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Abbé Isidore Ouédraogo, secrétaire exécutif national de l’OCADES : “Demain, celui qui gouvernera le monde est celui qui pourra donner à manger aux autres”

Publié le mardi 3 juin 2008 à 12h41min

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Abbé Isidore Ouédraogo

L’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES) a commémoré tout au long du mois de mai, ses dix ans d’existence au cours desquels elle s’est illustrée comme acteur incontournable de développement au Burkina Faso. Son secrétaire exécutif, l’Abbé Isidore Ouédraogo revient dans cet entretien sur les activités de l’OCADES. C’est également l’occasion pour lui de se prononcer sur des questions d’actualité, la lutte contre la pauvreté, la vie chère, le coton, etc.

Sidwaya (S) : L’OCADES vient de fêter ses dix ans d’existence. Quel bilan peut-on retenir ?

Isidore Ouédraogo (IO) : Après 10 ans d’existence, la première des choses que l’on peut dire, c’est bravo aux premiers acteurs de l’OCADES qui ont beaucoup travaillé à asseoir cette structure, une organisation de pastorat social au sein de l’Eglise. Ce qui n’était pas gagné d’avance dans la mesure où il fallait mettre en place une seule structure, à partir de deux structures, à savoir le bureau d’Etude et de liaison et la CARITAS qui devaient fusionner pour former une seule organisation. Il a fallu convaincre les hommes et les partenaires pour aboutir à ce résultat. En termes de bilan financier, ce sont au total 35 milliards de F CFA qui ont été mobilisés. Au-delà de ces chiffres, il faut voir toutes ces personnes qui ont pu bénéficier de ces fonds pour se positionner comme des acteurs de leur propre devenir. C’est donc dire que nous sommes tout à fait satisfait, surtout lorsqu’on voit que l’OCADES est une structure bien implantée dans toutes les provinces du pays et qui accompagne tant bien que mal les populations dans le processus de développement.

S : A quel niveau se situent les interventions de l’OCADES ?

IO : Le centre d’intérêt de l’OCADES, c’est surtout les interpellations concrètes des milieux de vie et des hommes. Au Burkina Faso, la question de l’accès aux services sociaux de base se pose avec acuité, en termes d’éducation, de santé et même d’accès à la nourriture. De ce fait, plus de 34% de nos investissements, vont dans ce sens. Ensuite il y a la question de l’hydraulique, qui depuis l’installation de l’Eglise au Burkina, a drainé tout une dynamique de réalisation à travers la construction de forages, de barrages, etc. Quand on parle d’eau, on parle aussi d’agriculture. A ce niveau, nous intervenons surtout dans l’accompagnement des producteurs, d’abord dans l’accès aux techniques de production, et ensuite, dans l’amélioration des semences pour accroître la productivité.

S : Quelle est la stratégie d’intervention de l’OCADES ?

I O : En termes de stratégie d’intervention, il y a plusieurs de cas de figure qui se présentent. Il y ‘a d’abord, le cas où l’OCADES elle-même constate qu’une frange de la population a une insuffisance. Dans ce cas, une réflexion est menée avec les populations concernées pour identifier les actions pertinentes que l’OCADES peut réaliser afin de soulager les populations.
Mais, il y a également le cas de figure où des associations ou des groupes constitués, aprochent l’OCADES par rapport à leur projet. Et la, nous les accompagnons à mieux affiner les projets, et aussi à rechercher des financements.

S : Cette stratégie nécessite que l’OCADES soit présente dans toutes les localités du pays. Est-ce vraiment le cas ?

I O : Bien sûr que cela est effectif. Au niveau national, la structure est représentée par un secrétariat national avec un secrétaire exécutif national nommé par la Conférence des évêques. Autour de ce dernier, il y a des agents techniques. Au niveau de chaque diocèse (13), il y a un secrétaire diocésain entouré également d’agents techniques compétents. Pour l’ensemble du pays, l’OCADES a à son service, plus de 457 techniciens travaillant à plein temps dans divers domaines. Au niveau paroissial il y a les délégués paroissiaux que nous appellons équipes paroissiales d’animation OCADES. C’est généralement une équipe réduite de bénévoles, composée des différentes couches de la paroisse et qui réfléchissent aux voies et moyens à mettre en œuvre pour que les communautés à la base puissent se prendre en charge. Notre principe est l’auto-prise en charge de nos propres initiatives.

