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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition d’exception » (25)

Publié le mardi 16 décembre 2014 à 18h10min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition d’exception » (25)

Nationaliser Socogib ! Le Premier ministre Isaac Zida a lancé l’idée le samedi 13 décembre 2014 à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons du côté de Sapouy (cf. LDD Burkina Faso 0471/Lundi 15 décembre 2014). Pourquoi Socogib ?

C’est que cette société est la plus « grand public » de toutes celles qui constituent le Groupe Aziz et que ce Groupe Aziz est la caisse enregistreuse d’Alizèta Ouédraogo, alias « Gando », alias « Belle-mère nationale », en fuite au Bénin (où réside son gendre, François Compaoré, frère cadet de Blaise Compaoré) puis installée en France à la suite des événements des 30-31 octobre 2014 ; du coup, sa fille Salah fait la navette entre Cotonou et Paris !

Alizèta, du fait d’une fortune trop rapidement faite et d’une connexion affairo-politique trop avérée, fait depuis longtemps, au Burkina Faso, l’unanimité contre elle. Y compris dans les rangs de son parti, le CDP. Et je ne parle pas des travailleurs de ses entreprises (soumis à des conditions de travail indécentes pour une femme d’affaires particulièrement bling-bling) ; seul avantage : la visibilité de la patronne donne de la visibilité à leurs grèves.

Fin 2011, Alizèta s’était retrouvée à la tête de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso dont le budget de fonctionnement et d’investissement s’élève à plus de 14 milliards de francs CFA ! De quoi susciter des ambitions d’entrepreneur ou de coach d’entrepreneur. Elle était membre, également, du Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI). Elle y côtoyait non seulement le frère de son gendre, le président du Faso, mais les têtes d’affiche du monde burkinabè des affaires, des industriels, des banquiers, des entrepreneurs et des personnalités « mondiales » : Paul Derreumaux, Abdeslam Ahizoune, Larry Phillips, Alain Viry, Nicolas Zelensky, Pascal Marquis, Vincent Bolloré, Maurice Lam, Cheick Modibo Diarra, Emilienne Macaulay, Jean-Louis Vinciguerra, Takeshi Nagamoto…

Si Tan-Aliz, l’entreprise bâtie autour de SBPC et SBMC, le cuir et la peau, dans les années 1990, a été l’activité historique d’Alizèta Traoré-Ouédraogo et à l’origine de sa fortune, il est bien évident qu’au fil des années, elle a recherché à diversifier ses activités dans des secteurs moins traditionnels et surtout moins polluants (pour elle ; pour ce qui est de la pollution subie par ses voisins, c’est une autre affaire) : le service plutôt que l’industrie.

Quand la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina Faso (Socogib), va être privatisée, elle va s’en porter acquéreur. La Socogib a été créée en octobre 1984 par absorption de la Société de promotion et de gestion immobilière (Soprogim) par la Société immobilière de la Volta (SIV). Il s’agissait d’assurer sur l’ensemble du territoire national un logement décent au plus grand nombre de Burkinabè. C’était, en fait, l’outil de la politique de l’habitat définie par le gouvernement. Mais compte tenu des besoins immenses (Ouaga était alors une capitale à raz de terre majoritairement composée de maisons en banco), l’Etat sera obligé de mener des opérations ponctuelles à travers les fameuses Cités de l’An II, de l’An III, de l’An IV. L’équation était difficile : les ressources de la population étaient faibles et le coût des matériaux, du fait de l’enclavement, élevé. L’héritage de la SIV et de la Soprogim était par ailleurs quasiment inexistant : 182 logements seulement. Et les fonds de la Socogib insuffisants pour financer des programmes significatifs à la hauteur des ambitions affichées de la « Révolution ».

« Le problème qui freine le développement de notre activité, me dira son directeur général, Anatole Bellemsgha, en 1989, c’est le manque de ressources. Les besoins existent, mais nous ne pouvons pas les satisfaire. Les gens viennent d’eux-mêmes nous voir ; ils sont prêts à verser les 10 % du premier acompte. Nous avons plus de 2.000 dossiers en attente. De ce fait, nous ne parlons même pas de la demande potentielle solvable qui, elle, dépasse les 100.000 logements ». C’est dire que la Socogib était loin d’assumer la tâche pour laquelle elle avait été créée.

