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Moussa Kaboré, directeur général de Bazar Music : « Le Takborsé tel que conçu n’est que passager »

Publié le lundi 19 juin 2006 à 07h14min

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Moussa Kaboré

Ancien importateur de cassette, Moussa Kaboré s’est reconverti depuis 1987 à la production des artistes de la chanson traditionnelle. De la rencontre que ce pionnier de la production du disque a accordée à Sidwaya Plus le jeudi 08 juin dernier, l’on retiendra que la musique burkinabè a fait des bonds en avant.

Même si le patron de Bazar Music, M. Kaboré pense que le Takborsé n’est qu’un mouvement éphémère et qu’il aurait fallu le bâtir autour d’une sonorité du terroir. Il est plus sévère envers les pirates qualifiés « d’assassins de la musique burkinabè ».

Sidwaya Plus (S. P.) : Qu’est-ce que Bazar music et que faites-vous ?

Moussa Kaboré (M. K.) : Bazar Music fait de la production et la distribution de cassettes audio et vidéo. Bazar Music a été créé en 1987 pour soutenir et promouvoir la musique traditionnelle. Pour être produit par Bazar Music, l’artiste doit fournir une prémaquette. Si nous jugeons son œuvre « rentable et de qualité » alors, nous nous engageons dans la production de celle-ci.

Tout ceci se fait sur la base d’un contrat signé entre les deux parties. Bazar Music est un endroit où l’on peut vendre du tout. J’ai commencé par Bazar produit de beauté, par la suite j’ai abandonné ce volet pour orienter et concentrer mon action dans la production et la distribution des œuvres musicales.

Avant d’être producteur, j’étais importateur de K7 venant de la Guinée. C’est ma passion pour la musique traditionnelle qui m’a conduit à renoncer à cette unité et à créer Bazar Music.

S. P. : Les métiers des arts restent, semble-t-il, un domaine flou où les artistes ne disposent pas d’un statut clair. Pourtant leur ministère de tutelle a entrepris une démarche pour clarifier le statut des artistes. Que pensez-vous de cette démarche ?

M. K. : L’idée est à saluer. Vu que les artistes avaient besoin d’un cadre juridique pour exprimer leur art. Cela va permettre je crois, à l’artiste de vivre de son art. De toutes les façons, le public va savoir que chanter, peindre, danser est un métier comme n’importe quel autre. Cette initiative est la bienvenue pour les artistes qui ont réalisé un grand pas vers leur reconnaissance professionnelle.

S. P. : Combien d’œuvres musicales avez-vous pu produire jusque-là ?

M. K. : Depuis 1987, date de création de notre structure, Bazar Music a produit plus de 278 artistes burkinabè et un artiste étranger. Les catalogues produits sont estimés à près de 600 millions.

S. P. : Après 20 ans dans la production et la distribution, quel bilan retenez-vous ?

M. K. : C’est un bilan positif. Je me sens animé d’un sentiment de fierté au-delà des difficultés qui ont émaillé ce parcours. Au début, des gens m’ont dit qu’ils n’écoutaient pas la musique burkinabè. Je suis heureux de constater qu’aujourd’hui, les mentalités ont évolués et de voir que de plus en plus, les mélomanes consomment et adoptent la musique made in Burkina.

S. P. : Que pensez-vous de la musique burkinabè...

M. K. : Elle a fait d’énormes progrès tant par la qualité des textes, des sonorités, que par la quantité, j’allais dire la floraison d’artistes qui arrivent à vivre de leur création.

S. P. : ... de la vieille génération comme les Jean-Claude Bamogo, Georges Ouédraogo dit « Gandaogo » et autres...

M. K. : Ils faisaient ou font encore vraiment de la musique. Les messages sont clairs et vivants. La musique faite par le « Gandaogo », Jean-Claude Bamogo, les regrettés Samboué Jean Bernard et Tidjane Coulibaly vit toujours et reste vendable. J’ai suivi le majorité de leurs produits, je puis affirmer que c’est une musique qui se vend aujourd’hui encore, par rapport à d’autres artistes. je garde un bon souvenir de cette génération d’artistes musiciens qui ont fait bouger les mélomanes.

S. P. : A côté des anciens que vous venez d’évoquer, se trouve la jeune génération, constituée de rapeurs, de reggaeman. Il y a également le Takborsé. Quelle est votre appréciation de ce courant musical ?

