Présomption de corruption dans les concours d’architecture : Un architecte fustige le silence des autorités
Nous avons longtemps hésité avant de prendre la plume pour cette tribune pour plusieurs raisons. D’abord, nous sommes du domaine, dénoncer a toujours été perçu au Burkina Faso comme un acte de frustrés. Effectivement nous avons une frustration à assumer, ayant été classé 2e en 11 participations aux concours d’architecture entre 2013 et 2014.
Pour paraphraser le Président Thomas Sankara, un homme incapable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort. Car révoltés nous le sommes également, d’avoir pris le risque de nous mettre à dos, confrères architectes corrompus et puissants et autorités en faisant une dénonciation non anonyme auprès de l’Autorité Supérieure de Contrôle d’Etat (A.S.C.E.) : ladite dénonciation a effectivement reçu oreille attentive auprès de l’institution du Dr. Ibriga qui a eu à diligenter des enquêtes. Mais nous sommes toujours en attente de la suite judiciaire qui leur sera donnée.
Enfin, parce qu’engagés dans des procédures judiciaires auprès du Tribunal administratif de Ouagadougou sur les élections de l’Ordre des Architectes du 09 avril 2015, nous estimions nécessaire de ne pas faire indirectement pression sur le travail de la justice. Mais au finish, qui mieux qu’un « homme de la maison » peut mieux disséquer un problème intérieur, ce d’autant plus que l’architecte de part sa mission a toujours joui d’une bonne image et d’une respectabilité qui sans doute empêchent aujourd’hui les autorités d’apprécier avec lucidité le problème de la corruption dans les concours et marchés publics d’architecture.
La prise d’une tribune sur la corruption dans l’architecture est également faut-il le souligner, réprimandée par l’Ordre des Architectes pour qui le linge sale se lave en privé. Nous avons en mémoire notre traduction puis notre « relaxe » devant la chambre disciplinaire de l’Ordre des Architectes courant 2012 pour avoir publié un bref article sur lefaso.net traitant du parcours de combattant pour les Burkinabè avant d’obtenir l’autorisation de construire et de la corruption dans les concours d’architecture. Mais ce ne sont pas ces actes d’intimidation et derniers soubresauts d’un Ordre agonisant au service d’un clan d’incompétents et puant d’une forte odeur de corruption qui nous intéressent ici.
L’architecte et sa mission
Nous ne ferons pas un gros laïus sur la mission d’architecte, laïus qui du moins se trouve dans le premier dictionnaire consulté. Disons tout simplement ce qui est généralement méconnu à savoir que la mission d’architecte est avant tout une mission de service public. Quand un immeuble s’écroule, le premier à répondre dans certains pays est l’architecte en tant que maître de l’œuvre. Le célèbre architecte et ingénieur polytechnicien Paul Andreu, auteur pourtant de près d’une centaine d’aéroports dans le monde pour le compte des Aéroports de Paris (ADP), n’a pas échappé aux perquisitions et mises en accusation avant d’être blanchi lorsqu’une partie du toit du terminal 2E de l’aéroport de Roissy s’est écroulé faisant quatre morts et sept blessés le 23 mai 2004. Malheureusement chez nous c’est après des écroulements d’immeubles ou des inondations que nos autorités reconnaissent ce rôle de service public aux architectes.
Le deuxième aspect à retenir de la profession d’architecte est celui d’un bâtisseur de ville avec les urbanistes et les ingénieurs. Là encore, au Burkina Faso, on dénie ce rôle aux architectes : ainsi après avoir co-remporté avec un confrère le concours national d’urbanisme de la cité 1500 logements sociaux à Bassinko en janvier 2012 (aménagement de 369 hectares), nous avons vite été écartés du suivi du projet par des architectes pressés de réaliser des bonnes affaires avec les promoteurs immobiliers en « charcutant » le zooning sans aucune logique de cohérence urbaine. La ville est un ensemble de réseaux fonctionnels dont la cohérence générale définit la qualité. Mais dans ces réseaux, le réseau bâti est le plus visible : quand la qualité des bâtiments et leur fonctionnalité sont bonnes, cela donne une bonne urbanité à la ville. C’est pourquoi, pour chaque édifice qu’il soit public ou privé, il est d’usage de procéder au choix du meilleur projet par plusieurs formes de mise en concurrence :
– l’appel d’offres public : il vise à sélectionner le meilleur candidat selon les critères généralement admis de mieux disant (rapport qualité/prix). L’appel d’offres défavorise généralement les jeunes bureaux ayant de la compétence mais pas encore de l’expérience ;
– le concours d’architecture ouvert ou restreint vise à sélectionner le meilleur projet selon des critères généralement admis d’esthétique, de fonctionnalité, de faisabilité, de durabilité, d’adaptabilité au milieu social et urbain, ou de « l’intelligence globale du projet » selon l’expression empruntée au standard UNESCO-UIA (Union Internationale des Architectes). Souvent décrié du fait de la subjectivité de l’architecture qui est à la fois science et art, le concours d’architecture permet de révéler des projets audacieux et des jeunes architectes ;
Il y’a en outre le gré à gré qui s’obtient au Burkina Faso auprès d’institutions publiques ou des maîtres d’ouvrages délégués. A l’international, il est utilisé surtout comme un outil de marketing urbain par les villes pour rehausser leur image : faire signer un grand projet de musée ou centre culturel dans sa ville par une signature internationale de l’architecture comme Zaha HADID, Franck O. GEHRY, Jean NOUVEL, SANAA, Ieoh Ming PEI, etc est la garantie d’un attrait touristique massif. Il peut se justifier outre cet aspect marketing par l’urgence du moment ou d’autres facteurs comme la sécurité-confidentialité. Si les maitres d’ouvrage délégués (MOD) taxés longtemps de clientélistes donnant les marchés toujours aux mêmes architectes, ingénieurs ou entreprises sont en train de s’ouvrir au plus grand nombre au Burkina Faso, du côté de l’Etat, la compétence passe toujours en second plan.
