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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (15)

Publié le samedi 6 décembre 2014 à 12h44min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (15)

Elle s’appelle Joséphine Ouédraogo. Dans le premier gouvernement Kafando/Zida, elle détient le portefeuille de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique. Elle est l’unique femme qui occupe, au sein du nouveau régime, une place prépondérante. Elle avait figuré parmi le trio sélectionné pour participer à la phase finale qui a décidé de la désignation du président du Faso (cf. LDD Burkina Faso 0452/Mardi 18 novembre 2014) ; il était tout à fait logique qu’elle se retrouve dans le gouvernement (cf. LDD Burkina Faso 0456/Lundi 24 novembre 2014).

On sait ce que la lutte contre la corruption, l’incivilité, le laxisme de la justice… représentent pour la nouvelle équipe au pouvoir. On imagine donc que la tâche de Joséphine Ouédraogo ne sera pas des plus faciles compte tenu des attentes de la population et des promesses des nouveaux promus. La « Révolution » de 1983 avait pensé résoudre le problème avec d’une part la création des Comités de défense de la révolution (CDR) et du Tribunal populaire révolutionnaire (TPR). Le TPR avait été, d’ailleurs, la première juridiction créée par le CNR ; c’était le 19 octobre 1983. Il était compétent pour juger les crimes et délits politiques contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, les cas de détournement de fonds publics et des crimes et délits commis par des fonctionnaires, agents et préposés de l’Etat dans l’exercice de leur fonction.

Au lendemain du 4 août 1983, les choses étaient simples et les ennemis étaient identifiés : hors du CNR, qu’il n’était pas question de dénigrer ou de contester, point de salut ; et tous ceux qui avaient été en place auparavant étaient, d’emblée, des ennemis, sans compter les règlements de compte entre factions politiques. D’où les dérives dont les CDR et le TPR se rendront coupables. Aujourd’hui, il sera bien plus difficile de différencier les « bons » et les « méchants ».

Mais Joséphine Ouédraogo sait de quoi il en retourne. Elle a été membre des gouvernements de Thomas Sankara du 31 août 1984 jusqu’au 31 octobre 1987, date de la formation du premier gouvernement dirigé par Blaise Compaoré. Née Guissou, elle est la fille de Henri Guissou et la « sœur » de Basile Guissou (ils ont été élevés ensemble) ; et elle a participé aux gouvernements Sankara dans le sillage de l’Union de lutte communiste-Reconstruite (ULC-R), fondée par Basile Guissou, mais sans jamais être une militante de ce groupuscule* (les révolutions peuvent bien, toujours, se réclamer des femmes, les femmes y sont toujours rares d’ailleurs Joséphine Ouédraogo était en charge, sous Sankara, du portefeuille de… l’Essor familial et de la Solidarité).

De la « Révolution », elle dit qu’elle « a changé le mode de gouvernance en expérimentant le centralisme démocratique. Elle était caractérisée par un leadership très fort qui avait une vision et qui avait une idée claire des étapes du processus de changement et de la mise en œuvre de la vision qui était celle d’une société dans laquelle l’individu et la communauté sont engagés ensemble sur des objectifs communs ». Elle déplorera que « les manquements [de la révolution] sont souvent ressassés dans certaines milieux qui ont tendance à [en] minimiser ou à noyer les acquis ». Il s’agit, dit-elle, de « prendre réellement conscience de nos capacités à trouver des solutions endogènes à nos problèmes, même en période d’urgence »**.

