LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Jean Ouédraogo, professeur d’université aux Etats-Unis : « Les jeunes confondent souvent succès et célébrité »

Publié le jeudi 9 août 2007 à 08h17min

PARTAGER :                          

Pr Jean Ouédraogo,

Professeur et chef de département à l’Université de Plattsburg à New York aux Etats-Unis, Jean Ouédraogo peut être considéré comme un exemple de réussite. Dans cet entretien, il nous parle du mal du pays, des ouvrages qu’il a produits. Il jette aussi un regard sur la littérature et le cinéma burkinabè et livre les ficelles pour réaliser « un rêve américain ».

Sidwaya (S.) : Quel est votre parcours ?

Jean Ouédraogo (J.O.) : J’ai d’abord effectué mes études primaires à Boussé, puis le secondaire au lycée Philippe-Zinda-Kaboré, quatre années au département d’études anglophones à l’Université de Ouagadougou et le branle-bas vers les Etats-Unis. Je suis allé à l’Université de Géorgie dans le Sud des Etats-Unis où j’ai fait un master puis un doctorat (PHD) en littérature francophone. J’ai enseigné une année dans ce département qui m’a formé. Ensuite j’ai enseigné pendant deux années en Virginie de l’Ouest avant de me retrouver à l’Université de Plattsburg dans l’Etat de New York.

S. : Comment est la vie pour vous à Plattsburg ?

J.O. : Ma vie à Plattsburg est un condensé de travail. Depuis deux ans, en plus de porter le chapeau de professeur, je suis également dans l’administration ou précisément chef du département de langues et études étrangères qui coiffe des matières comme l’espagnol, le français, le russe, l’arabe et l’allemand.
Parallèlement on développe tout le cursus de la littérature, tout ce qui va avec l’enseignement de la culture ou les cultures spécifiques à une langue donnée.

S. : Comment gérez-vous le mal du pays ?

J.O. : Etant loin du pays, je lis les journaux dont notamment Sidwaya sur le net avant le commun des Ouagalais. Et je me couche en sachant quelles seront les nouvelles du lendemain à Ouaga. A travers le métier d’enseignant que j’exerce, je suis en rapport avec le pays par les textes. Mon travail d’interprétation textuelle et de critique littéraire me soigne même s’il ne me guérit pas du mal du pays. Pour répéter un écrivain burkinabè qui a longtemps séjourné à l’extérieur, « le pays, on le porte en soi ». Où qu’on soit, on l’a et on gère.

S. : Quelles sont les œuvres que vous avez déjà produites ?

J.O. : Mon mémoire de maîtrise réalisé aux Etats-Unis portait sur l’identité culturelle au Burkina Faso à travers trois œuvres littéraires : « L’enfer au paradis » d’Ignace Ansonwin Hien, « Le parachutage » de Norbert Zongo et la « Dérive des bozos » de Jacques Prosper Bazié.
Par la suite, je me suis spécialisé surtout sur l’écriture d’Ahmadou Kourouma et de Maryse Condé. Ç’a valu une œuvre intitulée « Maryse Condé et Ahmadou Kourouma, griots de l’indicible », où j’ai examiné entre autres la représentation de l’histoire ouest-africaine à travers la production de ces deux écrivains.
En 2005, j’ai publié un livre d’entretien qui s’appelle « Cinéma et littérature du Burkina Faso : de la singularité à l’universalité ».

C’était aussi une façon pour moi de revenir sur ce mal du pays et de parler tant soit peu à ceux qui sont aux avant-postes de ce combat littéraire et artistique.
Ce livre regroupe huit entretiens avec des cinéastes et quatre avec des écrivains. Il comporte aussi une intéressante introduction sur les perspectives de la littérature et du cinéma burkinabè faite par une collègue à moi Opportune Zongo qui vit aux Etats-Unis depuis longtemps et qui souvent conduit des étudiants américains ici au Burkina. Quelque part ces activités me permettent de me rapprocher de la source par deux fois. D’abord, de façon textuelle puisque ces écrivains produisent sur la base de certaines réalités. Ensuite, c’est pour moi une façon de rester en contact avec l’évolution de certains thèmes au niveau social puisque n’étant pas sur place on garde souvent une image déformée, transformée, dépassée du pays. Le pays qu’on porte en soi n’est pas toujours le pays réel.