S : En 10 ans d’existence, l’OCADES a investi plus de 35 milliards de FCFA dans le développement de ce pays. Quelles sont ses sources de financement ?

I O : Tout d’abord, je dois souligner que les 35 milliards, même s’ils paraissent impressionnants, ne représentent que ce qui a pu être capitalisé. La structuration de l’OCADES, c’est-à-dire sa forte décentralisation est un grand avantage pour la mobilisation des ressources. Chaque diocèse est autonome pour mobiliser les ressources avec ses partenaires. Ces partenaires peuvent être au sein de l’Eglises, ou au niveau de réseau Charitas qui est constitué de 160 membres à travers le monde. Il y a également des individus qui apportent leur soutien pour les réalisations. En fin de compte, lorsque l’on faut le point de ce que chacun des diocèses a pu mobiliser dans l’année, cela donne à peu prêt 4 milliards par an. Il y ‘a aussi la mobilisation interne qu’il ne faut pas négliger. Si l’on essaye de capitaliser ce que les populations elles-mêmes mobilisaient en termes de ressources financières, de travail, de collecte d’agrégats, on se rend compte que leur contribution est très importante. De plus, dans le cadre de la prise en charge des pauvres, dans nos églises, chacun apporte son bol de riz ou de mil que nous mettons en commun au profit des nécessiteux. Ce qui est immense en termes de participation à la prise en charge des pauvres.

S : Au niveau du pays, y a-t-il des zones où l’OCADES est obligée d’intervenir beaucoup plus fréquemment ?

I O : Non. Mais, il y a des thèmes qui nous interpellent davantage. C’est cela qui fait la particularité de l’OCADES. Présente dans les 13 régions du Burkina Faso, elle essaye de voir dans chacune d’elles, quels peuvent être les besoins et les défis à relever. Quand on prend une région comme le Sahel, les questions de l’eau, de l’alimentation, de l’élevage vont se poser avec plus d’acuité. En ce moment, le démembrement en question va mettre en place des initiatives ou des projets qui répondent aux besoins du milieu.

S : La filière coton malgré les difficultés qu’elle rencontre est fortement encouragée par les autorités. En tant qu’intervenant de l’OCADES quelle est votre position sur la question ?

I O : Dans la question du coton, il y a beaucoup de publicités menées par l’Etat pour aider les paysans à mieux produire du coton. Les sociétés cotonnières font également un travail remarquable en la matière. Mais la question du coton reste posée pour les pays, en termes d’interpellation à la sécurité alimentaire. La question est de savoir si le coton permet au pays de produire suffisamment de quoi nourrir ses populations. Aujourd’hui plus que jamais, la question alimentaire se pose en termes de manque pour l’ensemble du monde, en atteste le phénomène de la vie chère. Les organisations des Nations unies et bien sûr, la Banque mondiale se reposent encore la question de savoir s’il n’y a pas lieu de travailler à accompagner la production locale de céréales et produits vivriers.

S : On dit souvent qu’il n’y a pas que la nourriture dont nous avons besoin. Le pays a aussi besoin d’argent pour instruire et soigner ses enfants. N’est-ce pas ?

