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Coup d’Etat de septembre 2015 : Dans l’attente des indemnisations...

Publié le jeudi 17 septembre 2020 à 23h21min

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Coup d’Etat de septembre 2015 : Dans l’attente des indemnisations...

En septembre 2015, Bazié Badama reçoit une balle dans le dos alors qu’il discutait avec des amis près de la cour familiale, au quartier Nonsin de Ouagadougou. Il meurt pendant son transfert à l’hôpital. Il fait partie des quatorze personnes tombées pendant le coup d’Etat de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle. Lors de son inhumation, vendredi 9 octobre 2015, son frère, Patrice Bazié avait déclaré : « Le plus grand hommage que l’on puisse rendre à ces martyrs est de rendre d’abord la justice, ensuite la justice et enfin la justice ». Eh bien ! Justice a été rendue en 2019. Plusieurs accusés ont rejoint les geôles mais les familles des victimes, elles, attendent toujours les réparations civiles depuis maintenant un an.

Qu’il fut long le chemin parcouru par les familles des quatorze victimes et des 251 blessés du coup d’Etat de septembre 2015, après un procès de 18 mois que beaucoup pronostiquaient expéditif, devant la Chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou. Au bout de cette si longue attente, des peines d’emprisonnement pour les uns et un soulagement pour les autres. « L’objectif des parties civiles n’était pas que des gens soient condamnés à mort mais d’aboutir à ce qu’au moins justice soit rendue, qu’on puisse entendre toutes les parties, qu’il y ait des confrontations et qu’il y ait un verdict de condamnation de principe qui reconnaisse que des gens ont posé des actes répréhensibles », a indiqué Me Prosper Farama, que nous avons rencontré à son cabinet, le mercredi 16 septembre 2020.

Vue intérieure de la salle d’audience aux premières heures du procès

Près d’un milliard de francs CFA à titre de dommages et intérêts

La tenue du procès ? Patrice Bazié confie avoir douté car deux généraux, Djibril Bassolé et Gilbert Diendéré, et bien d’autres personnalités politiques attendaient sur le banc des accusés. Aujourd’hui, relativement satisfait du verdict prononcé par le juge Seidou Ouédraogo, sa seule inquiétude demeure l’indemnisation des parents des victimes qui traine toujours. Les accusés du putsch ont été condamnés à payer « solidairement » aux parties civiles 947 279 507 F CFA à titre de dommages et intérêts. Patrice Bazié aurait préféré que les réparations civiles soient exécutées par l’Etat et non par les accusés. « Ce n’est pas toujours facile de perdre un être cher. On ne peut pas quantifier la vie humaine. Quelle que soit la condamnation, cela ne pourra jamais réveiller les morts. Mais demander aux accusés d’indemniser les familles des victimes ne sera pas simple », confie le frère ainé de Bazié Badama, élève décédé pendant le coup d’Etat.

Patrice Bazié, frère aîné du défunt Bazié Badama

De la solvabilité des accusés

« Nous avions déjà ouvert le débat en demandant à ce que l’Etat soit condamné en tant que civilement responsable. Nous avons été très surpris, je l’avoue, de voir que cela n’a pas été retenu. Pourtant, ça s’est déjà passé dans l’histoire judiciaire du Burkina Faso. Vous vous souviendrez que dans l’affaire David Ouédraogo et autres contre l’Etat burkinabè, des militaires à l’époque du RSP (Régiment de sécurité présidentielle, ndlr) dans le cadre de leurs fonctions, en sont arrivés à commettre un meurtre et des coups et blessures sur des individus. Ils ont été jugés, condamnés. Rappelez-vous, l’Etat avait été condamné comme civilement responsable. Et il a payé », explique Me Prosper Farama.

Pour l’avocat des parties civiles, condamner les accusés à indemniser pose le problème de la solvabilité, de la chance même des victimes de se voir un jour indemniser. « Ce n’est pas tant que ceux qui ont été condamnés ne sont pas solvables mais tout le monde sait qu’ils ont organisé depuis l’insurrection leur insolvabilité », note Me Farama. Selon lui, même si les deux généraux paraissent plus solvables, la justice ne peut rien saisir « qui puisse être à la hauteur des condamnations ».

Me Prosper Farama, avocat des parties civiles

« L’Etat est responsable »

A l’entendre, l’Etat aurait dû parallèlement entreprendre un processus pour indemniser au lendemain du coup d’Etat les personnes ayant été victimes et qui « se sont sacrifiées pour la Nation ». « L’Etat doit assurer la sécurité des personnes et des biens. C’est une obligation de résultat et non une obligation de moyens. C’est-à-dire que l’Etat ne peut pas s’en dédouaner en disant : « J’ai fait ce que je pouvais ». Non. Lorsque le résultat n’est pas atteint, l’Etat est responsable. Et tant qu’il est responsable, il doit prendre des dispositions pour indemniser les victimes », martèle Me Prosper Farama.

L’autre solution peu pratique

Les indemnisations étant liées à l’appel, elles sont donc suspendues. Mais selon Me Farama, la justice peut bien prononcer une exécution provisoire mais, précise-t-il, « c’est rare en matière criminelle ». Pourquoi ? Selon l’avocat, c’est un gros risque que de dire à un accusé de payer en sachant qu’il a fait appel et qu’il peut être disculpé. « S’il est disculpé alors qu’il a payé avant, c’est bien sûr un processus de remboursement qui doit être mis en œuvre. Mais ce n’est pas pratique », indique l’avocat des parties civiles.

A la barre, accusés, témoins, expert et parties civiles se sont succédé durant près de 18 mois

La leçon à retenir

En attendant l’éclaircie, Me Prosper Farama retient la morale du coup d’Etat et du procès qui s’en est suivi. « Qui qu’on soit, on doit savoir que le seul mode de dévolution du pouvoir au Burkina acceptable par le peuple burkinabè, c’est le peuple. Si vous faites fi de ce mode dévolution et que vous alliez avec les armes à la conquête du pouvoir, vous aurez le peuple face à vous. Je crois que beaucoup de Burkinabè l’ont intériorisé. Malheureusement, j’ai l’impression que ceux qui sont au pouvoir aussi l’ont mal intériorisé. Cette situation les amène à croire qu’ils peuvent passer à côté des règles minimum de bonne gouvernance qui garantissent à tout le monde y compris ceux qui sont au pouvoir, cette garantie. Il n’y a rien de définitivement acquis dans les sociétés ».

HFB
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