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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (92)

Publié le lundi 4 janvier 2016 à 12h00min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (92)

« Le jour de gloire est arrivé ». C’est la fin de la Transition. On imagine, à Ouagadougou, l’émotion des uns et des autres. La Transition a permis, malgré ses imperfections (liées à sa nature même de « transition ») de résoudre, dans le cadre d’élections présidentielle et législatives aussi transparentes que possible, une crise majeure et l’organiser une alternance qui, sur le papier, tient la route.

Quoi qu’on en pense, cette « transition » a été exemplaire, sans interférence étrangère majeure dans la résolution de la crise. Certes, ces années 2014 et 2015 ont été marquées par une formidable débauche d’énergie politique et sociale pour aboutir, finalement, à la conquête du pouvoir par deux hommes du passé : Roch Marc Christian Kaboré à la tête de l’exécutif et Salif Diallo (élu hier, sans surprise, président de l’Assemblée nationale) à la tête du législatif ; mais avec une nuance : le pouvoir de la nouvelle équipe n’est pas absolu dès lors que le MPP est loin d’être majoritaire à l’Assemblée nationale. Il y aura, surtout, le souvenir de la chute d’un régime que l’on pensait d’autant plus indestructible qu’il était loin d’avoir failli en toutes matières. Et si le slogan : « Plus rien ne sera plus comme avant », peut apparaître comme déraisonnablement optimiste, il traduit cependant le fait, incontestable, que la mobilisation de la société civile bien plus que celle de la classe politique, a fait chuter un régime ancré au Burkina Faso depuis près de trois décennies et a empêché, à deux reprises, l’armée de prendre la relève.

Scénario improbable à la fin de l’année 2013. Le mardi 17 septembre, dans « Dialogue avec le gouvernement », Beyon Luc Adolphe Tiao, Premier ministre, avait assuré que le Burkina Faso est « une démocratie qui marche bien » où règne « la liberté d’expression » et où « les critiques » peuvent s’exprimer, le gouvernement prenant en compte « les préoccupations des citoyens ». Pas faux ! Sauf que les préoccupations citoyennes étaient liées à la vie chère avant la question de la mise en place d’un Sénat que le pouvoir voulait à tout prix « opérationnaliser ». Pour cela, Compaoré avait privé le gouvernement de congés d’été 2013. Stérile ! Le samedi 5 octobre, le CDP fera sa rentrée sur le thème du « renforcement de la démocratie par la mise en œuvre des réformes politiques et des mesures pertinentes en faveur du bien-être des populations ». Rien que de bonnes intentions !

Le mercredi 30 octobre, Tiao avait inauguré les locaux de la Défense nationale ; Blaise, pourtant ministre de la Défense, n’avait pas jugé bon d’y assister. Le vendredi 1er novembre, lors du 53è anniversaire des Forces armées nationales, il rendra hommage à son « ferme attachement à la discipline, à la loyauté, au patriotisme », soulignant « le renforcement de la formation et du professionnalisme pour un plus grand respect des valeurs républicaines et du droit international humanitaire ». Illusoire !. Le vendredi 8 novembre, dans « La chronique du fou » publiée par Le Pays, « Le Fou » avait écrit : « Je remarque que rien ou presque n’est sanctionné dans ce pays […] Lorsque les travaux sont terminés, il n’y a pas de réception officielle puisque rien n’a été respecté. Et comme si cela ne suffisait pas, les structures de contrôle ne contrôlent rien […] Il faut mettre au pas les ministres qui ne font pas correctement leur travail ». « Le Fou » disait encore : « L’émergence ne doit pas être seulement un mot en vogue. Si personne ne veut faire correctement son travail et s’il n’y a personne pour sévir, alors bonjour la déchéance ». Pas si fou !

En décembre de cette même année 2013, Compaoré était à Paris dans le cadre du sommet Afrique-France rebaptisé Conférence sur la paix et la sécurité en Afrique. Denis Sassou Nguesso devait être l’invité de l’émission « Internationale » diffusée par TV5Monde et à laquelle participent RFI et Le Monde. DSN ayant fait faux bond, c’est Blaise qui va le remplacer au pied levé, sans préparation. Enregistrement et diffusion le dimanche 8 décembre 2013. A aucun moment, sur tous les sujets abordés, le président du Faso ne parviendra à affirmer son point de vue ; il sera totalement passif. Je l’ai dit alors (cf. LDD Burkina Faso 0400/Lundi 9 décembre 2013). Sur la question qui titillait tous les journalistes : celle de sa succession, Blaise sera évasif : il est au pouvoir depuis « un moment », dira-t-il, et n’entendait pas aborder la question de ce qui se passera en 2015. La limitation du mandat présidentiel est inscrite dans la Constitution ; mais la Constitution dit aussi comment on peut changer les choses. C’est la rue qui va les changer !