C’est l’ordonnance n° 91-0044 du 17 Juillet 1991 qui a défini le processus de privatisation. Dans une première étape, 16 entreprises devaient être privatisées, et parmi elles la Socogib dont la situation économique et financière était jugée alors « relativement saine ». Un avis d’appel d’offres international sera lancé pour sa privatisation (Socogib employait alors une quarantaine de personnes), mais aucune soumission ne sera reçue dans les délais impartis. C’est pourquoi, le 15 avril 1993, la Commission de privatisation va lancer un nouvel avis d’appel d’offres international portant sur 87,85 % du capital, l’Etat se réservant le droit de garder au maximum 25 % du capital, soit 4.607 actions qui pouvaient être déduites totalement ou partiellement des 16.186 actions à céder. Finalement, la Socogib va tomber dans l’escarcelle d’Alizèta Ouédraogo qui avait déjà acquis la première entreprise privatisée : la SBMC. Acquisition pour quel montant ? Le chiffre se trouve dans les archives de la Commission de privatisation.

Nul ne peut nier que les privatisations ont été réalisées dans de bonnes conditions techniques compte tenu du niveau de développement économique et financier du Burkina Faso au début de la décennie 1990 (et de l’intérêt présenté par les entreprises privatisables). Le processus a été lancé dans une conjoncture économique difficile (le secteur bancaire était par ailleurs en voie de restructuration et nous étions à la veille de la dévaluation du franc CFA qui va lourdement pénaliser le Burkina Faso, pays enclavé sans ressources naturelles) et alors qu’aucune structure d’appui au financement des opérations n’était disponible. « Le gouvernement est totalement persuadé qu’il faut rester très souple et traiter de manière pragmatique chacune des entreprises » me dira Jean-Hubert Yaméogo, président de la Commission de privatisation. Le conseiller technique de cette commission, Tener R. Eckelberry, était sur la même ligne pragmatique, soulignant que pour la première vague de privatisations, qui ne concernait pas les poids lourds de l’activité économique, l’Etat gardait un certain pourcentage au sein du capital ce qui était, en quelque sorte, « un noyau dur sous une forme transitoire » (pour faire référence aux « noyaux durs » mis en place par Edouard Balladur pour ses « amis » du monde des affaires lors de la privatisation d’entreprises françaises entre 1986 et 1988).

La libéralisation de l’économie va donner un coup de fouet à Socogib. Nouveaux produits, nouveaux chantiers à Ouaga comme en province. En octobre 1997, Alizèta Ouédraogo va fonder Aziz Immobilier SA (Azimmo), une société de promotion immobilière. Et intégrer la filière avec la Société anonyme d’aménagement de terrains et de maîtrise d’ouvrage déléguée (SATMO SA) qui commercialise des parcelles viabilisées notamment dans la zone C de Ouaga 2000 qui est mitoyenne de la Présidence du Faso. Enfin, pour aller au bout du processus, elle a mis en place la Société africaine de construction de barrages, d’aménagements hydroagricoles et de travaux publics (SACBA-TP) qui devait surfer sur les chantiers érigés un peu partout au Burkina Faso.

Nationaliser Socogib. Au nom de la « Révolution » qui avait créé cette entreprise et par déni de la IVè République qui l’avait privatisée ? Au nom du règlement de compte vis-à-vis de ces affairo-politiques qui ont choisi de « foutre le camp pour sauver leurs fesses » ? Nationaliser Socogib mais pas les autres sociétés du Groupe Aziz ? Pas très cohérent. Combien d’entreprises sont au Burkina Faso dans l’orbite d’affairo-politiques ?

La transition ne sera pas simple dès lors qu’elle sera, au sens juridique du terme, une transition « d’exception ». L’ambassadeur Alain Holleville, chef de la délégation de l’Union européenne à Ouaga, l’a répété aujourd’hui même, lundi 15 décembre 2014, au président du Conseil national de transition (CNT), Chériff Sy : pour que la transition réussisse, « il faut avoir une idée un peu plus claire de ce qui va être le calendrier de ce processus ». Or, aujourd’hui, le Burkina Faso vit au jour le jour !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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