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Awa Ouédraogo, coordonnatrice Marche mondiale des femmes

Publié le lundi 3 juillet 2006 à 07h25min

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Awa Ouédraogo

Elle est lauréate du prix CIVIPAX pour la paix en 2005. Un couronnement, sinon une consécration de ses 32 ans dans le monde des ONG où, Awa Ouédraogo a lutté et lutte encore aux côtés de ses sœurs pour l’amélioration de la condition de la femme.

Coordonnatrice de l’ONG Marche mondiale des femmes, Mme Ouédraogo est aussi une reine à la Cour royale de Kaya. C’est donc cette femme qui se distingue par son bonnet que Sidwaya Plus a rencontrée pour vous.

Sidwaya plus (S.P.) : Quel est votre profil professionnel ?

Awa Ouédraogo (A.O.) : J’ai fait des études de Lettres à l’Université de Ouagadougou. J’étais promue à l’enseignement, mais ce n’était pas du tout ma vocation. J’ai enseigné pendant cinq (5) ans et en 1976, je suis allée dans les ONG et j’y suis jusqu’aujourd’hui. Je suis en principe professeur d’anglais.

S.P. : Quels enseignements tirez-vous de votre passage dans le monde des ONG ?

A.O. : Je pense que c’est là où il fallait que j’évolue parce qu’il y a quand même eu un grand pas. Et j’attribue ce grand pas à une sorte de réveil. Je crois que la révolution a été un temps de réveil pour les femmes au Burkina. Je ne dis pas qu’avant la révolution, il n’y avait pas de mouvement de femmes, mais c’est réellement avec la révolution qu’elles ont pris conscience de la nécessité de se mettre ensemble pour défendre leur cause. C’est vrai que pendant la révolution, on réagissait aux mots d’ordre pas parce qu’on était convaincu, mais parce que la masse voulait qu’on réagisse. Aujourd’hui, je peux dire que les femmes sont plus conscientes, quand elles s’engagent, elles savent pourquoi elles le font. Et quand elles ne peuvent pas se battre, c’est qu’elles ont les mains liées, sinon elles sont capables d’aller jusqu’au bout et d’obtenir ce qu’elles souhaitent.

S.P. : Vous avez évoqué tantôt la révolution, est-ce à dire que vous étiez une activiste ?

A.O. : Malheureusement non. Quand la révolution est arrivée, j’étais dans une ONG internationale et il nous était interdit de faire de la politique. De façon générale, la politique politicienne n’est pas mon fort, mais c’est vrai que dans mon travail de tous les jours, je fais de la politique.

S.P. : Pourquoi la Marche mondiale des femmes ?

A.O. : La Marche mondiale des femmes est inspirée du constat à Beijing en 1995 que la situation de la femme s’empirait sur les plans de la violence et de la pauvreté. Alors, nous, Organisation de la société sociale, avons fait notre communiqué final en dénonçant ces deux (2) situations. Quand nous sommes arrivés à la rencontre gouvernementale, la même remarque a été faite. Même les gouvernants ont reconnu que la violence et la pauvreté ont accru, dégradant la condition de la femme. Les femmes de la société civile ont ainsi décidé de s’auto-convoquer pour faire face à cette situation. On a demandé à chaque pays qui le désirait de préparer un cahier de revendications sur les deux (2) thèmes.

Au Burkina, nous avons établi un cahier en onze (11) revendications : six (6) sur la pauvreté et cinq (5) sur les violences. Nous l’avons soumis le 6 mai 2000 au chef de l’Etat. Chaque pays a élaboré son cahier de revendications. La nécessité de pérenniser la Marche mondiale des femmes nous a amenées à rechercher un statut juridique pour continuer nos activités de façon officielle. Au départ, la Marche mondiale des femmes était une action ponctuelle qui visait à interpeller les autorités. Mais au vu des succès que nous avons remportés, nous avons jugé nécessaire de disposer d’un statut juridique clair. Aujourd’hui, nous sommes représentées dans les quarante-cinq (45) provinces par un comité provincial. Ces comités sont le cadre où les membres adhèrent et qui véhiculent les messages au niveau provincial ou régional sur les activités à mener.

S.P. : Qui peut être membre à la Marche mondiale des femmes ?