I O : Malheureusement, on se rend compte que le coton ne fait pas vivre son homme. Si l’on prend l’aspect environnemental, l’on doit de se demander si le coton OGM dont on fait la promotion aujourd’hui, va nous permettre de mieux produire pour vendre sans compromettre la vie des générations futures. Cette question n’a pas encore été répondue. De ce fait, doit-on être riche au détriment des générations à venir ? Nous avons à mon sens, le devoir de protéger notre écosystème. D’ailleurs si aujourd’hui, on faisait auprès du paysan, la publicité du riz et d’autres céréales autant qu’on en fait pour le coton, il se pourrait qu’on enregistre des résultats étonnants. Nous ne pouvons pas affirmer que le paysan gagne plus d’argent parce qu’il produit du coton et non des céréales. Il y a lieu de mener aujourd’hui une étude sur la question afin de faire un avantage comparatif. Il y a également des cultures qui peuvent être une alternative à la culture du coton et qui sont peut-être plus rentables que le coton. C’est le cas par exemple du sésame. Il suffit seulement d’accompagner les paysans. Nous en faisons l’expérience à Nouna avec un projet- pilote accompagné par le Catholic relief service (CRS) qui nous a permis de savoir que c’est une culture très profitable aux paysans. Si la culture du coton n’était que d’ordre financier, peut-être qu’on l’avait abandonnée. A moins que ce ne soit uniquement profitable à l’Etat, en termes de taxes mais aussi en termes de positionnement sur le plan mondial. Dire que le Burkina Faso est le premier producteur africain de coton alors que cela ne profite pas aux paysans n’a pas de sens. D’ailleurs, le Bénin qui était le premier producteur en Afrique a laissé tomber mais n’en n’est pas mort. En tout cas, le pays ne crie pas famine. Dans notre réseau, nous essayons d’accompagner les paysans pour qu’il y ait au moins cette notion de droit parce qu’ils auront eu une capacité à mieux analyser la question des marchés et de la souveraineté alimentaire. Car demain, celui qui gouvernera le monde est celui qui pourra donner à manger aux autres. En effet, s’il y a famine au Burkina, c’est le pays qui donnera à manger au Burkina qui nous gouvernera, qu’on le veuille ou pas.

S. : De plus en plus, des voix s’élèvent pour dire que le boum démographique que connaît le Burkina Faso constitue un frein à son développement. Qu’en pensez-vous ?

I.O. : Le Burkina Faso a toujours eu un problème de développement en dehors de la question du boum démographique. Depuis des années et des années nous sommes classé pays pauvre. En 1975, on était peut-être 3 millions, mais on était pauvre. Aujourd’hui, on peut se permettre de dire que nous vivons mieux avec 13 millions d’habitants qu’en 1975. C’est vrai que la maîtrise de la démographie est un défi à relever pour chaque Etat. Cependant, la maîtrise de la démographie n’est pas une limitation mais une maîtrise par rapport aux ressources du pays. Et là, un travail devrait être plutôt mené en termes de planning familial pour les populations. Non pas le planning pour limiter mais le planning pour la responsabilisation. Nous, au sein de l’Eglise, nous disons que chacun doit pouvoir être responsable de sa famille. Pour mettre au monde un enfant, on doit pouvoir être responsable. Chaque parent doit savoir combien d’enfants il est capable de prendre en charge. Cela peut être un, deux, trois, ou plus, selon les moyens. Autrement nous avons vu ce qui s’est passé en Chine. On avait décrété “une famille, un couple, un enfant”. Aujourd’hui, la Chine se rend compte que dans 20 ans, il y aura plus de vieux à prendre en charge. Environ 45% de la population va travailler pour plus de vieux. A mon avis, ce n’est pas la limitation des naissances qui a permis à la Chine de se développer mais l’intensification de la production et l’entrée de la Chine dans une économie de marché. C’est parce que les Européens ont délocalisé beaucoup de leurs entreprises en Chine que la Chine réalise une plus-value dans le travail. Malheureusement on vient prendre nos ressources en Afrique pour les envoyer en Chine pour faire fonctionner les entreprises. Donc au lieu de se battre sur la question du nombre de Burkinabè qu’il faut avoir en 2025, on ferait mieux de s’unir pour renforcer la capacité productive de nos paysans.

S. : Aujourd’hui, on parle beaucoup de la lutte contre la pauvreté. En plus de l’Etat qui est le premier acteur, il y a des associations et des organisation comme l’OCADES qui sont à pied d’œuvre, mais les résultats laissent à désirer. Comment expliquez-vous cette situation ?

