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Audition des témoins du putsch : Monseigneur Paul Ouédraogo ne décharge pas Diendéré

LEFASO.NET | Par Tiga Cheick Sawadogo

Publié le mercredi 6 mars 2019 à 23h38min

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Audition des témoins du putsch : Monseigneur Paul Ouédraogo ne décharge pas Diendéré

C’était l’un des témoignages les plus attendus du procès du coup d’Etat de septembre 2015. Son propos vaudrait presque parole d’évangile, dans une foire de débats où pratiquement tout est contredit par les principaux accusés. Et comme si les dieux de l’audience l’avaient prédit, c’est le Mercredi des cendres, premier jour du temps de Carême, que Mgr Paul Ouédraogo, archevêque de Bobo-Dioulasso, a fait sa déposition.

Le prélat fait partie de ceux qui sont allés au camp Naaba-Koom pour négocier la libération des otages. Il a déploré les propos discourtois et arrogants des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Ils ont menacé les médiateurs, prévenant qu’ils pourraient ne plus sortir du camp. Pis, en présence du général Gilbert Diendéré qui n’a rien trouvé à dire, ils ont fait savoir que deux grenades suffisaient pour en finir avec la trentaine de membres du gouvernement retenue.

C’est certainement un tournant décisif dans le procès du coup d’Etat. Inexorablement, l’audition des témoins du parquet tire vers sa fin. L’archevêque de Bobo-Dioulasso, Mgr Paul Yemboido Ouédraogo, aura passé une partie de son premier jour de Carême à exhumer ses notes de mi- septembre 2015.

Né le 3 mai 1948 à Treichville en République de Côte d’Ivoire, l’archevêque a effectivement pris part à la rencontre de la soirée du 16 septembre 2015. Ce, à la demande du Chef d’état-major général des armées (CEMGA), Pingrenoma Zagré. Il dit avoir pris la rencontre en cours. Et au moment où il faisait son entrée dans la salle, c’est le général Gilbert Diendéré qui tenait le crachoir. Entre autres, il disait qu’il était impossible de faire marche arrière.

Selon le témoin, c’est en ce moment que le général Pingrenoma Zagré a demandé à trois personnes dont lui, l’archevêque, de l’accompagner au camp Naaba-Koom pour convaincre les preneurs d’otage de libérer les autorités de la Transition. Alors qu’ils se mettaient debout pour y aller, le général Gilbert Diendéré a souhaité les devancer pour préparer la rencontre avec les éléments du RSP. Et pendant ce temps d’attente au ministère de la Défense, le témoin dit s’être rendu compte que la hiérarchie militaire désapprouvait les événements qui se tramaient.

Par la suite, une escorte est venue conduire la délégation de quatre personnes au camp. Une fois dans la salle, le capitaine Abdoulaye Dao a pris la parole et a posé deux préalables. D’abord, il fait savoir aux médiateurs que le RSP n’était pas satisfait de la manière dont la précédente crise de juillet 2015 avait été réglée. Ensuite, le jeune officier a dit ne pas comprendre pourquoi le président Michel Kafando, qui avait promis que le RSP ne sera pas dissout, travaille plutôt dans le sens contraire.

« Le problème de ce pays, c’est l’exclusion », aurait déclaré un militaire dans la salle. Dans ce climat qui devenait électrique, Mgr Paul Ouédraogo dit avoir sursauté et avoir voulu demander si le RSP avait des candidats déclarés inéligibles. Mais il s’est ravisé. Par contre, il a demandé aux militaires ce qu’ils proposaient pour sortir de la crise. En toute réponse, on lui a rétorqué : « Mais ce qu’on a fait là... ». La délégation des sages a alors invité les militaires du RSP au sens de la responsabilité, parce que « la situation était assez grave », avec la mise aux arrêts de tout le gouvernement.