S. : Quel regard portez-vous sur la littérature et sur le cinéma burkinabè ?

J.O. : La littérature burkinabè telle que je la connais à travers également ses écrivains est un champ de combat. Combat d’abord pour être publié, combat ensuite pour être lu étant donné les conditions économiques qu’on connaît et combat également pour être inséré dans le milieu scolaire et académique.

Pour moi c’est une littérature en attente d’être lue, d’être connue, d’être acclamée. Certainement les éditions de la Semaine nationale de la culture ont contribué à la faire voir, à lui donner une visibilité. C’est une littérature qui devra à mon sens être beaucoup plus promue de l’intérieur comme de l’extérieur. Les actions de promotion comme la Foire internationale du livre de Ouagadougou sont des initiatives fort louables.
Par rapport au cinéma, on sait que le Burkina occupe une place de choix sur l’échiquier africain, voire international. Egalement, sa production n’est pas négligeable tant au niveau technique que thématique. C’est le cinéma qui sert surtout de phare à la culture burkinabè beaucoup plus que sa littérature. Le cinéma crée en outre pour moi une occasion de venir me ressourcer au pays pendant les éditions du FESPACO. Le cinéma a heureusement d’autres débouchés que la littérature ne connaît pas ; c’est notamment le circuit des festivals internationaux qui fait qu’on peut avoir accès à la production burkinabè et africaine de façon générale.

J.O. : Les difficultés ne manquent certainement pas, mais je dois me considérer comme un homme assez chanceux et aussi comme le commun des Burkinabè, aguerri face aux difficultés. J’ai quand même eu un noyau d’amis et de connaissances qui m’ont toujours soutenu mais je suis également parti sans illusions et sans attentes quelconques. C’est peut-être l’esprit combatif que certains diront américain, de faire pour soi ce qu’on attend de devenir soi-même. C’est une devise qui nous empêche de nous asseoir et de passer le temps en jérémiades.

A la fin de mes études universitaires à Ouagadougou, après avoir échoué lamentablement d’obtenir un passeport pour aller faire des études en Europe pour des raisons qui ne s’expliquent toujours pas, j’ai eu l’occasion de côtoyer des gens comme le doyen de l’Université de Géorgie qui était venu pour recruter des fonctionnaires surtout, dans le cadre de la coopération américano-burkinabè. J’ai saisi ma chance et j’ai pu obtenir un « Teatching assistanship » où j’enseignais à des étudiants de première année pour pouvoir payer mes propres études ainsi que de « Reserch assistanship » où j’ai fait de la recherche pour des professeurs. Ça m’a permis de pouvoir subvenir à mes besoins et de ne pas avoir à payer de frais comme étudiant international. Naturellement je ne me suis pas croisé les bras, j’ai travaillé dans le système de restauration universitaire où je revoyais souvent mes propres étudiants auxquels je servais à manger. C’est certainement une leçon d’humilité.

C’est par là également qu’il faut passer. Le travail ne nous rappetit jamais. Je crois fermement qu’à force de travail, on peut devenir ce qu’on veut ou à la limite promu à quelque chose de plus grand que ce à quoi on pourrait s’attendre. Aussi, par rapport à la période où je suis allé aux Etats-Unis, certaines difficultés présentes auxquelles les étudiants internationaux doivent faire face n’existaient pas ; c’était la fin des années 80. Il n’était pas encore question d’attentats terroristes, ni de cette phobie qui existe présentement et qui fait que même étudiant on est suivi de beaucoup plus près qu’avant.

Les autres difficultés, c’était par rapport à la langue mais je n’en avais pas tellement parce que j’avais fait quatre années d’anglais à l’université et je pouvais facilement m’adapter culturellement. C’est des choses qui se vivent en communauté. Il y avait une forte communauté d’étudiants africains dont je fus président. C’est quand on vit en solitaire, coupé de ses possibilités de communication que les difficultés ont tendance à s’amplifier. Alors qu’aux Etats-Unis, l’information est toujours disponible pour qui vient demander ou qui veut la découvrir. C’est un des piliers fondamentaux qui a dû réduire mes difficultés d’insertion.

S. : Vos projets ?

J.O. : Je travaille sur plusieurs projets dont un projet de livre qui doit paraître en 2008 pour marquer les cinq ans de décès de l’écrivain Ahmadou Kourouma pour qui j’ai beaucoup d’affection, dont l’écriture reste célèbre puis qu’elle est d’actualité. L’autre projet porte sur le cinéma africain. Ce ne sont pas des projets individuels puisque je sers d’éditeur à tous ces efforts. En plus de ces deux projets, un autre me tient à cœur, c’est celui d’une anthologie de critique de la littérature burkinabè sur lequel je travaille présentement et pour lequel je suis venu consulter un certain nombre de personnes ressources. La publication de cette anthologie est attendue pour 2009. Les autres projets sont plus ou moins ponctuels quand l’administration me laisse le temps de vaquer à tout cela. J’aime me projeter dans l’avenir en termes de productions critiques et en termes de conférences.

