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Différend entre le Ministre et le Mécanicien : « Nous avons raté une occasion de... »

Publié le mardi 28 février 2012 à 02h52min

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Le Décret N°2012-122/PRES/PM du 23 février 2012, portant composition du Gouvernement du Burkina Faso, consacre essentiellement le limogeage de Monsieur Jérôme Traoré, jusque-là Ministre de la Justice, de la Promotion des Droits humains, Garde des sceaux. Sur sa page web du jeudi 23 février 2012, le quotidien d’information L’Observateur Paalga titrait à cet effet : « Gouvernement burkinabè : Un remaniement pour chasser le ministre de la Justice ».

Un désaveu pour le limogeage du Ministre

La brève susmentionnée nous donne une teneur de la raison de ce débarquement, en ces termes : « L’homme est ainsi emporté par les bourrasques du différend qui l’a opposé à un mécanicien le dimanche 19 février 2012. On se souvient que ce jour-là, le véhicule du ministre a failli percuter ce jeune homme de 32 ans. Une altercation gestuelle et verbale aurait eu lieu entre les deux hommes sans que le mécanicien sache qu’il avait affaire au ministre de la Justice. L’histoire tourne mal et le jeune homme passera la nuit au commissariat où il sortira le lendemain avec des contusions. »

Force est de constater que le limogeage du Ministre a été accueilli, salué, savouré et même célébré par bon nombre de Burkinabè, comme une victoire : une victoire du peuple contre ses dirigeants, une victoire du pauvre contre le riche, une victoire de l’informel contre l’officiel, une victoire de la justice contre l’impunité, une victoire de la démocratie contre l’arbitraire, une victoire. Bien que souhaité ou revendiqué par de nombreux Burkinabè, ce limogeage est tombé comme une décision inattendue ou inespéré pour certains d’entre eux. Plusieurs s’y attendaient moins, ou ne l’envisageaient même pas du tout.
Mais bien de personnes, comme moi, ont été choquées par la manière dont le différend entre le Ministre et le Mécanicien a été géré tant par les populations que par les autorités.

En effet, je pense personnellement et franchement que nous avons carrément raté une occasion de sensibiliser les uns et les autres sur des questions civiques et morales, et de promouvoir les vertus du dialogue, du pardon et de la réconciliation. Je désapprouve entièrement, autant les menaces, intimidations, pressions malsaines et plans macabres de certaines populations en direction du Gouvernement, que la précipitation, la fébrilité et la démagogie dont le Gouvernement a fait preuve en cédant aux sollicitations de ces populations.

Je pense que les revendications des uns, et la suite qui y a été donnée par les autres, ne sont pas suffisamment empruntes de patriotisme et porteuses de paix dans le long terme.

De l’incivisme généralisé dans la circulation

L’incivisme est une réalité constante dans la circulation, à Ouagadougou en particulier. En fait, tout le monde circule mal, et c’est à la limite comme si chacun se disait qu’il en avait le droit. Les voies sont étroites, mais chacun se dit qu’il a le plein droit de les emprunter de façon tout à fait confortable. On ne pense pas aux risques que l’on court ou fait courir aux autres en voulant se frayer ou s’accaparer son chemin. Parfois, les piétons entendent aussi partager la voie avec les véhicules, motos et vélos. La route n’appartient à personne ; elle appartient à tout le monde.

Chacun tient donc à s’insérer dans cette circulation, advienne que pourra. La situation est telle qu’un artiste a chanté à propos : « Ouagadougou circulation ya yélé ! Même le boanga est dans la circulation ! » (La circulation de Ouagadougou est compliquée ! Même l’âne est dans la circulation !)
Personnellement, je n’ai pas de voiture. D’ailleurs, je ne sais me déplacer qu’à vélo ou moto. Et dans la circulation, je vois combien de conducteurs de véhicules n’ont aucun respect pour les autres usagers de la route. Certains t’écraseraient à la moindre mauvaise manœuvre. Mais je suis aussi témoin de l’entêtement malsain et de la provocation de bon nombre de conducteurs d’engins à deux roues. Ils prennent de grands risques pour leur vie et celles des autres. Malheureusement, vraisemblablement la plupart des conducteurs d’engins à deux roues qui se livrent à ce jeu, ne sont pas à mesure de se prendre en charge ou de dédommager leurs victimes en cas d’accidents.