La messe sera vite dite. Le dimanche 5 janvier 2014, Roch Marc Christian Kaboré venait annoncer au président du Faso sa démission et celle de plusieurs dizaines de personnalités et de cadre du CDP. Moins de deux ans plus tard, Kaboré est président du Faso. Blaise ne l’est plus depuis quatorze mois : il est en exil en Côte d’Ivoire. Et parmi les présidents de la région qui sont venus rendre hommage au nouvel élu, lors de sa prestation de serment et de son investiture (mardi 29 décembre 2015), figuraient quelques chefs d’Etat qui doivent beaucoup à Blaise : l’Ivoirien*, le Malien, le Guinéen (il y avait aussi le président du Niger et celui du Sénégal).

Les premiers mots de Michel Kafando, président de la Transition, président du Faso, président du Conseil des ministres, à l’attention de ces « éminents hôtes » sera d’ailleurs de souligner que ce « jour mémorable » est aussi un « jour chargé de symbole où le Burkina Faso va inaugurer une nouvelle ère de son histoire, conformément au vœu exprimé lors du mouvement insurrectionnel des 30 et 31 octobre 2014 ».

« Mouvement insurrectionnel ». J’imagine, qu’à ces mots, l’échine de ces chefs d’Etat a été parcourue d’un frisson : Ouattara, IBK et Condé ne craignent rien tant que ces « mouvements ». Issoufou et Sall, quant à eux, savent qu’effectivement la société civile, quand elle se met en branle, peut changer la donne politique. Kafando a rappelé que trois seulement des neuf** chefs d’Etat de l’histoire du Burkina Faso ont été des civils. Et que c’est la première fois qu’un président civil remet le pouvoir à un président civil. « Ce triomphe de la démocratie et de la liberté, a dit Kafando, a été possible grâce à la détermination de notre peuple, et en particulier de sa jeunesse, devenue le flambeau de la résistance à l’autoritarisme, devenue conscience universelle de ceux qui savent dire non ». Kafando, comme à son habitude, ne s’est pas appesanti sur la Transition, son bilan et ses acquis. Il a seulement réitéré à Roch Kaboré qu’il était « entièrement disponible à l’accompagner s’il en exprimait le besoin ». Et il lui a « recommandé de tenir compte des sillons tracés par la transition, pour une meilleure intégration des jeunes et des femmes dans le processus de développement national ».

Le processus engagé les 30-31 octobre 2014 trouve donc son aboutissement en cette fin d’année 2015. Selon un scénario qui n’était pas le plus probable lorsque « l’insurrection populaire » a renversé le régime en place. Déceptions, frustrations, trahisons, indifférence, « tout ça pour ça »…, les sentiments vont être multiples, mais compte tenu de l’état des lieux dans les pays voisins nul ne peut nier que ce processus est le plus abouti dès lors qu’il vise à l’apaisement de la situation politique et sociale. La « révolution » attendra… !

* Dès son retour à Abidjan, le président Alassane D. Ouattara s’est rendu, dans l’après-midi du 30 décembre 2015, à Cocody Ambassades, le quartier où réside Blaise Compaoré. « Visite de courtoisie » à l’occasion des fêtes de fin d’année dit-on dans l’entourage d’ADO. Mais il est évident que le chef de l’Etat ivoirien a rendu compte à l’ex-chef d’Etat burkinabè de la cérémonie de prestation de serment et d’investiture de Roch Marc Christian Kaboré, et de l’état d’esprit dans lequel se trouve le nouvel élu burkinabè, ex-bras droit de Compaoré. La première visite officielle de Kaboré devrait se dérouler à Abidjan alors que la justice militaire burkinabè a délivré un mandat d’arrêt international contre Compaoré.

** Neuf chefs d’Etat en prenant en compte Yacouba Isaac Zida qui a occupé la fonction du 1er au 21 novembre 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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