S. : Des conseils aux jeunes burkinabè qui aimeraient suivre votre exemple ?

J.O. : Chacun a son tracé à suivre. On ne le sait pas d’avance, la seule chose qui nous permette d’y arriver, c’est le travail et la persévérance. Si on choisissait des riches je n’aurais pas été sélectionné. Si on choisissait les plus doués, les plus calés, je ne serais peut-être pas forcement du lot. Mais je pense que l’amour du travail couvre beaucoup d’insuffisances et permet à tout le monde de se réaliser ou de réaliser en tous les cas une bonne partie de ses rêves.

En dehors de ce conseil qui peut paraître laconique, je dirais qu’il faut se projeter, avoir une idée de ce qu’on veut devenir et asseoir une stratégie de comment y arriver parce qu’on n’arrive quasiment pas au succès par hasard. Je n’ai jamais été pour les gains faciles, la courte échelle. Il faut se fixer un objectif, se soumettre à une discipline et méthodiquement aller vers cet objectif. Il faut s’inspirer à la fois des gens qui doutent de vous. J’ai beaucoup plus bénéficié du doute que de l’acclamation.

Plus on est acclamé plus on court le risque de ne pas arriver à son objectif et je préfère encore avoir autant de gens qui doutent de ma capacité à arriver à un objectif. C’est un défi qui donne de l’énergie, de l’ambition également. J’ai surtout bénéficié peut-être même souvent à leur insu de l’appui de gens très positifs qui ont un mode d’encouragement déjà derrière soi. Des gens qui croient toujours au succès quand bien même les difficultés sont monstres.

Il faut y croire et avoir les bénédictions de n’importe quelle source, qu’elle soit divine, parentale ou autre. Il faut avoir la discipline et la rigueur de se projeter et de planifier. A chaque succès il y a tout une stratégie derrière. Les jeunes confondent souvent succès et célébrité. Certains prennent toujours pour exemple ceux qui sont à l’étranger.

Alors que beaucoup de gens sont restés au pays et ont réussi. Ceux qui sont à l’étranger c’est peut-être par option ou par opportunité. Des gens ont réussi mais vous ne les verrez pas à la télé ou dans des véhicules de luxe. Le succès c’est de trouver un exutoire aux ambitions qu’on a et de vivre dans un minimum de confort qui permet la poursuite de ses ambitions.

Entretien réalisé par
Bachirou NANA

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 9 août 2007 à 10:35, par numasso En réponse à : > Jean Ouédraogo, professeur d’université aux Etats-Unis : « Les jeunes confondent souvent succès et célébrité »

    Je voudrais juste par cette page dire merci et félicitations à mon compatriote. Cette réussite est également un bonheur pour tout le pays, celui de ses parents et represente un espoir pour nous, ses petits frères.
    Je suis burkinabé et son parcours est pour moi le resultat d’un courage et d’une determination. Ce que l’on demande à la jeunesse d’un pays en voie de developpement. Comme disait le regretté Thomas SANKARA "le prisonnier qui ne se defend pas ne merite pas qu’on s’apitoie sur son sort, seule la lutte paie".
    Je suis médecin actuellement en France. Je vois beaucoup de jeunes noirs qui sont heureux de savoir qu’un des leurs a le grade de docteur. J’ai le ressenti à chaque moment que l’afrique est unique et je laisse deviner le reste...
    Merci encore à Mr OUEDRAOGO pour son temoignage qui semble proposer aux jeunes l’important à considerer : réussite ou celebrité ? Autrefois le courage et la determination avaient un prix et de la réconnaissance, c’était le merite. Aujourd’hui ces valeurs sont progressivement remplacées par l’origine familiale, les contacts avec les dirigeants, bref la corruption toute chose qui tue le courage et l’engagement. L’homme intègre perd sa place et la morale disparait.
    Quels repères pour nos jeunes burkinabés ? J’ose cependant esperer que la classe dirigeante prendra une bonne resolution pour que l’idée d’une afrique consciente soit réalité et que la haute volta merite son nom de baptême.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique