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Agriculture : Un producteur burkinabè menacé d’expropriation en Côte d’Ivoire

Publié le mardi 10 juin 2008 à 15h43min

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Arrivé dans les années 40 en Côte d’Ivoire pour travailler dans les plantations des colons, Djibril Sawadogo de nationalité burkinabè est devenu le meilleur producteur de riz dans la partie ouest de la Côte d’Ivoire. Rentré au bercail pour raison de santé, le vieil homme affirme que son campement de 210 hectares risque de tomber dans les mains d’un Ivoirien et demande l’aide des autorités burkinabè face à cette menace.

Né à Nagréongo-Koudgo dans la région du Plateau central au Burkina Faso, Djibril Sawadogo est l’un des plus grands producteurs de riz de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Basé à 5 km de la ville d’Obodroupa (19 km de Gagnoa), Djibril Sawadogo se distingue des autres producteurs. Dans un campement agricole de 210 hectares dont 46 de riz, il engrange par cycle de 3 mois, 368 tonnes de riz de bas-fond pour une valeur estimée à 46 millions de francs CFA.

Aujourd’hui, l’exploitation de Djibril Sawadogo est menacée d’expropriation par un jeune frère du ministre de l’Intérieur de la Côte d’Ivoire, Désiré Tagro. L’affaire a été statuée, il y a quelques semaines, par le Tribunal de Gagnoa qui a réaffirmé la propriété de Djibril Sawadogo. La partie perdante aurait décidé d’interjeter appel. Face à cet entêtement, Djibril Sawadogo demande aux plus hautes autorités burkinabè de l’aider à conserver ce qu’il a acquis à la sueur de son front tout au long de sa vie. « Celui qui se bat pour prendre ma plantation est plus fort, plus riche que moi et il est Ivoirien. Je n’ai volé aucune portion de terre ; j’ai payé et je possède tous les papiers de ma plantation », dit-il. Conscient du pouvoir du petit frère du ministre ivoirien de l’Intérieur, Djibril Sawadogo craint que sa propriété ne soit remise en cause. « Si on me retire ce champ, c’est toute ma vie qui sera confisquée », affirme-t-il.

L’homme a été sacré à plusieurs reprises meilleur producteur de riz de tout l’Ouest de la Côte d’Ivoire (Gagnoa, Oumé, Daloa, Lakota, Bouaflé ). Sa dernière distinction date de 2004. Après avoir sollicité un appui pour une amélioration de sa retenue d’eau, l’Etat ivoirien vient de le doter d’un barrage d’un coût de 200 millions FCFA qu’il exploite grâce à ses quatre machines agricoles.

Ce riziculteur a par ailleurs reçu des dons en espèces et en nature de la part de l’Etat ivoirien. On peut citer entre autres une enveloppe d’un million de francs, une tronçonneuse, une batteuse. Pour encourager ce grand producteur, le gouvernement ivoirien lui avait, par le passé, donné cinquante (50) têtes de moutons qui n’ont pas survécu aux intempéries, puis quinze (15) têtes de bœufs. Aujourd’hui, il possède une cinquantaine de bœufs.

50 ans aux côtés des Blancs

« C’est au temps des travaux forcés, que j’ai été embarqué à Bamako et envoyé en République de Côte d’Ivoire pour travailler dans les plantations de café et de cacao des Blancs. J’avais juste 25 ans. J’ai travaillé 50 ans avec les Blancs. Ils me payaient 25 francs CFA par mois comme salaire.
En son temps, Félix Houphouët Boigny (Ndlr : le 1er président ivoirien) était député en France. Mon salaire est passé ensuite à 650 francs puis à 750 francs CFA », raconte Djibril Sawadogo.

C’est en 1962 qu’il créa son propre campement agricole avec l’aide de ses anciens employeurs. « J’ai payé mes 150 hectares à 1 millions 500 mille francs CFA avec les Blancs qui étaient mes anciens patrons. Ces mêmes Blancs m’avaient donné 60 hectares. Ils m’ont aidé à avoir tous les papiers administratifs de mes 210 hectares », explique le vieux Sawadogo.

Après le départ des Blancs, il s’est investi dans la plantation, l’agriculture, l’élevage et la pisciculture. Aujourd’hui, il possède à côté de sa rizière, 50 hectares de café qui produisent 150 tonnes, 80 hectares de cacao qui donnent 2,5 tonnes par hectare, 32 hectares de cocotiers avec une production de 30 tonnes à l’hectare.
La guerre déclenchée en 2002 a créé des difficultés à Djibril Sawadogo. La main d’œuvre s’est raréfiée, la menace d’expropriation a fait surface.

« Nous vivions en parfaite entente avec les autochtones. C’est la crise de 2002 qui a un peu menacé notre existence paisible en Côte d’Ivoire. Des soldats loyalistes ont tenté à deux reprises de m’éliminer mais les autochtones qui me connaissent bien se sont opposés. Toutes les deux tentatives se sont soldées par des échecs. En réalité, on voulait m’éliminer pour récupérer mes plantations. Certains pensaient que ce sont les Blancs qui m’avaient cédé ces plantations avant de partir et que l’occasion était venue pour me les retirer. Ils m’accusaient aussi d’héberger des bandits de grand chemin et d’être de mèche avec les Forces nouvelles. Tout cela était du mensonge et du montage », témoigne-t-il.

L’octogénaire Djibril Sawadogo a quatre femmes et 36 enfants. « Avant la crise de 2002, j’employais 35 personnes. Chaque année, je les payais et chacun rentrait au pays pour voir sa famille et investir un peu. Quand la guerre s’est déclenchée, j’ai réuni les Burkinabè de ma localité et je leur ai dit de ne pas se mêler de cette guerre, de ne pas réagir aux provocations et je leur ai même dit de ne pas réagir même si leurs femmes venaient à être violées.

Toutefois, je leur ai dit également de réagir si un Burkinabè venait à être tué gratuitement. Mes compatriotes m’ont écouté. Ils m’ont suivi. La femme d’un Lobi a été violée mais nous n’avons pas réagi ; je l’ai simplement soignée à 150 mille francs CFA. Actuellement elle se porte très bien », révèle Djibril Sawadogo.
Aujourd’hui, la situation semble se normaliser et Djibril Sawadogo souhaite que la paix revienne dans ce pays qui l’a vu grandir. « Les Burkinabè qui sont en Côte d’Ivoire vivent en harmonie avec les autochtones », affirme M. Sawadogo.

Djibril Sawadogo est rentré définitivement au Burkina laissant son champ entre les mains de ses enfants. « Aujourd’hui je suis rentré définitivement au Burkina, car j’ai un problème de santé. Mais avant de quitter la Côte d’Ivoire, j’ai demandé à mes frères burkinabè de ne pas se mêler des élections à venir, de continuer plutôt à vaquer à leurs occupations », confie-t-il.

Enok KINDO

Sidwaya

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