya, j’alimente aujourd’hui mon encrier à l’encre du journal en ligne « Lefaso.net », à l’ombre d’un des rares « chamo, pardon Samo » que je respecte (Cyriaque Paré, fondateur de Lefaso.net, ndlr).

Tant que je serai bien portant (par la grâce de Dieu), je m’efforcerai à retarder le plus possible la retraite sur une longue chaise. Mais ça viendra certainement avec l’âge. En attendant j’ai encore toutes mes facultés pour écrire.

On a du plaisir à vous écouter, mais toute chose a une fin…

Comme vous le dites si bien, et pour aller dans le sens de l’honorable professeur Laurent Bado, « Toute chose a une fin, même les décadences ». Pour conclure cet entretien, permettez-moi, au nom de la confraternité, de formuler à l’endroit de mes confrères et consœurs de la presse, à mes aînés dans la profession, des vœux de succès. En réflexion, je lance à la méditation, cette pensée héritée de mes valeurs ancestrales : « Le plus souvent, ceux qui parlent ne savent pas et ceux qui savent ne parlent pas ». J’ai parlé… Soyons toujours fidèles au rendez-vous de l’histoire qui est reconnaissante.

Entretien réalisé par Etienne LANKOANDE
Lefaso.net

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