A.O. : L’adhésion n’est pas individuelle, on y adhère par organisation. Actuellement, la Marche mondiale des femmes comprend environ quatre- vingts (80) membres composées essentiellement d’associations de femmes et divers autres, d’ONG, etc. Nous avons aussi des hommes dans ce que nous appelons le comité des personnes-ressources. Les organisations mixtes peuvent être membres, mais c’est la femme qui est représentée à la Marche mondiale.

S.P. : Après dix ans de lutte, quelle est la situation de la femme burkinabè ?

A.O. : Malheureusement les changements se font à petits pas, si nous voulons parler de résultats concrets enregistrés dans l’émancipation de la femme. La pauvreté a toujours un visage féminin. J’ai l’impression que plus on lutte contre les violences, plus elles prennent de l’ampleur. En 1995, nous avons dénoncé les violences que subissent les femmes en l’occurrence celles révélées ou vécues lors du génocide rwandais.

Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, des femmes sont victimes des mêmes maux mais je dirai à une proportion moindre qu’au Rwanda. A mon avis, la situation de la femme ne s’est pas considérablement améliorée.

Toutefois, en termes d’acquis institutionnels ou juridiques, les Etats prennent des mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes. L’éradication de celles-ci impose aux uns et aux autres un changement de mentalité. Hélas, ce changement peine à venir. Mais gardons espoir.

Je reconnais qu’il y a une prise de conscience et que des efforts sont faits mais la situation demeure préoccupante. Avant, on disait que « les coups et blessures », avaient pignon sur rue en milieu rural, mais aujourd’hui on voit des femmes intellectuelles battues et défigurées par leur conjoint en ville... Donc, ce n’est vraiment pas une question de niveau intellectuel mais d’état d’esprit. Il faut qu’on accepte de changer de mentalité. Un phénomène nouveau est aussi apparu ces derniers temps : des femmes font subir des violences à d’autres femmes dès qu’elles accèdent à des postes de responsabilité. C’est comme si elles se mettaient en position de force, c’est l’homme qui est toujours le plus fort, donc quand celles-ci sont dans sa position, elles deviennent un « homme », et en ce moment adoptent des comportements qui ne sont pas de nature à améliorer la situation de la femme.

S.P. : Que fait justement la Marche mondiale des femmes pour juguler ces maux ?

A.O. : Nous menons un travail de plaidoyer auprès des pouvoirs publics et des partenaires financiers, ce qui nous amène à assurer une prise de conscience des femmes et à travailler avec elles pour envisager les stratégies à même de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes. Mais nous n’accordons pas de crédits, d’autres organisations s’occupent déjà de ce volet. Nous donnons des conseils aux femmes sur « où aller, qui voir ? » et si possible, nous les aidons à avoir des documents bancables afin d’accéder aux crédits. Nous avons un centre d’écoute qui est chargé de l’accompagnement des femmes victimes de violence jusqu’à la justice, si c’est nécessaire. Sur 10 cas de violences conjugales estés en justice par la Marche mondiale des femmes, nous nous acheminons vers une troisième victoire.

S.P. : De quoi peut bénéficier une association membre de votre organisation ?

A.O. : D’abord la prise et l’éveil de conscience. Nous faisons enfin de la formation.

S.P. : Il est de plus en plus question de parité homme-femme. Croyez-vous qu’une telle mesure pourrait favoriser l’épanouissement de la femme ?

A.O. : Certainement. Je pense que les municipales de cette année ont fait la preuve que les femmes peuvent prendre la parole et exprimer leurs vues. J’en veux pour preuve, ces femmes candidates qui sont passées à la télé pour appeler l’électorat à voter leur programme. Toute chose que j’ai trouvée admirable. De plus si je prends l’exemple du CDP que j’admire, on a insisté pour que les femmes soient forcément sur les listes et en bonne position.

D’autres partis ont même mis des femmes tête de liste. Je constate que des efforts sont fournis çà et là pour associer la femme à la vie politique nationale. Le fait qu’elles seront présentes, leur permettra de mieux s’ouvrir au monde et de prouver qu’elles ont des idées, des expériences à partager avec d’autres. La conjugaison de tous ces efforts va permettre aux femmes d’occuper la place qu’elles méritent, si seulement elles sont décidées et aidées.

S.P. : Comment appréciez-vous les opinions selon lesquelles il ne faut pas imposer les femmes tête de liste ; pour ces dernières, elles doivent se battre pour mériter les postes ?

