Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (90)
C’est la fin d’une aventure. Il y a quatorze mois, quand la rue a pris le pouvoir à Ouaga à la suite de « l’insurrection populaire » des 29-30 octobre 2014, les Burkinabè, l’Afrique et la « communauté internationale » pouvaient craindre le pire. Le pire, le Burkina Faso post-insurrectionnel l’a tutoyé, notamment tout ce temps où l’armée et/ou le RSP ont eu la velléité de confisquer le pouvoir aux civils ; puis, à nouveau, quand, les 16-17 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré s’est embringué dans un putsch qui n’avait guère de sens politique et encore moins géopolitique.
Sous la férule de Michel Kafando, extirpé de sa retraite rurale de Dayoubsi où, pour l’essentiel, les Burkinabè l’avaient oublié, et sous le regard des leaders des partis politiques peu enclins à mettre les mains dans le cambouis de la « transition », le Burkina Faso tenté par une « révolution » s’est adonné à une « transition » qui, finalement, aura atteint son objectif : organiser sans coup férir des élections couplées, présidentielle + législatives.
« Au revoir et merci ». Le « message à la Nation » de Kafando, prononcé hier, lundi 28 décembre 2015, a fait dans la retenue, la pudeur, l’humilité. « Au terme de notre mission, je n’aurai pas la prétention ni la fatuité d’affirmer que tout est accompli ». Certes, la « transition », pendant les premières semaines, les premiers mois, a eu des ambitions qui ne pouvaient pas être celles d’une… transition : douze mois pour mettre en place le président du Faso nouveau et une Assemblée nationale élus de façon aussi démocratique et transparente que possible.
Kafando a dit qu’il s’agissait « de redonner confiance à notre pays, en mettant fin à l’injustice et à l’impunité ». Il a fait, en la matière, ce qui était faisable dans un laps de temps particulièrement court et dans un contexte difficile compte tenu de la nature même de la « transition ». La tenue des Etats généraux de la justice, dans les premiers mois après « l’insurrection populaire », est l’acquis majeur de la « transition », même si chacun sait que la justice n’est qu’un cadre vide sans les hommes qu’il faut à la place qu’il faut pour la mettre en œuvre et, qu’en la matière, le Burkina Faso souffre d’un déficit considérable de moyens matériels et humains.
Kafando ne s’est pas appesanti sur le bilan de la « transition » qu’il a animée de bout en bout. Il a tenu à remercier ceux qui l’ont soutenue comme ceux qui l’ont combattue et dont « les excès ont fini par justifier notre action ». « Un fait est certain, a-t-il dit, l’esprit de l’insurrection populaire imprègnera à jamais notre histoire ». Il n’a pas manqué, d’ailleurs, de prendre rendez-vous pour demain avec la nouvelle équipe en place : « Parce qu’au fond, la Transition a fait le lit de ceux qui nous remplacent, je veux leur dire que le combat étant collégial et l’objectif commun, nous sommes prêts à les accompagner pour qu’ils réussissent leur mission ». On peut donc penser que Kafando et quelques autres ne quitteront pas la scène politique de sitôt.
Ce même lundi 28 décembre 2015, le premier ministre, Yacouba Isaac Zida, a présenté au président de la Transition, président du Faso, président du Conseil des ministres, sa démission et celle de son gouvernement. Qui aura ainsi tenu plus de treize mois (23 novembre 2014-29 décembre 2015). Le Conseil national de la Transition (CNT), lui aussi, a procédé ce 28 décembre 2015 à la clôture de la session parlementaire unique après avoir adopté 110 lois, 33 résolutions et adressé 68 questions au gouvernement.
De son côté, Yacouba Isaac Zida, premier ministre sortant, a choisi, le dimanche 27 décembre 2015, d’organiser une conférence de presse à la primature. L’occasion de confirmer ses prises de position qui ne sont pas toujours bien comprises, faute d’être cohérentes. Ainsi, il a été promu général de division le 26 novembre 2015, avec effet immédiat, mais dit ne pas se mettre en tenue pour « ne pas donner l’impression aux Burkinabè qu’ils ont un militaire comme chef de gouvernement. Cela ne donnera pas une très bonne image à notre démocratie en construction ». Certes, un premier ministre, ancien lieutenant-colonel du RSP, en uniforme de général alors que, par ailleurs, deux généraux, Gilbert Diendéré et Djibrill Y. Bassolé, sont embastillés, cela nuirait sûrement à l’image du « Pays des hommes intègres ». Mais uniforme ou pas, Zida est bel et bien l’ancien numéro deux du RSP et un officier général qui n’a pas refusé les étoiles au nom de la démocratie.