Foi de l’homme d’église, c’est en ce moment que des propos menaçants et discourtois ont fusé dans la salle, surtout de la part des sous-officiers. L’un d’eux a alors déclaré que le RSP n’avait plus le temps d’écouter les sages. « Deux grenades, ça suffit pour une trentaine de personnes [ndlr : le gouvernement] », aurait lancé un militaire. En même temps, des éléments du RSP demandaient aux messagers de dissuader les manifestants de s’approcher de la présidence.

« Même s’ils sont 700, on va les coucher », ont-ils menacé. Les sages n’échapperont pas non plus aux menaces : « Si vous vous amusez, même vous, vous ne sortirez pas d’ici ». Selon l’archevêque de Bobo, face à ce climat, l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo a demandé à l’assistance si le coup de force était accompli. « Ils ont dit oui ». Toute cette scène s’est déroulée devant le général Gilbert Diendéré qui n’a pas pipé mot.

Le vin est tiré, il faut le boire...

Après l’échec de la négociation, les médiateurs regagnent le ministère de la Défense. L’ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré demande alors à la hiérarchie militaire d’assumer. « Le vin est tiré, il faut le boire », aurait dit Diendéré, ajoutant que si l’armée laisse la situation entre « les mains des jeunes, ce qu’elle craint là va arriver ».

« Vous dites d’assumer, mais vous assumez avec qui ? », lui aurait demandé l’archevêque, constatant qu’aucun militaire présent ne suivait le général dans sa démarche. Selon le prélat, le CEMGA, Pingrenoma Zagré, a opposé un niet catégorique parce que, selon lui, depuis sa prise de commandement, il s’est toujours évertué à ramener l’armée à ses missions fondamentales, républicaines. Il ne peut donc pas entériner un coup d’Etat.

Constatant le refus de l’armée, le général Diendéré a demandé son accompagnement et a fait venir une déclaration. Dans ledit document, le président du Faso était démis de ses fonctions, le CNT et le gouvernement de la Transition dissouts. « J’ai dit que ce n’est pas une déclaration mais une proclamation », précise le témoin qui ajoute avoir eu l’impression que le général a juste convoqué la réunion de la CRAD pour faire entériner le putsch. « Il apparaissait comme initiateur, maître et au contrôle des opérations », relate l’archevêque.

Un tête-à-tête Diendéré-Korogo

Qui sont ceux qui ont proféré les menaces aux médiateurs ? A cette question, le prélat dit ne pas pouvoir distinguer clairement ceux qui les ont prononcées, mais il se souvient de noms comme l’adjudant Nion, le major Badiel... Le président fera appel alors aux deux accusés, en plus du sergent-chef Moussa Nebié, des capitaines Dao et Zoumbri, du général Diendéré, du colonel-major Boureima Kiéré et du chef de corps de l’époque, Korogo. Aucun sous-officier ni officier n’a reconnu avoir menacé les médiateurs.

Mais qui a convoqué les hommes pour prendre part à cette réunion ? Le commandant Korogo notera que c’est le général Diendéré qui l’a instruit de convoquer tous les officiers du RSP, ce qu’il a fait. Mais pour ce qui est des autres, les sous-officiers, il ne sait comment ils ont été conviés. La même question est posée à l’éphémère président du CND. « Si lui [ndlr : Korogo] ne sait pas comment ça a été fait, moi aussi je ne sais pas. C’était dans son bureau à lui et les hommes qui sont venus sont ses hommes à lui », répondra le présumé cerveau du putsch.

Lors des précédentes audiences, le général Diendéré avait estimé que la haute hiérarchie militaire, qui a participé à la rencontre du 16 septembre dans la soirée, ainsi que les sages dont l’archevêque de Bobo, devraient être déposés au même titre que lui. Saisissant l’occasion de la comparution du prélat, le ministère public demandera au général ce qu’il reproche par exemple à monseigneur. « La question est sans objet », se contentera « Golf ».

L’audition des témoins se poursuit à titre exceptionnel ce 7 mars 2019. Il se pourrait que l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo fasse sa déposition.

Tiga Cheick Sawadogo
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