A.O. : Les femmes doivent se battre pour occuper leur place, d’accord. Mais au stade où nous sommes aujourd’hui, nos politiciens n’ont pas compris que la femme mérite. Donc, elle a beau se battre ; on mettra des bâtons dans ses roues jusqu’à ce qu’elle échoue.

Par conséquent, je pense que dans un premier temps imposer ne signifie pas qu’on impose la personne mais plutôt le poste. Je trouve que c’est un grand pas. En tout cas, par rapport au CDP où on dit qu’il faut absolument une femme, oblige le groupe à réfléchir sur celle qui peut le mieux représenter. Et les femmes elles-mêmes se posent des questions. Dans certaines communes on a proposé des femmes qui ont un niveau d’éducation du supérieur, c’est bien parce que les femmes savent exactement qui peut défendre leurs intérêts.

S.P. : Que pensez-vous justement des femmes en politique comme Fatou Diendéré, Marlène Zèbango et bien d’autres qui sont aux premières loges...

A.O. : Je pense que c’est une très bonne chose. Elles ont fait la preuve qu’elles pouvaient être à la place où elles sont. Si je vois toutes les activités que Fatou Diendéré mène, cela me donne la certitude que les femmes peuvent réussir si on leur donne l’opportunité d’accéder à la chose politique. Je crois que c’est l’opportunité qui n’est pas offerte aux femmes de pouvoir se positionner. Car très souvent, le positionnement sur les listes défavorisent les femmes. Sinon aux élections, il y a toujours des femmes sur les listes, mais où sont-elles positionnées. Tout est fait pour maintenir la femme à l’écart. Il faut donc qu’elles comprennent qu’il faut refuser. Si on dit d’être cinquième de liste, alors que vous savez qu’aux élections, il n’y a que deux (2) qui seront élus, il faut refuser. Mais jusque-là, nos politiciens n’ont pas accepté cela, la politique c’est la chose masculine et c’est çà qui est le mal.

Ceci dit, le fait d’imposer un quota pour la participation des femmes est une bonne chose. Ce que les femmes doivent faire maintenant, c’est de se battre pour le positionnement, pour mériter. Parce qu’elles vont mobiliser leur électorat qui va voter les têtes de liste.

S.P. : ... de Henriette Diabaté de la Côte d’Ivoire...

A.O. : Je pense que Henriette Diabaté est une femme qui sait où elle va, où elle met les pieds et qui est déterminée à se faire entendre et à occuper la place qu’elle mérite.

S.P. : ... de Mme Johnson Sirhleaf, présidente du Liberia ?

A.O. : Mme Ellen Johnson Sirhleaf a permis aux femmes d’Afrique et du monde de lever la tête. C’est la preuve que la femme peut aller là où l’homme va.

Elle est chef d’Etat et moi j’ai foi qu’elle réussira parce qu’elle a le bagage intellectuel nécessaire, et que tous les messages qu’elle a reçus des femmes du monde ne seront pas vains, elle les a entendus et va certainement les prendre en compte.

S.P. : Que pensez-vous de la discrimination positive ?

A.O. : Elle crée inutilement des frustrations pour les jeunes garçons qui ont les possibilités d’aller plus loin, parce qu’ils n’ont pas la bourse ou la chance d’être sélectionnés, ils ne passent pas. Mais je pense que la politique nationale qui a favorisé justement cette discrimination positive a permis d’équilibrer le taux de scolarité filles-garçons. De ce point de vue, c’est important. Mais je pense qu’il ne faut pas l’appliquer en politique. Il faut que la femme qui va en politique soit sûre de ses compétences et de ses moyens : je veux le mérite pour l’accès à la prise de décision et non la discrimination. Même quand nous demandons 30% de femmes à l’Assemblée, cela ne veut pas dire 30% de la première venue, c’est 30% de femmes compétentes que nous voulons.

En administration, on a dit qu’on veut au moins 20% de femmes ministres. C’est pas n’importe quelle femme que nous voulons, ce sont des femmes qui peuvent réellement contribuer au développement de notre pays. Ce sont des femmes qui ont les pieds sur terre, qui ont la capacité, la volonté de dire ce qu’il faut faire et de faire ce qu’elles promettent de faire.

