Vers une transition avec les larbins ?
Point de vue
Je viens de parcourir la charte de la transition ! Un texte expéditif, vrai qu’il a été rédigé dans les conditions que nous savons, mais qui une fois encore nous démontre que nous n’avons encore tiré aucune leçon des évènements qui ont conduit à la révolution ! J’en veux pour preuves :
1. Article 3 :
Outre les conditions fixées par la constitution en son Titre III, tout candidat aux fonctions de Président de la transition doit être un civil et ne saurait être une personne des Forces de défense et de sécurité à la retraite. …
N’avoir pas soutenu le régime déchu, et plus particulièrement le projet de révision de l’article 37 de la Constitution
Avec toute la polémique autour de l’article 37, on s’étonne que de telles ambiguïtés soient encore acceptées dans nos textes officiels !
Le CDP par exemple, nous le savons tous, a soutenu la modification de l’article 37 ! Qu’en est-il de la responsabilité individuelle de chacun des 70 députés CDP ? Qui peut me dire si individuellement, chacun était pour ou contre ? D’accord, les députés les plus en vue se sont exprimés publiquement, et avec un peu de chance, ils ont été enregistrés et nous avons donc des preuves ! Qu’en est-il donc de ceux qui n’ont pas eu cette chance de s’exprimer publiquement ?
Les RSS, comme ils sont maintenant connus, ont publiquement supporté la modification de l’article 37 à au début ! Je me rappelle avoir écrit un blog sur l’arrogance de Rock Kaboré lorsqu’il nous a sorti que « l’article 37 était anti-démocratique » ! Je me rappelle aussi avoir écrit un blog sur son mea culpa public ! Alors, sont-ils ou ne sont-ils pas exclus ?
Z. Diabré lui-même fut ministre de Compaoré ! D’ailleurs, son programme politique parle de « renforcer ce qui a été bien fait », etc. Nul ne dira qu’il n’a pas soutenu le régime de Compaoré !
Qui décidera de si oui ou non untel a supporté ou non le régime sortant ? Quelles preuves doit-on fournir pour prouver qu’untel a supporté la modification de l’article 37 ?
Derrière un article aussi anodin, se cache à mon avis un casse-tête juridique !
2. Article 20
L’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au gouvernement de la transition et au tiers (1/3) des membres de l’Assemblée nationale de transition, à raison de 15 membres par composante.
Le projet ou la proposition de révision est adoptée à la majorité des 4/5e des membres de l’Assemblée nationale de transition.
Le Président de la transition procède à la promulgation de l’acte de révision conformément à l’article 48 de la Constitution.
Ainsi donc, l’article 21 de la charte qui fixe la durée de la transition peut être modifié ! On pourrait passer de 12 mois à 60 si seulement 1/3 des membres d’un gouvernement que personne n’a élus en décidait ainsi ! Je rêve ou quoi ? Il en va de même pour chaque article de cette charte ! Donc de la charte elle-même !
Une seule chose pourtant devrait être inscrite en lettres dans cette charte ! La durée, non négociable de la transition !
Chaque Homme a son prix : espèces trébuchantes, gloire, orgueil, sexe, etc. Dans un tel contexte, il n’est donc pas impossible, d’envisager un scenario ou cette transition est prise en otage et des gens qui dirigeraient confortablement notre pays sans jamais avoir été élus pour ce faire ! L’enfer est pavé de bonnes intentions dit-on ! Les bonnes intentions derrière cette charte ne suffisent pas à la mettre à l’abri des abus ! J’en veux pour preuves la restauration de l’article 37 en 2000 ! Les ambiguïtés dans le langage avaient permis à Compaoré de se prévaloir de 10 années après la fin de son second mandat en 2005 ! Il est franchement temps que nous arrêtions de recourir à ces juristes qui ne font que nous créer des bombes à retardement dans nos textes officiels !
3. Article 13
L’Assemblée nationale de la transition est composée de quatre-vingt-dix (90) membres désignés par les partis politiques et la société civile selon la clé de répartition suivante :
• 50% pour les partis politiques et,
• 50% pour la société civile.
L’Assemblée nationale de la transition exerce les prérogatives prévues au Titre Y de la constitution. Son président est élu par ses pairs.
Le principe de large inclusion prévaut à la mise en place de l’Assemblée nationale de la Transition.
« Pati sankana ! », pour copier un de mes anciens profs ! Une assemblée ! Pour faire quoi ? Une assemblée qui n’est pas élue ne peut pas se prévaloir du titre Y de la constitution ! Arrêtons ce massacre de la République !
Nous sommes dans une transition ! L’heure n’est pas aux grands projets législatifs ! Il s’agit de faire fonctionner l’état pendant une période déterminée ! L’exécutif seulement suffit largement !