« Les méthodes militaristes, dit-elle, ne sont pas adaptées à la volonté et aux objectifs louables de la révolution pour « changer les choses » et apporter un mieux-être au peuple »***. Plus qu’un regard de politique, c’est un regard de sociologue que Joséphine Ouédraogo porte sur le monde. Née le 22 décembre 1949, elle a été scolarisée à Koudougou avant de poursuivre ses études secondaires à l’Institut de La Tour, à Paris, où son père avait été nommé ambassadeur. La Tour est un établissement scolaire (collège + lycée) catholique situé dans le XVIème arrondissement et alors exclusivement réservé aux jeunes filles. C’est là que Josephine Guissou obtiendra son bac en 1968. Son installation dans la capitale française, en juillet 1961, elle l’a vécu alors « comme une déchirure morale terrible ». « De mon enfance, dit-elle, je garde les souvenirs d’une vie ponctuée par les travaux domestiques : puiser de l’eau au puits, balayer la maison, laver les habits une fois par semaine au marigot dans la compagnie joyeuse de mes sœurs, cousines et voisines, l’école et les fouets du maître et ma mère [dont elle dit qu’elle était illettrée] dans son rôle de « gouvernante » de la grande cour familiale » (cf. note***).

A Paris, elle va vivre les « événements » de mai 1968, lire Simone de Beauvoir, nouer des contacts avec les militantes féministes. Elle fera des études d’assistante de service social au sein du département B de l’Institut de travail social et de recherche sociale de Montrouge (ITSRS devenu IRTS). Et, pour son mémoire de fin d’études, elle passera deux mois en milieu rural en Haute-Volta (c’était en 1969), ce qui lui permettra de se « réconcilier avec sa société ». En 1974, elle décroche une licence en sociologie à l’université Paris V René Descartes et va obtenir un poste de chargée d’études sociologiques à la SAED (1974-1980) avant de rejoindre l’Autorité des aménagements des vallées des Voltas (AAVV) où elle restera en fonction jusqu’en 1984. Pendant toutes ces années, elle va travailler sur les sociétés rurales, les politiques de développement et leur impact sur les femmes.

Puis ce sera l’intermède de la « Révolution » qui va lui permettre de mettre en chantier le premier Code de la famille du Burkina Faso. En décembre 1987, quelques mois après les événements du 15 octobre, elle va rejoindre sa famille en Tunisie. Elle va assurer des missions de consultation dans des pays sahéliens, sera chargée d’études et de formation à SACED-Formations en Suisse, coordinatrice à Douala du projet « Femmes et Santé en Afrique subsaharienne » au secrétariat général de l’Institut panafricain pour le développement - Afrique centrale francophone (IPD-AC), association internationale de droit suisse qui a fêté son cinquantenaire le 28 février 2014.

Elle sera directrice générale de la coopération internationale au ministère burkinabè des Affaires étrangères à compter de 1995 et jusqu’en 1997. Elle est alors recrutée par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, à Addis Abeba, pour diriger le Centre africain genre et développement. Elle va s’y investir pendant sept ans avant d’être nommée secrétaire exécutif adjoint a.i. du CEA pendant deux ans (2005-2007) et de rejoindre, en avril 2007, ENDA-Tiers monde à Dakar. Elle quittera Dakar en 2011 pour rentrer à Ouaga et rejoindre le Bureau d’études Appui-Accompagnement-Recherche action conseils (ARC) dont elle est la cofondatrice depuis 1993.

Mariée et mère de trois enfants, elle disait (cf. note***), en 2005, « attendre la retraite avec impatience pour prendre le temps d’écrire mes expériences et mes réflexions politiques. J’aimerais, ajoutait-elle, les partager avec des groupes de jeunes, recevoir leur propre vision des choses pour la faire connaître au public ». Dix ans plus tard, la voilà rattrapée, une fois encore, par la politique !

* Hormis Joséphine Ouédraogo et Basile Guissou, l’ULC-R était représentée au sein du gouvernement de Thomas Sankara par Adèle Ouédraogo et Alain Coeffe (actuel PCA d’Airtel Burkina Faso SA).

** Toutes ces citations sont extraites d’un entretien avec Touwendinda Zongo, publié dans le bimensuel burkinabè Mutations du 1er septembre 2013.

*** Texte de Joséphine Ouédraogo publié par l’Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (Afaspa) dans le livre « Elles font bouger l’Afrique », éd. Tirésias, 2005.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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