C’est vraiment déplorable de constater combien des Burkinabè viennent étaler leurs frustrations, leur impatience et leur intolérance dans la circulation. Chacun est prompt à en découdre ou à demander réparation. Parlant justement de réparation, il est devenu habituel voire normal qu’en cas d’accident, le type d’engin que chacun utilise détermine s’il doit prendre l’autre en charge ou être soi-même pris en charge. En clair, si vous êtes en voiture, et que vous cognez quelqu’un ou que vous êtes cogné par quelqu’un qui à deux roues, le reflexe est que vous devez vous occuper du motocycliste ou cycliste. C’est le même reflexe qui vaut, en cas d’accident entre moto et vélo, moto et piéton, ou vélo et piéton. Gare à vous si vous ne vous exécutez pas ! J’ai personnellement vu des cas ou des piétons ou cyclistes par leur imprudence ou entêtement se sont fait renverser ou blesser, et il fallait que la personne impliquée dans ces accidents prennent en charge leurs soins et passe régulièrement leur rendre visite à l’hôpital ou à domicile.

Conséquence, plus vous estimez que vous êtes pauvres et malheureux, plus vous êtes imprudents et indisciplinés dans la circulation. Tant pis pour celui qui vous renverse ou cogne ; ça lui apprendra, lorsqu’il vous prendra en charge. Voyez-vous combien le pauvre peut facilement devenir aigri, sadique et méchant !?
Je pense que des actions vigoureuses et stratégiques de sensibilisation doivent être menées en direction des usagers de la route, pour leur inculquer un minimum de civisme, de considération et de respect mutuel. Chacun doit aussi apprendre à respecter sa propre vie, et celles des autres.

Quelques leçons pour l’avenir

Personnellement, je désapprouve la conduite du Mécanicien, tout comme je condamne le traitement qui lui a été infligé sur instruction ou avec l’approbation du Ministre. J’estime que l’acte du Ministre est grave, très grave, et même inconcevable, au regard de son rang et de sa fonction. Le Ministre aurait pu faire preuve d’une certaine hauteur d’esprit, en laissant le Mécanicien partir avec ses problèmes. Il aurait pu aussi privilégier la voie judiciaire, pour faire entendre raison au Mécanicien. Bien de personnes auraient trouvé en cela une nouvelle occasion pour dénoncer une fois de plus le manque d’indépendance de la justice, une justice aux ordres, etc. Mais, qu’à cela ne tienne ! Le Ministre aurait pu demander à travers son avocat que le Mécanicien soit condamné par exemple à lui payer un franc symbolique.

Ce procès aurait été l’occasion de relever certains problèmes qui minent la sécurité routière et la cohésion sociale, de sensibiliser les uns et les autres. Peut-être que tout cela n’aurait finalement pas servi à grand-chose mais cela aurait eu le mérite de valoriser l’état de droit et la démocratie au Burkina Faso.

A la faveur du différend entre le Ministre et le Mécanicien, je me suis demandé quel cadre un Ministre qui est un citoyen avant tout, peut utiliser pour faire prévaloir ses droits et prérogatives devant tout autre citoyen. Est-ce que les autorités et responsables à tous les niveaux ne sont pas des citoyens, des humains, avec des humeurs, des frustrations, des faiblesses, comme tout le monde ? C’est un gros piège, que de vouloir croquer de l’autorité à tout moment, pour le plaisir d’en croquer. Je ne défends pas des individus, mais le principe de l’autorité. Si nous poussons trop loin, nous risquons de nous retrouver dans une situation ingérable, ou chacun se croit tout permis et fait ce qu’il veut. Je comprends que la pression sur le Gouvernement est utile et nécessaire à tout moment, dans l’intérêt de la démocratie. Mais la dictature de la démocratie est le pire ennemi de la démocratie, et l’autre nom de l’anarchie.