Le seul projet législatif dont la transition doit s’occuper est :
– Le verrouillage de l’article 37
– Le renforcement des institutions de la république !
Le verrouillage de l’article 37 devrait se faire par référendum ! Un référendum qui a mon avis devrait avoir lieu dans les 3 mois afin de permettre des élections législatives sur la base du code électorale actuel ! Il n’est pas si mauvais que ça dans les textes !
Il faut appliquer les textes !
Pour le second volet, un comité pourrait rapporter sur comment nous devrions procéder pour nommer nos juges et magistrats, la cour constitutionnelle, la réorganisation de la CENI et de la loi électorale ! Ces aménagements devraient eux aussi faire l’objet de référendum ! Ainsi le peuple libre du Burkina mettrait lui-même en place ces fortes institutions dont nous rêvons tous ! Ce travail, fini, le peuple souverain élirait ses députés (dans les 6-9 mois). Chose qui devrait mettre fin au gouvernement de transition d’autant que ceux qui sortiraient majoritaire à l’assemblée devraient pouvoir former un gouvernement !
4. Les médiocres au pouvoir !
Les articles 12 et 14, frappent d’inéligibilité aux élections qui mettront fin à la transition, toute personne qui participerait à la transition en tant que ministre ou membre de l’assemblée ! L’article 4 le fait aussi pour le président de la transition !
Notons d’abord que cette inéligibilité ne dure que au plus 5 ans ! Tous peuvent être candidats en 2020 ! Ou, si par quelques truchements, en 2015, après toutes les élections, nous venions à connaitre des élections anticipées, ils pourraient donc être candidats ! Supposons donc qu’après l’investiture du nouveau président en 2015, celui-ci décide d’appeler à des élections anticipées parlementaires et présidentielle ! Toutes les personnes touchées par les articles 12, 14 et 4 de la charte sont alors éligibles ! Si l’esprit de ces article est d’éloigner ces personnes de la chose publique au moins 5 ans, dans la lettre, ils disent tout le contraire !
Le problème que j’ai avec ces mesures c’est qu’elles ne nous permettront pas d’avoir les ‘meilleurs’ de nos cadres dans cette transition. En effet, du côté des partis politiques, seuls ces militants qui n’avaient aucune chance de voir le soleil seront présentés pour la transition ! Les autres, vont tout simplement se réserver pour l’après transition, faisant de fait de la transition, une transition faible : une transition des larbins !
Ceci vous fait froid au dos à penser que les seconds de la classe, non les premiers, mèneront notre pays pour au moins 12 mois !
Conclusion :
Il est dommage qu’il n’y ait pas eu de fuite de ce document avant son adoption pour mettre au burkinabè de réagir dessus, afin de guider les débats ! C’est ce qui se fait dans certaine démocraties avancées, afin de permettre à la société de contribuer utilement au débat ! Nul n’est omniscient ! L’adoption d’une charte comme celle-ci demandait que le peuple entier soit consulté de façon indirecte, surtout lorsque nul d’entre nous ne sait comment Zida en est arrivé à cette liste de citoyens qu’il considère nous représentent pour discuter de notre avenir ! Par exemple, G. Diendéré a été reçu au CES, sans que personne, même pas les journalistes aient demandé à quel titre il le fut ! Une première faille dans notre marche vers une démocratie véritable ! Apres lecture de la charte, elle m’a d’abord rappelé Blaise Compaoré et son fameux « Large rassemblement » -de mangeurs- !
Oui, la charte rassemble large, mais seulement les médiocres de nous-même, en frappant d’inéligibilité les meilleurs d’entre nous, si jamais ils voulaient apporter leur pierre ! Sacrifice insignifiant me dira-t-on que 5 années d’inéligibilité pour qui aime son pays ? Peut-être ! Peut-être aussi que le risque de laisser le pays à la dérive pour 5 ans est plus grand !?
Pour ma part, la transition n’a pas besoin d’une Assemblée ! Elle n’a pas besoin de 12 mois, et frapper un ministre d’inéligibilité pour 5 ans, alors même que la fonction de ministre n’est pas soumise au suffrage ne me parait pas logique non-plus !
Cette charte est une opportunité manquée de mettre notre pays sur les rails. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le peuple du Burkinabè verra la charte pour ce qu’elle est : une consécration des numéros 2, comme Zida lui-même, et restera mobilisé afin d’assurer le succès du pays pendant les longs 12 mois qui viendront.
J’ose espérer que les grandes ambiguïtés de la charte de la transition ne présagent pas de ce qui est à venir pour notre constitution et nos institutions !
Koudraogo Ouédraogo
Koudraogo.ouedraogo@gmail.com