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Affaire Norbert Zongo : ‘’Mes souvenirs de reporter, 20 ans après...’’

Publié le vendredi 14 décembre 2018 à 12h30min

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Affaire Norbert Zongo : ‘’Mes souvenirs de reporter, 20 ans après...’’

Le 13 décembre 1998, je prenais l’avion lorsque les rumeurs ont commencé à circuler sur la mort du journaliste Henri Sebgo. C’était le nom de plume choisi par Norbert Zongo depuis le journal « La Clef » où il avait commencé son travail d’analyste et de critique, avant de fonder L’Indépendant.

C’est de Dakar, où je m’étais rendu pour une vidéoconférence entre des journalistes économiques et le DGA du FMI, Alassane Ouattara, que j’ai eu la confirmation de la nouvelle et des premières violences qui secouèrent fortement Ouagadougou.

Cette mort m’avait plongé dans une grande tristesse et une vive émotion. Je connaissais Norbert Zongo. On se croisait de temps en temps au cours des reportages. Et à chaque fois, il trouvait le temps d’échanger avec moi. Il ne faisait pas du simple reportage comme moi qui travaillait à RFI et au quotidien « Le Journal du Soir », mais il venait couvrir les événements pour mieux les comprendre afin d’affiner ses analyses. Président de la Société des éditeurs de presse (SEP), il venait régulièrement voir notre directeur de publication et c’était l’occasion pour nous d’échanger avec lui. Il s’arrêtait à la rédaction pour poser quelques questions.

Au moment où nous pensions avoir bouclé et vidé un dossier, c’est en ce moment que Norbert prenait le relais. Il allait plus loin, posait des questions et s’attardait sur des aspects que nous survolons dans nos reportages. C’était ça la différence de la plume de Norbert Zongo.
Et ce fut le cas dans l’affaire David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré torturé à mort par la garde présidentielle à la suite d’une accusation de vol d’argent. L’affaire avait été révélée dans un confidentiel par Le Journal du Soir. Mais comme à son habitude, Norbert Zongo avait pris le relais pour enquêter et s’interroger sur les circonstances de cette mort intervenue à l’infirmerie de la présidence, après les tortures.

Pantalon et chemise fourrée, Norbert Zongo menait une vie simple. Il se déplaçait à mobylette et ne prenait la voiture que pour se rendre dans son ranch de chasse dans la province de la Sissili, au Sud du pays.

Il m’avait parlé du danger des éléphants dans cette zone du pays. Ces pachydermes détruisaient les champs des paysans. Norbert s’en inquiétait et m’avait demandé de venir faire un reportage pour RFI. J’avais accepté volontiers et lui avais promis ce reportage. Et on avait planifié de nombreuses fois mon déplacement en sa compagnie. À chaque fois, j’avais des empêchements de dernière minute. À tel point que j’en étais gêné.

J’avoue qu’il m’est arrivé quelques fois de l’éviter parce que je ne savais plus quoi lui répondre sur mes multiples reports pour ce reportage qui l’intéressait particulièrement. Mais à chaque fois, quand je le croisais, il avait la même réponse d’un ton habituellement calme et aimable. « Alpha, c’est quand tu peux, on ira ensemble. Tous les week-ends je pars là-bas. Tu me fais signe le jour où tu es prêt », me répétait-il. J’ai programmé ce voyage plusieurs fois et à chaque fois j’ai décommandé.

Lorsque j’ai appris la nouvelle de son assassinat, j’ai naturellement pensé à mon propre sort. J’aurais pu faire partie de ce voyage de la mort le 13 décembre 1998. J’aurais pu être un des compagnons d’infortune de Norbert comme son jeune frère et les deux autres qui ont été brûlés avec lui ce jour-là.

Rentré de Dakar, j’allais m’attaquer au dossier le plus délicat de ma carrière de journaliste-reporter.
Et tout commence pour moi ce dimanche 3 janvier 1999, une date historique pour les Burkinabè.

Le Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques, avec à sa tête Halidou Ouédraogo, avait prévu de manifester. Empêchés d’accéder à la Bourse du travail, les manifestants constitués à majorité d’étudiants se retrouvent sur le parvis de la Cathédrale de Ouagadougou. Après plusieurs tractations avec les autorités sous la médiation de l’archevêque Jean-Marie Untani Compaoré sorti de la messe dominicale, la police charge au gaz lacrymogène pour disperser les manifestants.

C’est le début d’une longue crise avec de nombreuses manifestations dans ce pays qui était calme depuis le début des années 90 marquant le passage au multipartisme. Même à la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994, le Burkina était demeuré calme malgré une multiplication presque par deux des prix des produits importés.