Livrer une autorité à la vindicte populaire n’est pas forcement un signe ou symbole de démocratie mais une marque de la défaillance du fonctionnement des mécanismes sociaux de paix et cohésion.
Je suis certainement ignorant de tous les paramètres qui ont prévalu au limogeage du Ministre. Mais malgré toutes les raisons apparemment bonnes que l’on avait de le faire, je continue de croire tout de même, par principe, qu’il n’aurait pas dû être limogé, en tout cas, pas avec autant de précipitation. Le Ministre a été vraisemblablement sacrifié à l’autel de la consolidation de la paix et de la cohésion sociales. Mais le danger, c’est que l’appétit vient à mangeant !

Ceux qui ont demandé et obtenu du Ministre à croquer, demanderont davantage, d’autres Ministres ou des responsables à divers niveaux, pour satisfaire leur appétit grandissant. Le Gouvernement aurait pu dénoncer l’acte du Ministre, tout en faisant preuve de solidarité. Le Ministre, aurait pu reconnaitre son tort et le réparer, demander pardon au Mécanicien, présenter ses excuses à la Nation.En retour, le Mécanicien aurait accepté la demande de pardon du Ministre, et il aurait aussi reconnu avoir mal agi, et aurait demandé pardon au Ministre. Pour moi, le meilleur scénario possible aurait été cela : magnifier le pardon et la cohésion sociale. La télévision nous aurait présenté les deux « amis », en train de prendre un pot ensemble quelque part, dans un restaurant de la place ou chez le Ministre. C’est cela qui fait l’avenir d’une Nation !

Bref, le limogeage du Ministre calme un peu des esprits, sans apporter la paix du cœur. A ce jour, le Ministre et le Mécanicien sont chacun frustré de son côté. Je pense que dans l’avenir, si un problème du genre se pose, il faut, tout en évitant des pressions malsaines et des réconciliations de façade, travailler surtout en direction des personnes directement affectées. Celles-ci devraient être réconciliées avec elles-mêmes, entre elles, puis servir de vecteurs de réconciliation sociale. On n’aura certainement pas toujours besoin des mêmes chefs coutumiers ou religieux et autres leaders d’opinion pour faire le travail.

Mais dans l’entourage et l’intimité de chaque personne affectée, on peut trouver des personnes à même de contribuer à détendre l’atmosphère et sceller le pardon et la réconciliation. J’encourage le Gouvernement à travailler dans ce sens.
Dans la circulation, chacun de nous a déjà été sans doute victime ou témoin d’une attitude comme celle du Mécanicien. En vérité, cela fait mal, très mal, quand quelqu’un circule mal, vous met dans une situation inconfortable, puis continue de vous narguer. J’ai récemment écouté une intervention du Professeur Laurent BADO, qui expliquait, entre autres, comment il en était venu à corriger un cycliste qui avait eu envers lui exactement la même attitude que celle du Mécanicien à l’endroit du Ministre.

Mon propos ici, n’est pas d’encourager les gens à se régler les comptes dans la circulation. Chacun doit comprendre que des gestes de la main en l’air avec des paroles audibles ou non font très mal, et éviter cela dans la circulation, même quand on estime être dans son droit. Que vous estimiez avoir raison ou tort, évitez toujours les gestes et paroles qui énervent les autres. Nous connaissons tous les gestes et paroles qui énervent les autres : ce sont typiquement les mêmes gestes et paroles qui nous énerveraient si quelqu’un nous les adresse. Ce qui nous énerve, c’est aussi ce qui énerve les autres, et vice-versa.

On ne sait jamais ! Ce qui est arrivé au Ministre peut arriver à chacun de nous. Ce qui est arrivé au Mécanicien peut aussi arriver à chacun de nous. Cela ne nous tombe pas dessus parce que nous en avons l’habitude. Mais si c’est notre mauvais jour (et qui connait son mauvais jour avant qu’il ne se présente à lui comme tel ?), un acte inconsidéré commis même pour la toute première fois de notre vie, peut avoir des conséquences fatales.

Vive le Burkina Faso. Que Dieu bénisse le Burkina Faso.

Ange Junior (angenior@yahoo.fr )

P.-S.

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