I.O. : Pour moi, c’est la notion même de la pauvreté qu’il va falloir reposer. Sinon nous allons lutter contre des éléphants blancs qui n’existent pas. Nous Burkinabè, avant de dire qu’on lutte contre la pauvreté, devons nous asseoir pour définir ce que nous entendons par pauvreté. Je pense que la notion de la pauvreté a été totalement orientée sur la question économique. Mais on oublie nos richesses humaines, sociales et culturelles. Si nous analysons davantage cette question de la pauvreté, on se rend compte que même un homme riche peut être considéré comme pauvre. Par exemple, au niveau de l’Eglise, est pauvre celui qui n’arrive pas à avoir des capacités au sein de la société pour se positionner en tant qu’homme digne. Dans cette catégorie de personnes, on retrouve effectivement des riches qui n’arrivent par à faire de leur richesse un potentiel de réussite pour les autres. Si la richesse de quelqu’un ne permet pas aux autres d’aller de l’avant, elle n’aura pas servi à quelque chose, car ne donnant pas des capacités productives importantes au prochain dans la société. C’est ce genre de personne que nous classons dans la catégorie des pauvres anthropologiques dans la mesure où son étoffe humaine ne lui permet pas d’être pour l’autre, une occasion de richesse. Aujourd’hui, on trouve, des pauvres économiquement heureux et des riches humainement pauvres parce que malheureux.

S. : Nous sommes dans un contexte de vie chère. Quelle peut être la contribution d’une structure comme l’OCADES ?

I.O. : Dans un premier temps, nous essayons de comprendre le phénomène. Même les institutions internationales ont du mal à cerner les causes, les contours et même les conséquences à long terme, de ce phénomène. C’est dire que ce phénomène concerne le monde entier, même s’il touche particulièrement les pays dits pauvres ou à ressources limitées.
Nous en tant qu’acteurs de développement, cette question de la limitation des ressources nous interpelle davantage pour prendre en charge les besoins essentiels de la vie qui sont : se nourrir, s’éduquer et se loger. Dans notre principe de travail, nous privilégions la solidarité grâce à laquelle beaucoup de choses peuvent trouver leur solution. La solidarité entre puissances est bien mais ne résout qu’en partie, le problème.
C’est vrai que si les Etats-Unis laissent tomber la guerre en Irak, cela suffit pour nourrir tout le Burkina en une année. Mais l’essentiel est de nous organiser à l’intérieur du pays pour voir ce que nous pouvons laisser tomber de manière à réduire notre train de vie individuel, d’abord, puis collectif, ensuite. Il s’agit de voir quel type de comportement il faut remettre en cause et surtout quelle solidarité mettre en place au sein de nos quartiers afin d’aider les plus démunis à surmonter cette épreuve. Au niveau de l’OCADES, nous travaillons à cela. Nous savons que les mois de juin, juillet, août et septembre sont une période de vulnérabilité pour beaucoup de personnes au Burkina, en particulier le monde rural. De ce fait, nous allons, avec nos partenaires, essayer de nous préparer pour mener des actions significatives en faveur des personnes vulnérables. Mais, l’essentiel est de travailler à plus de solidarité dans nos milieux de vie.

S. : Si vous avez l’occasion de vous adresser aux plus hautes autorités, quels types de solutions proposeriez-vous ?

I.O. : C’est une phénomène mondial. Je ne sais pas si même l’Etat peut trouver une solution. Ce sont plutôt les effets de ce phénomène qu’il faut apprendre à maîtriser .
Il ya bien sur la question de la production qui va se poser avec plus d’acuité. Au niveau du Burkina, on s’est précipité de réduire les taxes à l’importation. Mais, l’on pouvait d’abord regarder d’abord à l’intérieur pour évaluer ce qui existe déjà et qui peut être utilisé pour permettre aux populations de manger. Nous produisons du riz qui n’est pas acheté. C’est le moment plus que jamais de consommer ce que nous produisons. Cela va stimuler davantage la production en limitant les importations à long terme. Sinon sur-le-champ, aucun acteur ne peut prétendre avoir la clé de l’énigme.
Ce qui est souhaitable est que l’Etat burkinabè rassemble tous les acteurs (société civile, partis politiques, religieux, etc) autour de la question de la vie chère qui nécessite également une solidarité de réflexion afin de pouvoir sortir de la situation ou à défaut, d’apprendre à vivre avec.

Interview réalisée par Fatouma Sophie OUATTARA

Sidwaya

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