Tous les samedis, il y avait des marches et meetings. Et moi j’en rendais compte régulièrement. La pression était énorme sur les épaules du jeune journaliste que j’étais. Alors qu’aucune radio étrangère, hormis RFI, n’émettait en FM à l’époque et qu’aucune radio locale ne traitait ce genre d’informations en ces temps-là, moi j’étais en direct à chaque fois qu’il y avait une manifestation. C’était un fardeau que je portais presque tout seul pour ce qui est de l’audiovisuel.

Petit à petit, le Burkina plongeait dans une crise sans précédent. Le pouvoir était secoué. Blaise Compaoré, qui venait d’être élu confortablement en novembre 1998 et qui était président en exercice de l’OUA, allait faire des concessions énormes avec des réformes majeures. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire que Norbert Zongo a été le sacrifice pour la démocratisation réelle du Burkina d’aujourd’hui. Un sacrifice qui a fait tomber des mythes et conduit à la liberté et à la démocratie que nous connaissons depuis un certain temps.

Quelques faits...

Le pouvoir fut obligé de mettre en place un Collège de sages pour proposer des réformes institutionnelles afin d’apaiser le climat socio-politique. Il fut obligé également de créer une Commission d’enquête indépendante et internationale (CEI) avec de pleins pouvoirs.

Composé d’anciens chefs d’Etat, de religieux et d’anciens ministres, le Collège de sages fit des propositions courageuses comme la limitation des mandats présidentiels qui avait disparu un an plus tôt de notre loi fondamentale à la faveur d’une révision constitutionnelle à l’Assemblée nationale. La plupart des réformes proposées sont acceptées par Blaise Compaoré. Et on connaît la suite de l’histoire : il n’a jamais réussi à manœuvrer pour « sauter » cette limitation comme il le souhaitait en 2014.

La CEI avait réussi à mettre en garde à vue l’adjudant Marcel Kafando (à ne pas confondre avec l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, son prédécesseur) alors tout-puissant chef de la sécurité rapprochée du président. Au cours et à la suite du travail de la CEI et du Collège de sages, beaucoup de mythes tombèrent :

 cette garde à vue du chef de la sécurité rapprochée ;
 l’audition devant la CEI de nombreux dignitaires du pays comme Alizeta Ouédraogo ;
 la désignation de six suspects sérieux dans le rapport de la CEI et qui vaudra une expulsion au secrétaire général de Reporters Sans Frontières, Robert Ménard, membre de cette commission ;

 l’inculpation puis le procès et la condamnation des assassins de David Ouédraogo, tous membres de la garde présidentielle ;
 la comparution, en 2000 certes, en tant que témoins, de proches influents de Blaise Compaoré à ce procès comme Gilbert Diendéré et François Compaoré et son épouse ;

 le changement du mode de scrutin aux législatives (proportionnel au plus fort reste) qui permit à l’opposition d’entrer en masse à l’Assemblée nationale en 2002 ;
 la durée du mandat présidentiel qui passe de 7 à 5 ans ;
 le ré-casernement (certes lent) du Régiment de sécurité présidentielle ;
 Etc.

De fin 1998 à 2002, l’environnement institutionnel du Burkina est complètement bouleversé sous la pression du Collectif contre l’impunité qui réclamait vérité et justice pour Norbert Zongo. Il avait à sa tête, outre Halidou Ouédraogo, le professeur Joseph Ki-Zerbo qui eût un jour cette phrase devenue célèbre : « Nan lara, An Sara » (traduit du dioula : si on reste couché, on est mort). Autrement dit : si on ne lutte pas, on n’aura rien.

Je me souviens qu’à l’issue du procès dans l’affaire David Ouédraogo, je concluais, dans un reportage, sur à peu près ceci : « Voir tous ces dignitaires jusque-là intouchables malmenés à la barre par de jeunes avocats impertinents comme Me Prospère Farama était la preuve que quelque chose avait changé dans ce pays ».

Vingt ans après sa mort et quatorze ans après le non-lieu pour le seul inculpé qui était Marcel Kafando, Norbert Zongo continue de faire parler de lui, en attendant un dénouement judiciaire.

En ce jour du 13 décembre commémorant les vingt ans de son assassinat (avec ses trois compagnons), je voudrais m’associer à la douleur de ses proches et saluer la lutte des défenseurs des Droits humains pour faire triompher la vérité et la justice.


Alpha Barry
Journaliste
Ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération

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