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Lettre ouverte à Michel Kafando : « Vous exposez vos amis à l’humiliation »

Publié le vendredi 18 décembre 2015 à 07h01min

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Lettre ouverte à Michel Kafando : « Vous exposez vos amis à l’humiliation »

Monsieur le Président,

Les Burkinabè qui ont été témoins de l’évolution des deux dernières années ont salué votre patriotisme, votre sens du devoir, votre dextérité et votre courage dans le difficile exercice d’une transition qui n’était pas gagnée d’avance. Personnellement, J’ai beaucoup admiré votre sens de la répartie lors de votre récente allocution du 11 décembre dans laquelle, en dressant le bilan, vous vous êtes retenu de vous jeter des fleurs, en préférant une posture réaliste et objective.

Cependant, j’ai un sérieux problème avec vos agissements et ceux de votre gouvernement dans ces dernières semaines. Nous le savons tous, l’élection présidentielle a eu lieu le 29 novembre, ses résultats proclamés le jour suivant par la CENI que je salue au passage pour sa diligence et sa compétence. Après la CENI, c’était au tour du Conseil constitutionnel de se prononcer sur la régularité et la sincérité du scrutin et ses résultats ; chose faite depuis le mardi 15 décembre dernier.

Mais ne voila t-il pas que vous-même et votre équipe posent continuellement des actes de gouvernement qui feignent d’ignorer royalement que le pays s’est doté d’un nouveau chef qui n’a certes pas encore pris fonction, mais qui est déjà déclaré élu. Au nombre de ces actes, je retiens la nomination à de hautes fonctions de l’Etat et des actes de gestion financière dont l’intensité et la rapidité ne peuvent que susciter interrogations et suspicions.

Monsieur le président, votre cursus personnel ne vous autorise pas à ignorer qu’un ambassadeur est aussi le représentant personnel du chef de l’Etat auprès de l’Etat-tiers, outre les autres attributions que lui confère sa fonction. Dans ces conditions, comment peut-on expliquer qu’un chef d’Etat en passation de charge puisse nommer pour son successeur déjà élu des représentants à l’étranger ? Vous me direz peut-être que le processus de leur nomination était déjà enclenché, soit ! Qu’est-ce qui empêcherait alors que ces dossiers en instance soient « diplomatiquement » refilés à votre successeur qui, dans la courtoisie républicaine, pouvait très bien accepter d’endosser l’acte ? Faute de le faire, malgré votre longue expérience diplomatique, êtes-vous alors sûr que l’intéressé accepterait d’assumer votre « indécence » ? Et s’il ne l’assumait pas, vous savez aussi qu’il a la faculté de remettre en cause ces nominations du simple fait de l’application des usages en la matière ! Un tout nouveau président peut rappeler en consultation les ambassadeurs en poste. Et dans ce cas, vous aurez « versé votre figure par terre », tout en exposant « vos amis »nommés à l’humiliation et peut-être à l’aventure.

Vu votre longue expérience en matière de gestion et la sagesse dont vous être crédité, pourquoi ne pas faire économiser et le pays et l’Etat et vous-même et vos amis de telles déconvenues ?

Monsieur le Président, je ne voudrais pas insister sur cette grosse affaire de nomination au grade de général de division du Premier ministre Yacouba Isaac Zida, précédemment lieutenant-colonel de son état.
Au moment où le projet de loi portant statut des forces armées était porté à l’examen du CNT, l’opinion publique dans son ensemble, en particulier celle au sein de l’armée, avait soupçonné les autorités en place de promouvoir une loi créant des faveurs ciblées à certaines hautes personnalités dont justement le même Zida. La sagesse des dirigeants que vous êtes, aurait voulu que ces soupçons soient démentis mais hélas, vous vous y êtes jeté tout entier dans la confirmation des faits ! Que vous reste- t- il alors de ces reproches précédemment faits à Blaise Compaoré de vouloir modifier l’article 37 de la constitution pour régir son seul et propre cas ?

Enfin, Monsieur le Président, il y a trop de marchés publics passés ces derniers temps par votre gouvernement avec de nombreux cas de gré-à-gré et d’engagements anticipatifs sur le budget 2016 non encore en exercice. Cela n’aurait posé aucun problème si le pays n’était pas dans une période de passation de charges. Si l’on veut être pointilleux, l’autorité chargée d’engager et d’exécuter la loi de finances 2016 n’est pas le gouvernement de la transition dont la mission est en train de prendre fin avec l’année 2015. Mais, même si l’on peut évoquer le principe d’applicabilité de tout contrat signé par l’Etat au nom de la continuité de l’Etat, ou encore la nécessité d’anticipation, il aurait tout de même fallu préparer les dits marchés et laisser le soin au nouveau gouvernement de prendre les actes y afférant. Cela procède aussi de ce qu’on peut appeler le minimum de décence. Faute de cela, comment ne pas accréditer encore une fois l’idée de vouloir accorder des prébendes à des amis avant de quitter le pouvoir et peut-être pour en retour en récolter les dividendes ?

Quant aux marchés répondant encore du budget 2015, ils ne devraient plus pouvoir faire l’objet d’engagement une fois le mois de novembre passé, comme dans la règle habituelle.

Tous ces constats m’amènent à prendre au sérieux les persistantes rumeurs faisant état de la tentation de certaines personnes de piller nos maigres ressources avant de s’en aller. Vrai ou faux, l’avenir nous le dira !

Maintenant que le sort est jeté, que faire Monsieur le Président ? Mon âge et mes références ne m’autorisent pas à vous donner des conseils. Mais en tant que citoyen burkinabè, témoin et acteur de l’insurrection populaire et de la résistance au putsch du 16 septembre, je tiens quand même à vous exprimer ma déception. Toutes ces décisions prises ces dernières semaines me laissent le gout amer de la déception et de la désillusion. C’est le sentiment d’une transition qui à tourné en rond pour finir à quelque chose près comme le régime décrié de Blaise Compaoré, c’est-à-dire dans la forfaiture.

Ma déception est d’autant plus grande que même certaines OSC habituellement bavardes n’ont pipé mot sur toutes ces affaires franchement nauséabondes.

Aussi, Monsieur le Président Kafando, voudrais-je terminer en vous recommandant de mettre fin à vos très nombreuses initiatives de nominations et d’attribution de marchés publics, maintenant que le Conseil constitutionnel a déclaré quelqu’un Président à la tête du Burkina Faso. La personne n’est pas encore investie mais son leadership et sa responsabilité politiques et juridiques sont déjà établis.

De grâce, cessez de tenir même les conseils de ministres et attachez-vous à préparer la passation de charge tout en expédiant les affaires courantes de l’Etat. C’est cela la république, et en la matière, nous Burkinabè n’avons rien inventé.
Veuillez croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma haute et respectueuse considération.

Daouda Barro,
Citoyen burkinabè

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