Près de quatre milliards de francs CFA détournés en deux ans
Disons-le tout net : 90% des concours d’architecture sont truqués dans notre pays. Entre 2013 et 2014, environ 11 concours nationaux ont été ouverts au Burkina Faso. Le moins que l’on puisse dire, si on ne peut pas critiquer certains jugements du fait de la subjectivité de l’architecture, il serait aberrant de tout ramener à cette simple phrase : ceux qui critiquent sont les mauvais perdants. En outre, des faits objectifs donnent à douter sérieusement de la crédibilité de concours d’architecture : que le Président de l’Ordre des Architectes participe au concours d’architecture en se donnant le privilège de choisir lui-même le représentant de l’Ordre dans le jury du concours, qu’on désigne comme représentant de l’Ordre dans les jurys des architectes n’ayant aucune expérience dans les concours, ou n’étant pas inscrits sur le tableau de l’Ordre depuis des années, que l’on change le règlement au cours des corrections, etc.
Que des autorités informées de tout cela, du rapport de l’ASCE sur les concours d’architecture restent silencieuses, tout cela donne à réfléchir. On sait les architectes particulièrement puissants, impliqués dans les clubs services et les réseaux sociaux, religieux et sportifs : cela justifie-t-il que personne n’ait envie de faire la lumière sur ces affaires très louches qui ont pignon sur rue dans notre domaine ? Qui veut-on protéger ? On sait également que la corruption de concours est également le fait de l’Etat : avant 2014 où sous nos critiques un nouvel règlement des concours a été élaboré et limite considérablement le nombre de membres de jurys, les jurys de concours d’architecture étaient de véritables messes publiques d’affaires. Chaque ministère concerné environ une dizaine était sollicité pour envoyer un membre dans les jurys. Certains conseillers ministériels auraient même été impliqués dans le truquage des concours d’architecture.
Disons qu’un concours d’architecture peut rapporter au lauréat jusqu’à 400 millions de FCFA. Pour bien moins que cela, de gros procès sont organisés dans ce pays, alors pour des arnaques qui pourraient atteindre 4 milliards de FCFA, pourquoi les autorités judiciaires restent-elles toujours silencieuses dans ce Burkina où il parait pourtant que « plus rien ne sera comme avant » ? Parce que les auteurs de ces actes de possibles vols en bande organisée sont trop riches et trop puissants ? Parce que cela salirait des membres de l’administration ? Ou tout simplement parce que les victimes sont majoritairement des architectes pauvres ou trop jeunes dans un pays où il ne fait bon d’être ni pauvre ni jeune ?
Quoiqu’il en soit, maintenant que nous avons rompu publiquement l’omerta sur la corruption dans les concours d’architecture que certains s’efforcent de cacher au public en cooptant une fonctionnaire à la tête d’un Ordre des Architectes libéral à plus de 90%, nous irons jusqu’au bout. Ni les procès de diffamation à des fins d’intimidation, ni les articles de dénigrement payés chèrement auprès de journalistes peu professionnels encore moins l’inimitié de certaines autorités ne nous feront fléchir dans notre combat pour une architecture Burkinabè véritablement en régression. Car le constat est en effet amer : les bâtiments les plus intéressants et les plus fonctionnels de la ville de Ouagadougou sont les anciens bâtiments construits avant les années 80 : le palais de justice au centre-ville, la gare de train signée du défunt Abel Isaac Traoré premier architecte Burkinabè, l’ancien bâtiment de la Poste, etc.
La majorité des architectes ne participent plus aux concours qu’ils estiment attribués d’avance. Toute une génération d’architectes, pourtant brillante, vit aujourd’hui meurtrie, silencieuse dans une omerta, ne sachant où se plaindre entre le courroux éventuel des autorités et la menace de la chambre disciplinaire de l’Ordre. Quand on est architecte Burkinabè, il n’est pas rare de se faire rabrouer par des concitoyens qui voyagent de plus en plus à travers le monde et s’émeuvent de la mauvaise architecture des bâtiments au Burkina Faso. Hélas, après l’échec de gros projets urbains comme le projet ZACA qui ont fini en simple vente de parcelles au mieux disant, le silence complice des autorités avec les gros truands de l’architecture, doit-on laisser cette situation perdurer ?
Nous adresserons cette tribune à tous les candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2015 et aux autorités judiciaires dans l’espoir que des juges soient nommés un jour pour enquêter sur ces affaires de vols en bande organisée.
Lahousséni Tahar OUEDRAOGO
Architecte DENA Rabat
Urbaniste DIUP Paris XII
Aménageur Paris-Sorbonne IV
lahoussenio@yahoo.fr