M. K. : (Rires). Le Takborsé, c’est bien mais... Je dis que ce n’est pas un rythme typiquement burkinabè. Or le souci de Bazar Music est de promouvoir et de valoriser la musique de chez nous. Je me dis que si le Takborsé était bâti sur une musique du terroir, cela allait être plus intéressant et plus enrichissant. Ailleurs, on n’écoute pas la musique burkinabè, elle n’est pas non plus jouée dans les médias. Le Burkina est l’unique pays de la sous-région qui a laissé les autres cultures envahir la sienne.

Ailleurs, les gens disent qu’ils n’ont pas fini de consommer leur musique et se refusent à acheter les produits des artistes burkinabè.

S. P. : Mais, ne croyez-vous pas que cette habitude est fondée sur la mauvaise qualité des œuvres de nos artistes ?

M. K. : Non et non, je ne suis pas d’accord avec vous. Regardez ce qui se passe autour de nous, les radios privées, notamment, passent leur temps à jouer de la musique étrangère. Je pense que les Burkinabè n’apprécient pas ce qui est fait ou créé par leur compatriote. Cela est valable pour tous les secteurs d’activités. Pourquoi nos usines ferment-t-elle leurs portes ? La musique burkinabè n’est pas mal en termes de qualité. Nous avons plus de 60 pas différents de danse si l’on considère qu’à une ethnie correspond un pas de danse. Actuellement, dites-moi ce qui manque à nos musiciens ? Rien, mais je dis que sur 1 000 K7 vendues au Burkina, moins de 100 appartiennent à des artistes nationaux.

S. P. : On a vu quand même des artistes comme Yoni, Ahmed Smani ou Yeleen vendre des milliers de cassettes en peu de temps...

M. K. : Je constate que nos artistes, pour avoir l’aura des mélomanes, sont obligés d’interprèter les pas de danse de l’extérieur. Rare sont les artistes évoluant dans le registre national qui ont pu se tirer d’affaires. Pour moi, le problème est que les Burkinabè refusent d’apprécier leur propre musique.

S. P. : Avez-vous une solution, un remède pour permettre aux Burkinabè de consommer leur musique ?

M. K. : Seule une politique d’Etat peut faire acheter la musique burkinabè.

S. P. : Comment ?

M. K. : On ne saurait aimer ce qu’on a jamais vu et entendu. Les autres pays font ainsi pour imposer leur musique.

S. P. : On dit généralement que le show biz est un biz qui est chaud. Que répondez-vous ?

M. K. : Vraiment, c’est un milieu difficile. Dur d’être musicien, dur d’être producteur également. Il faut avoir les bras solides pour tenir.

S. P. : En tant que producteur, quel sont les difficultés que vous rencontrez ?

M. K. : Chaque jour, je fais un pas en avant pour la sauvegarde de notre musique, mais je vous assure que les pirates, tapis dans l’ombre nous ramènent de 10 pas en arrière. Quel dommage ! Ces assassins de la musique burkinabè inondent le marché de produit frauduleux vendus à vil prix (NDLR : 600 F CFA la K7 piratées contre 1 250 F CFA) au grand dame des producteurs. Ce sont eux qui nous causent des ennuis actuellement. Si rien n’est fait, dans cinq ans, je crains qu’il n’y ait pas de producteur de musique au Burkina Faso. Quand nous vendons 1 000 K7, les pirates en vendent 10 000 (dix mille).

S. P. : Combien la piraterie vous fait perdre par an ?

M. K. : Bazar Music est la maison la plus piratée, car j’ai plus de catalogues que les autres. Tous nos produits font l’objet de contrefaçon. Les produits de Bazar Music sont consommés par les villageois qui aiment toujours la musique traditionnelle. Sur 100 K7 vendues, moins de 20 le sont en ville ; le reste, c’est dans les provinces. En tout état de cause, je demeure convaincu que l’Etat burkinabè devrait nous soutenir pour moderniser davantage nos installations. J’ai toujours formulé cette requête mais nous n’avons jamais eu de suite. Aussi, je reste optimiste qu’un jour, on va nous écouter.

S. Nadoun COULIBALY (coulbalynadoun2002@yahoo.fr)

Sidwaya

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