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L’armée, grande muette ? Quand ça l’arrange !

Publié le vendredi 2 octobre 2015 à 06h44min

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L’armée, grande muette ? Quand ça l’arrange !

Après un silence assourdissant au début, quand l’ex RSP semait la terreur dans la ville de Ouagadougou, l’armée loyaliste, à travers un communiqué (19 septembre) du chef d’Etat-major général des armées sortait enfin de son mutisme ! C’était le début d’une avalanche de communiqués, souvent ambigus. Et dans un contexte ou des informations de tous genres circulaient, les journalistes qui, « en temps normal » sont invités par les services de communication des armées, à venir à la source, ont plutôt trouvé des sources inertes, refusant de confirmer ou infirmer ce que les citoyens murmuraient.

Le chef d’Etat-major général des armées (CEMGA) condamne, rassure, intime, invite… Les chefs de corps des forces armées nationales lancent un ultimatum, disent qu’ils ont la puissance de feu pour détruire le RSP…

La pratique du silence attachée à l’institution militaire et enracinée dans un lointain passé, a vite fait place à « l’infobésité » durant la crise consécutive au putsch, suivi du désarmement du RSP et de la libération du camp Naaba Koom II.

Au lieu d’informations, il faut plutôt parler de communiqués de l’armée régulière. Du coup, les organes de presse, notamment Lefaso.net, a été un canal pour porter la voie de « notre armée », surtout dans un contexte où les radios, télés, certaines « gazettes » étaient réduites au silence. Des communiqués officiels qui ne respectaient souvent pas les règles en la matière (sans cachets, ni de signature, encore moins d’en-tête) et souvent contradictoires ont été fidèlement diffusés.

C’est ainsi que l’armée communiquait, quand et comme elle voulait. On le sait, la communication a toujours été considérée avec méfiance et maniée avec prudence par les armées, parce que vue comme une arme à double tranchant, pouvant tout aussi bien entraîner la victoire que la défaite. Les approches des hommes de média auprès des services de communication de l’armée ont pour la plupart du temps été infructueuses. Il s’est agi souvent d’infirmer ou confirmer des rumeurs très répandues. Mais les bouches sont restées cousues.

L’annonce de la « dernière chance » ou le cantonnement de la presse

Dans la soirée du 29 septembre, une conférence de presse est annoncée à l’Etat-major général des armées. « Une aubaine » dont les pisse-copies ne voulaient nullement manquer l’occasion, pour enfin avoir de « bonnes informations ». Finalement le rendez-vous n’aura pas lieu parce que le CEMGA est « en réunion ». Des « vieilles » informations sont « balancées » aux journalistes. Mais « le scoop » de la soirée, c’est que les irréductibles, toujours retranchés au camp Naba Koom II, avaient encore une dernière chance pour se rendre. Plus tard, on comprendra que pendant que ces informations nous étaient données, l’assaut avait déjà été lancé. Du coup les informations recueillies s’avéraient obsolètes, bonnes pour la poubelle.

« La diffusion de fausses rumeurs ou intoxication est proposée pour que les forces antagonistes soient trompées sur les intentions réelles de l’attaquant. Car « la guerre repose sur le mensonge ». C’est le chinois Sun Tzu qui le dit dans, L’Art de la guerre. Etait-ce cela l’objectif du « point de presse » ?

L’objectif de la conférence de presse était donc de confiner les journalistes en un seul lieu, pour éviter qu’ils soient trop curieux en restant dehors, sans contrôle. Nos « amis » militaires ont certainement fait leur cette maxime de Napoléon Bonaparte, « quatre gazettes font plus de torts que 100000 soldats en campagne ». A la différence que les objectifs étaient les mêmes ; ce sont les voies qui étaient seulement différentes.

De la grande descente sur Naaba Koom II

Après la prise de l’antre de l’ex RSP, c’est tout naturellement que les citoyens attendaient le bilan officiel. Il a été toujours dit et chanté sur tous les toits que le RSP, unité d’élite de l’armée était sur-entrainée et sur-équipée. Les bruits des obus ont convaincu les riverains que ce n’était pas « une petite affaire ».

D’abord pour une conférence annoncée du CEMGA au ministère de la défense nationale et des anciens combattants, c’est finalement pour une déclaration (en fait deux) du président Kafando qu’on embarque le bataillon de journalistes pour le mythique camp Naba Koom II. Sur place, on fera comprendre aux hommes de médias qu’ils ne pourront poser aucune question. Il faudra comprendre ou s’efforcer de comprendre le chef de l’Etat.

« Zéro mort » lors de l’assaut, c’était de l’information de la soirée. Difficile à comprendre, même si un militaire nous confiera après que c’est bien possible, parce que la zone a été bien circonscrite et que l’objectif des frappes n’était pas d’attenter à la vie des « irréductibles ».

Une information qui, au lieu d’éclairer la lanterne des citoyens, a plutôt provoqué une vague de questionnements …légitimes, surtout qu’on ne dit pas le sort des militaires et civils qui étaient dans le camp. Ont-ils fui ? Combien étaient-ils ? Où se sont-ils rendus ? Le sort des otages que l’armée elle-même avait annoncé entre les mains des putschistes ? Mystère et boule de gomme !

Au-delà de la présentation des délinquants

Tout ne peut être dit, c’est certain. L’armée a certes ses raisons que le commun des Burkinabè ignore. Mais cette stratégie court aussi le risque de discréditer les journalistes qui finalement ne comprennent pas, ou ne sont pas convaincus de ce qu’ils disent, mais rendent quand même compte. Ces informations qui créent plus de suspicions, qu’elles n’informent !

Pour que le partenariat entre hommes de média et armée se consolide et aille au-delà de la présentation des délinquants, il faut que les partenaires se rendent service. Autant les journalistes relaient les activités de leurs « amis », autant les hommes de tenue doivent faire l’effort de leur faciliter la tâche pour que les organes de presses préservent leur crédibilité auprès du public. Ceci en diffusant des informations bien vérifiées auprès des services des armées, même en temps de crise. Sans donner l’impression de se faire seulement utiliser. L’information, dit-on, est la première victime en temps de guerre ; on espère que ce ne fut pas encore le cas !

Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

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