Au sujet du RSP, il dit d’ailleurs, tout à la fois, qu’il « fallait prendre le temps pour arriver à fondre ce régiment dans la République » ce qui impliquait « un changement de mentalités au niveau du RSP », et que le gouvernement de la « transition » s’est « définitivement débarrassé du RSP ». Alors éradication du RSP ou changement de mentalité pour le fondre dans la République ? Il dit, par ailleurs : « Nous savions effectivement que le RSP constituait un danger pour le pays ». Zida le savait d’autant mieux qu’il en avait été un des patrons et qu’il connaît donc les « dérives » (et c’est un euphémisme) qui lui sont imputables !
Il affirme encore au sujet de la « transition » : « Nous nous sommes dit qu’il n’était pas bien que des militaires fassent de la politique ». D’où l’article 12 du statut des forces armées nationales (FAN) qui stipule désormais que tout militaire qui veut s’engager en politique doit démissionner de l’armée. Non seulement, alors qu’il a été premier ministre pendant un an, Zida n’a pas démissionné de l’armée tout au long de cette période, mais, plus encore, prétextant qu’ayant été « Président du Faso, Premier ministre, ministre de la Défense » et que, dès lors, le fait de retrouver son grade de lieutenant-colonel cela « allait gêner l’armée », il a accepté d’être fait général de Division. Il dit que cette proposition lui avait été faite, déjà (sans que l’on sache par qui vu qu’il y avait alors vacance du pouvoir), lorsqu’il « a passé le témoin » à Michel Kafando qui en fera, quasiment aussitôt, son premier ministre, l’armée ne pouvant pas être exclue du pouvoir après avoir tenté de se l’accaparer totalement. A ce propos, Zida rappelle que c’est l’armée burkinabè qui a décidé qu’il devait assurer les fonctions de chef de l’Etat, qu’il « ne sait pas ce qui avait guidé cette décision » mais qu’il « la pensait sage ».
En fait, dès le vendredi 31 octobre 2014, Zida, lieutenant-colonel du RSP, s’est proclamé chef de l’Etat et a suspendu la Constitution. Ce n’est que le samedi 1er novembre 2014 que le chef d’état-major adjoint des armées, le général Wenceslas Pingrenoma Zagré, entérinera cette décision au nom de l’armée : « Le lieutenant-colonel Isaac Zida a été retenu à l’unanimité pour conduire la période transition » dont la forme et la durée n’étaient pas précisées. Zida affirme avoir, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 novembre 2014, « entre minuit et une heure du matin », appelé Kafando pour lui dit : « Nous allons avoir besoin de vous ». Jolie prémonition puisque ce n’est que le jeudi 6 novembre 2014, après négociation d’un « protocole de cadrage de la transition », que Zida annoncera que l’objectif était la nomination d’une « éminente personnalité civile ».
Dans les jours qui suivront, sera élaboré un « avant-projet de charte de la transition » et mis en place un « collège de désignation » comprenant quinze représentants des partis politiques, quinze représentants des forces de défense et de sécurité et quinze représentants de la société civile. Ce n’est que dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 novembre 2014 qu’il sera annoncé que le choix du « collège de désignation » s’est porté sur Kafando. Or, à en croire, Zida, dès le samedi 1er novembre 2014, au soir, il aurait fait ce même choix !
Mais lors de cette conférence de presse, la dernière de Zida en tant que premier ministre, on l’attendait sur « l’affaire Soro », celle des écoutes téléphoniques qui impliqueraient le président de l’Assemblée nationale ivoirienne dans la tentative de coup d’Etat du 16-17 septembre 2015 au Burkina Faso. Mais nous n’en n’avons pas appris beaucoup plus.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique