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BOUCLE DU MOUHOUN : "Mounkuy n’est pas un cas isolé dans la région"

Publié le mercredi 25 mai 2011 à 02h23min

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Ceci est une déclaration de la coalition des organisations de la société civile de la région de la Boucle du Mouhoun à propos d’un conflit historique né entre un agriculteur et un éleveur.

Les évènements du 29 juin 2010 à Mounkuy interpellent les autorités administratives et politiques sur l’impérieuse nécessité de travailler à maintenir et à renforcer la cohésion sociale dans la région de la Boucle du Mouhoun. Le 29 juin 2010, les populations autochtones de Mounkuy, village situé à 17 km de Ouarkoye, département de ladite localité, dans la province du Mouhoun, ont mis à feu et à sac les habitations de monsieur Adama Kiébré . Informés de cet incident, le procureur du Faso près du Tribunal de grande instance de Dédougou, le directeur régional de la Police nationale accompagné d’un important dispositif de sécurité et le commandant de brigade de gendarmerie de Ouarkoye se sont déplacés immédiatement à Mounkuy.

Arrivés sur les lieux, ils n’ont constaté que les dégâts : habitations détruites et incendiées, animaux abattus et d’autres biens saccagés. Devant l’ampleur du soulèvement des habitants du village, quelques coups de feu ont été tirés en l’air par les forces de l’ordre pour tenter d’éloigner les manifestants sans succès. Au fond, qu’est-ce qui a pu provoquer une telle explosion sociale ?

Genèse de l’affaire :

Tout serait parti d’un conflit entre monsieur Adama Kiébré et un éleveur peul en 2006. Selon les informations recueillies sur place, des bœufs appartenant à l’éleveur peul auraient dévasté une partie du champ du sieur Kiébré. Entendu par les notables et le Conseil villageois de développement (CVD), le peul reconnaît les faits et accepte de verser la somme convenue de trente mille (30 000) F CFA à monsieur Kiébré au titre de dédommagement. Une seconde fois, des bœufs appartenant au même peul ont commis encore des dégâts dans le champ de monsieur Kiébré. De vives altercations sont alors engagées entre le berger et le sieur Kiébré. Lors de ces échanges, monsieur Kiébré aurait tenu des propos injurieux à l’endroit du chef de quartier qui a donné l’hospitalité au peul.

Saisi du problème, le Conseil des notables du village, après avoir perçu les dangers pour la cohésion au village, invite monsieur Kiébré sous l’arbre à palabre pour l’entendre. Ce dernier ne s’y présente pas. Il ne se présentera pas non plus aux autres convocations successives des notables. Ce manque de respect pour les autorités coutumières et les anciennes institutions villageoises ne manqua pas de susciter l’indignation des notables et des villageois de Mounkuy. C’est ce qui a conduit le Conseil des notables à procéder à des cérémonies coutumières, en demandant à monsieur Kiébré de quitter le village. Ce dernier, informé de la décision, refuse de s’y soumettre et saisit à son tour le préfet de son département, Ouarkoye. Commencent alors d’interminables convocations des notables et des responsables du village, tantôt à la préfecture, tantôt à la brigade de gendarmerie de Ouarkoye, tantôt à la police et pour finir, à la justice, au Tribunal de grande instance de Dédougou.

Pendant quatre ans, aucune solution susceptible d’apaiser la tension n’a été trouvée. Chaque partie est restée campée sur ses positions. Les autochtones du village estiment que la cohabitation n’est plus possible avec Kiébré qui, de son côté, insiste vouloir y rester. C’est dans ce climat délétère que la destruction de tous les biens de Kiébré, à l’exception des greniers de vivres, est survenue le 29 juin 2010. Kiébré saisit alors la justice.

Tenu informé de l’ampleur de la situation, le MBDHP diligente une mission sur les lieux le 4 juillet 2010. La délégation du MBDHP dépêchée sur les lieux constate de visu l’ampleur des dégâts et la profondeur de la crise qui règne dans le village, et entreprend de mieux comprendre la situation en procédant à des échanges et à des croisements d’informations. Le 2 août 2010, Kiébré prend l’initiative de saisir le Comité exécutif national (CEN) du MBDHP. Le CEN, après avoir entendu l’intéressé, demande à sa section provinciale du Mouhoun de tout mettre en œuvre pour apaiser la tension afin que le pire soit évité. Le 7 août 2010, la section MBDHP, appuyée par les dirigeants de la Coalition de la société civile du Mouhoun, rencontre les protagonistes à son siège du MBDHP.

Après environ sept heures (7 heures) de débats, aucune solution n’a été trouvée malgré les propositions de sortie de crise faites aux protagonistes, le sieur Kiébré refusant tout compromis : refus des rencontres organisées par les notables du village ; refus de quitter le village ; refus de demander des excuses ; refus de répondre aux sollicitations de l’administration. En outre, pour apaiser les esprits et tenter de désamorcer la crise, le haut-commissaire de la province du Mouhoun a initié le 28 janvier 2011 une rencontre avec les protagonistes. La délégation du Haut-commissaire était composée du préfet et du maire de Ouarkoye, du commandant de la gendarmerie de Dédougou et des responsables des forces de sécurité de Ouarkoye (commissaire et commandant de la brigade de Ouarkoye).

Sollicité pour se joindre à la mission, la Coalition fera partie de la délégation. Les populations et les notables de Mounkuy ont accueilli favorablement la démarche et les interventions du haut-commissaire et des autres membres de la délégation. Elles ont par contre pris à témoin le haut-commissaire du comportement de Kiébré avant de déplorer son absence à la rencontre alors qu’il avait été informé par plusieurs canaux de l’arrivée du premier responsable administratif de la province, lequel avait effectivement souhaité la présence de tous les protagonistes dans l’affaire. Au moment où le haut-commissaire préparait activement la sortie à Mounkuy, le procureur du TGI de Dédougou informait le président de la section MBDHP de l’ouverture d’une information judiciaire.

Comme pour joindre l’acte à la parole, le 29 janvier 2011, un huissier venu de Bobo-Dioulasso remet une assignation à un notable, l’invitant à se présenter le 22 févier 2011 au TGI de Dédougou. Le 2 février 2011, deux convocations sont envoyées à deux autres résidents du village de Mounkuy, les invitants à se présenter devant le TGI de Dédougou le 7 février 2011.

- Que retenir de ces événements ?

De l’attitude du sieur Kiébré

Manifestement, le sieur Kiébré est décidé à aller jusqu’au bout de son bras de fer engagé à la fois contre ses logeurs, et même contre l’administration qui a tout fait pour régler la question à l’amiable. Non seulement, il refuse de se présenter aux appels des notables du village qui l’ont accueilli, qui lui ont cédé des terres à exploiter, mais il foule aux pieds les coutumes et les règles de coexistence pacifique. Par ailleurs, il se prévaut de la teneur des textes de lois burkinabè pour ne plus respecter les notables, les anciens du village et ceux qui lui ont cédé une portion de leurs terres. Se fondant sur ces appréciations, il assigne son logeur « en reconnaissance de droit de superficie, et en réparation de préjudice d’une valeur estimée à 10 000 000 de F CFA ». Le sieur Kiébré s’est préparé à toute épreuve pour s’imposer, en s’entourant de conseils juridiques, mais aussi des complices hissés dans l’administration. Le sieur Kiébré se sent alors un « môgô puissant » qui refuse d’obtempérer, de répondre aux invitations des autorités coutumières du village.

Une telle attitude de mépris vis-à-vis de ses hôtes est contraire aux us et coutumes du Peuple burkinabè, de nos sociétés traditionnelles. C’est une attitude contraire à l’hospitalité africaine. Monsieur Kiébré se prévaut actuellement de la législation foncière, pour refuser de répondre aux convocations de l’autorité coutumière. Mais pour avoir la terre et s’installer, il n’avait pas en son temps fait référence à la RAF, mais à l’hospitalité et à la tradition. Une telle attitude néfaste et dangereuse pour la coexistence pacifique entre communautés est porteuse de tensions sociales dans le contexte de crise foncière que connaît la région. Elle peut aussi porter préjudices aux demandeurs de terre dans la région.

De l’attitude des notables

Deux personnes hébergées par des autochtones ont un différend à partir de dégâts de champs par des animaux par deux fois, situation somme toute courante à travers tout le pays, et particulièrement dans la Boucle du Mouhoun. Les notables qui ont, pour les premiers dégâts, enjoint le fautif (l’éleveur) à payer les dommages reconnus, ont souhaité rencontrer les deux protagonistes. D’ailleurs, la loi portant régime foncier rural (loi 034- 2009/AN du 16 juin 2009) fait obligation aux parties en conflit de passer par la conciliation avant de référer au Tribunal de grande instance. Les notables ont joué leur rôle de conciliateurs et manifesté leur esprit d’ouverture au dialogue. Le fait que Kiébré refuse de les écouter, de respecter les usages locaux et leurs coutumes, ils lui ont demandé de libérer l’espace. Les notables se demandent comment un « hôte » peut fouler allègrement aux pieds les normes et règles locales sans que les autorités locales ne réagissent. Les notables du village se sont sentis bafoués. Par conséquent, ils ont demandé à Kiébré de libérer l’espace soumis à leurs coutumes.

De l’attitude de l’administration publique

L’administration a géré, autant que nous le sachions, la question avec souplesse et prudence, compte tenu de la délicatesse de la question. L’administration est allée jusqu’à proposer au sieur des rencontres pour des voies de conciliation. Après avoir donné son accord, il se porte absent les jours et heures inqiqués, laissant l’administration surprise et seule avec les notables du village. Ce genre d’attitude a été rencontré dans d’autres régions où des migrants, forts de leurs appuis politiques, ne reconnaissent aucune autorité administrative, édictent et appliquent leurs propres lois dans des villages qu’ils ont créés de toute pièce, et crient à l’atteinte à leurs droits humains quand il leur est reproché leurs abus.

De l’attitude des pouvoirs judiciaires

Pendant longtemps, les autorités judiciaires, au fait certainement de l’évolution des textes de lois, ont prêché la modération et les règlements à l’amiable. Les dernières évolutions, convocation, assignation en justice de notables de Mounkuy proviennent des incendies de biens du sieur Kiébré, suite à ses entêtements. La justice va juger deux ou trois personnes, suite aux enquêtes du juge d’instruction et de l’acte d’assignation notifié par un huissier de Bobo-Dioulasso. Elle va condamner les prévenus dont deux en voie d’être inculpés au pénal pour « Incitation à la commission d’une infraction, incendie volontaire, abattage d’animaux domestiques sans nécessité, association de malfaiteurs, menace sous condition ». A cette allure, quels que soient l’issue et le verdict, il y aura manifestement quelqu’un de trop.

En résumé

Il convient de rappeler que des gens qui se présentent comme des intouchables dans certains villages, invoquant à tour de bras les lois, constituent de véritables dangers pour la quiétude des populations. C’est le lieu pour la section provinciale du MBDHP d’informer tous les acteurs de la délicatesse de la situation et de réaffirmer que le cas de Mounkuy n’est pas un cas isolé dans la région de la Boucle du Mouhoun.

- On se souvient en effet que déjà, en 1978 les bruits ont couru avec insistance, accusant des hommes politiques sans scrupule d’installer leurs parents armés dans les Banwa (Solenzo). Aucune enquête sérieuse n’a été diligentée pour faire la lumière sur cette information, et les mêmes bruits se font de plus en plus entendre aujourd’hui. Des crimes impunis sont signalés dans des villages autour des questions de contrôle et de gestion des terres. C’est le cas du chef de village de Ban (Solenzo) qui a été retrouvé égorgé et les assassins courent toujours.
- A Bondokuy, un affrontement autour des terres de culture entre migrants et autochtones a été évité de justesse en juin 2010. Des gens auraient été aperçus à Bondokuy avec des armes à feu.
- A Miana, Ouakara, Dissankuy, etc., des signes avant-coureurs d’éventuels affrontements entre communautés autochtones et allogènes se dessinent à l’horizon autour de problèmes liés à la gestion de terre.
- Pour ne rien arranger, le 3 septembre 2010 à Syn Békuy (département de Bondokuy) Bazi Fioza est abattu dans des circonstances pour le moment trouble par un migrant. Son fils a aussi reçu au moins trois balles dans le corps. Fort heureusement, ce dernier s’en est sorti.
- En janvier 2011, à Solenzo, les allogènes ont organisé une marche sur la mairie pour des questions foncières. Le 1er février 2011, pour calmer la situation, le gouverneur a dû se rendre personnellement sur les lieux pour entendre les parties. La récurrence de telles situations un peut plus explosives sont à l’origine, entre autres, de la relecture de la RAF, mais avant cela, de l’adoption d’une loi spéciale pour le milieu rural. Aux termes de cette nouvelle loi, non seulement les coutumes sont reconnues, mais encore, il est tenu compte de la place des chefs de terre là où il en existe dans le cadre des structures officielles de gestion du foncier. Les décrets d’application existent et s’appliquent déjà à travers le pays. Du reste, la nouvelle loi foncière s’en inspire fortement.

Quelles perspectives pour cette affaire ?

Mounkuy constitue assurément un village où il ne suffira certainement pas de dire « force reste à la loi ». Il est difficile, voire même impossible, de trouver une solution durable qui satisfait toutes les parties. Il est important que nos autorités administratives et judiciaires comprennent que c’est dans la concertation, le dialogue et les actions coordonnées qu’on viendra certainement à bout des crises sociales. La Coalition attire l’attention des autorités publiques sur les dangers d’une mauvaise approche des questions liées à la gestion des terres dans la province, voire, dans l’ensemble de la région de la Boucle du Mouhoun. Dans la plupart des cas, les populations accusent l’administration centrale d’être partisane et/ou complice selon les cas. Dans certaines localités, mêmes les habitants accusent ouvertement les autorités locales de soutenir un camp ou d’être de connivence avec certains milieux politiques.

Les populations se trouvent face à une situation où l’administration ne prend que des mesures conservatoires, en renvoyant invariablement « à l’application de la loi ». Elle ne s’attaque pas aux causes réelles des conflits fonciers, bien au contraire, elle prend des mesures qui s’apparentent à des fuites en avant qui ont pour conséquence de faire de tous les conflits des explosions sociales latentes. Si les mesures de l’Etat ont été incapables jusqu’à présent de résoudre correctement la question des terres et par extension des rapports sains entre nationalités, il lui appartient d’apaiser les tensions récurrentes, ou, à défaut, laisser les communautés le faire sur la base de règles de cohabitation entre populations de divers horizons. La région de la Boucle du Mouhoun est reconnue comme une région d’accueil par excellence des migrants. Elle a vu cohabiter dans la quiétude et la paix, pendant des siècles, diverses communautés sur les mêmes terres.

Elle est aujourd’hui confrontée à une forte pression foncière, mais surtout à des prétentions diverses, qui peuvent, si l’on n’y prend garde, remettre en cause la quiétude sociale. A cause des conflits fonciers mal gérés et des lois foncières soumises à toute sorte d’interprétation, la région de la Boucle du Mouhoun est devenue une véritable poudrière qui peut exploser à tout moment. Les autorités administratives, politiques et judiciaires se doivent donc de résoudre d’aborder les conflits fonciers en toute impartialité et en tenant compte des réalités sociales et culturelles du milieu et en invitant les citoyens au respect des normes et règles locales.

Ce sont elles qui régissent la vie de nos sociétés. Les dérapages verbaux de certains hommes de droit et de l’administration, la stigmatisation d’une catégorie de la population, les fuites en avant de l’administration centrale, l’ethnicisme et le régionalisme que l’on tente de coller au dos de certaines populations, les tentatives de certains politiciens en quête de clientèle électorale conduisant à soutenir un groupe ethnique contre un autre, etc. , ce sont toutes ces dérives qui font courir à toute la région un danger pouvant déboucher sur des affrontements aux conséquences incalculables. C’est donc, le rôle régalien de l’Etat d’amener les citoyens à s’appuyer sur les usages locaux, les pratiques culturelles pour régler ce genre de problèmes. Et, c’est dans cet esprit que tous peuvent avoir une bonne interprétation de l’adage qui dit : « force et justice doivent rester à la loi ». Face à la situation, la Coalition :
- Apprécie positivement les directives données par le CEN du MBDHP pour la cohésion sociale à Mounkuy ;
- Salue les démarches engagées par les hauts-commissaires et le gouverneur de la région en vue de sauver la paix sociale et de renforcer la cohabitation pacifique entre les populations ;
- Déplore les violences qui ont conduit à la destruction des biens de Kiébré ;
- Invite les protagonistes à poursuivre le dialogue et à faire preuve de retenue jusqu’au dénouement de la situation ;
- demande aux autorités de la région de trouver une solution définitive au litige qui oppose Adama Kiébré et les autochtones du village de Mounkuy et les exhorte à tout mettre en œuvre pour éviter que pareil cas ne se reproduise ;
- Interpelle les autorités sur leurs responsabilités quant au maintien et au renforcement de la cohésion sociale dans la région de la Boucle du Mouhoun.
- Appelle toutes les communautés vivant dans la Boucle du Mouhoun à œuvrer main dans la main pour une cohabitation pacifique dans le respect mutuel entre toutes les populations, quelles que soient leur origine. La concorde et la paix sont à ce prix.

Dédougou, le 23 janvier 2011

Le Secrétaire exécutif, porte-parole de la Coalition Lamoussa KADINZA

Le Pays

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