S.P. : Vous êtes née Dabiré, femme de chef coutumier ; comment une Dagara a pu être l’épouse d’un chef coutumier, et comment elle le vit ?

A.O. : Je connais mon mari depuis plus de trente (30) ans et il n’était pas chef mais militait dans les mouvements associatifs. Si c’est l’ethnie aussi qui pose problème, je crois que ça ne devrait pas l’être. Je suis née à Tenkodogo et j’ai grandi à Ouagadougou, donc je suis plus mossi que dagara, je parle ma langue et je connais chez moi. Mon mari est devenu chef, il y a seulement dix (10) ans, c’est par concours de circonstance qu’il est devenu chef et je crois que ça ne gène en rien, qu’une dagari soit reine chez les mossis.

S.P. : Comment gérez-vous vos responsabilités familiales et coutumières ?

A.O. : Je dois dire que c’est difficile, parce que je dois être au four et au moulin. Pour mes activités, je suis à Ouagadougou et pour les autres je dois aller à Kaya. Contrairement à ce qu’on dit, la femme occupe une place importante dans la gestion de la chose publique dans la famille royale. Moi, j’ai des rôles que j’assume et je suis tenue d’être là-bas pour remplir ces fonctions.

S.P. : En quoi consiste ces fonctions ?

A.O. : D’abord l’écoute, parce qu’il y a pleins d’entretiens que le chef ne reçoit que si moi j’ai déjà déblayé le terrain. Il faut que j’écoute, que je règle ce que je peux régler et je lui transmets ce que je ne peux pas régler, mais avec mes conseils. Egalement, il arrive que la cour se penche sur des questions et qu’on me les retourne pour que je donne mon point de vue.

S.P. : On voit aux femmes leaders de façon générale, la femme légère, libre qui ne respecte pas son mari ; comment dans un milieu comme celui des Mossis, vous arrivez à vous faire accepter malgré les poids des mentalités ?

A.O. : A Kaya à l’occasion du 8-Mars par exemple, le gouverneur a tenu à faire la représentation de notre pièce théâtrale « Tourments de femme » et des chefs étaient invités. J’ai appris que des chefs ont versé des larmes. A cause du contenu de la pièce, qui parle de violences faites aux femmes. L’un d’eux m’a accostée en disant qu’il faut beaucoup de courage. C’est quand nous voyons jouer que nous nous rendons compte que ce sont des problèmes qui existent vraiment et que chaque homme a une responsabilité dans la pérennité de ces problèmes.

Je trouve que c’est reconnaître la valeur de ce que nous faisons pour les femmes. Les chefs coutumiers sont des alliés potentiels que nous avons et devons travailler à associer à la lutte contre les violences faites aux femmes. Parce qu’on dit aussi que ce sont les chefs qui perpétuent la coutume comme le mariage forcé. Donc, si nous les avons comme alliés, nous allons certainement remporter des victoires sur plusieurs plans. Comment je fais pour être acceptée ? Je dois vous dire que je ne fais rien du tout. Je pense que j’ai eu la chance d’être acceptée par la cour et les sujets de la région du Sanmatenga.

S.P. : Est-ce le fait d’être une reine qui justifie le port du chapeau ?

A.O. : Non. Je porte le chapeau parce que je devais faire un choix. Normalement, je ne dois pas laisser mes cheveux découverts. Les premières années j’ai voulu forcer en restant naturelle, mais, même les femmes intellectuelles ont attiré mon attention sur le fait qu’il faut que je me couvre. Comme je n’aime pas beaucoup le foulard, une des femmes que je respecte beaucoup m’a suggéré le bonnet. Elle m’a conseillé d’essayer et je pense que cela réussit. J’y ai pris goût et je vois maintenant que c’est devenu la mode à Ouagadougou, on voit de plus en plus de femmes porter des bonnets.

S.P. : En dehors de la Marche mondiale, qu’est-ce que madame Ouédraogo fait à la maison ?

A.O. : Ma première et principale activité quand je suis à la maison, c’est de mettre de l’ordre. J’ai la chance d’avoir du monde à la maison pour la cuisine, mais je vais voir quand même ce qui se passe dans la marmite. Même si je ne suis pas directement concernée, j’aime faire la cuisine quand le temps me le permet. Mais le roi aussi aime faire la cuisine.

Entretien réalisé par S. Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)

Sidwaya

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