LETTRE A JOSEPH DAMIBA, MON FRERE DE L’AU-DELA
Je refuse que tu ne sois plus là depuis cette fatidique date du 17 novembre 2023. Mais je te sais heureux là où tu es maintenant, auprès de Dieu, avec papa Émile, maman Marguerite, nos frères et sœurs Thérèse, Johanny, Jeanne et Myriam ; tes fils Bernard et Adolphe, pour ne citer que ceux et celles de ta lignée immédiate, ascendants et descendants.
Tu disais que tu avais déjà ton paradis sur terre. N’ont de paradis sur terre que ceux qui savent le construire, l’aménager, le meubler et le fleurir eux-mêmes durant leur passage terrestre. Autrement dit, tu as été le seul maitre d’œuvre de ce paradis sur terre. Ce n’est nullement un cadeau tombé du ciel mais un mérite et qui constitue une immense grâce. Quoique, comme tout le monde, tu as connu des épreuves tel ce couperet que fut le licenciement massif en 1984 de 1500 enseignants par le CNR alors que tu étais à quelques semaines de ta retraite.
Aujourd’hui tes innombrables œuvres accumulées 94 ans durant, te valent probablement une place de choix auprès du père céleste. Tant de témoignages l’attestent unanimement : tu étais un homme exceptionnel et tu as vécu utile.
– Ton sens de la famille. Un époux, un père, un frère, un beau-père, un beau-frère, un cousin, un oncle, un grand-père et un arrière-grand-père formidable, attentionné et plein d’affection pour chacun et chacune.
À ce sujet voici un extrait de mon témoignage à la veillée funèbre du 22 novembre : « Pour nous, ses 8 frères et sœurs vivants (2 partis très jeunes et 2 respectivement en 2011 et 2020) c’est le grand frère idéal, que Dieu a taillé sur mesure pour nous.
Ce grand frère que chaque être humain aimerait avoir et qu’on ne changerait pour rien au monde. Tellement présent dans nos vies qu’on avait fini par croire qu’il était immortel ! Le grand frère attentionné pour chacun et chacune de nous, nous rendant visite à l’improviste et n’oubliant jamais nos dates d’anniversaire. Plus que grand frère, il était finalement comme un papa tellement il veillait sur nous, surtout ses sœurs, comme sur ses enfants ». Ainsi, tes pas t’ont amené partout où il y avait des membres de la famille pour leur rendre visite : Côte d’Ivoire, Sénégal, États Unis, France, Belgique, Italie, Autriche etc.
Fédérateur, tu as fait en 2015 le voyage aux Etats-Unis avec ton épouse Martine pour une rencontre de tous les Damiba vivant là-bas. De même le 28 janvier 2018 tu as initié les retrouvailles historiques de tous les Damiba, Kiba, Balma et assimilés des quatre coins du Burkina, y compris les Damiba « gourmanchisés » de Piéla (province de la Gnagna), que tu accueillis à l’école Bélemtiisé zone du Bois. Des initiatives que nous gagnerions à pérenniser pour garder le cap en souvenir de toi.
– Ta fidélité en amitié. Que d’amis ou promotionnaires depuis ton jeune âge à qui tu es resté attaché et avec qui tu avais tant de souvenirs que tu partageais volontiers. Un à un, tu les as vus partir avec beaucoup de chagrin. Aujourd’hui l’un d’eux, plus ton frère que ton ami, est le seul qui te survit sous le poids de ses 96 ans. Je veux parler de M. Norbert Ouédraogo, fils du Baloum naaba Tanga de Ouagadougou, que ton départ a plus que bouleversé.
– Socialement inlassable. Tu as été, toute ta vie durant, le bienfaiteur universel, le bon samaritain, l’apôtre de la charité, le pèlerin des causes justes ou encore le pâtre bienveillant que le bâton amenait partout, dans les chaumières, les centres d’accueil des pauvres et marginalisés, dans les orphelinats, l’Eglise et les communautés religieuses, les sans-domiciles fixes etc. Distribuant vivres, savons, vêtements, argent ou adoptant des laissés pour compte pour leur donner une famille, un emploi et finalement une dignité. Dans tes écoles, tes proches parents et les membres du personnel, bénéficient de tarifs préférentiels pour la scolarité de leurs enfants. Tu as davantage vécu pour les autres que pour toi-même : en quelque sorte tu étais une mère Térésa au masculin du Burkina.
– Éducateur et enseignant modèle. Chez toi l’éducateur précède l’enseignant puis les deux, inséparables, chemineront ensemble durant dans ta vie sociale et familiale, indissociable de ta vie professionnelle. Car pour toi il n’y a pas d’enseignement-instruction sans éducation aux valeurs éthiques et patriotiques. Ainsi en est-il à ton internat de jeunes filles, CS2B (collège scientifique, bilingue Bélemtiisé) dont le pari est de former des futures femmes, non seulement compétentes mais surtout des leaders de demain.
Le milieu écologique que tu as créé dans l’établissement (parc botanique et potager), le jumelage avec une école de Tamalé au Ghana, la fanfare hyper moderne des jeunes filles etc. sont autant d’originalités émanant de ta passion créatrice d’enseignant-éducateur et de pionnier. N’oublions pas l’introduction dans tes écoles, du port du Faso dan Fani (FDF) depuis 2012, plus de 10 ans avant qu’il ne soit adopté par l’État à cette rentrée 2023 pour une généralisation progressive.
Ta rigueur, tes principes exigeants, qu’un simple regard ou un pesant silence suffisaient à imposer, t’assuraient des résultats en douceur, sans violence. Avec tes légendaires 100% au CEP tant au public aux quatre coins de la Haute Volta jusqu’à ta retraite, que dans tes trois écoles Bélemtiisé dont la première fut ouverte en 1992, même un élève recalé t’était indigérable. Et ce grand amour des enfants, des tout-petits surtout, qui accueillaient toujours leur câlin frontal avec un juste retour affectueux envers Yaaba Joseph.
– Le rassembleur. Discret et épris de justice, tu t’étais construit une réputation de rassembleur pour la grande famille et pour les ressortissants du Kourittenga pour qui tu étais le patriarche respecté et consulté individuellement ou collectivement. Au-delà de toute considération politique, religieuse ou de genre, tu étais la référence et le point de ralliement chez qui bien des conflits trouvaient solutions, bien des projets bénéficiaient d’orientations et bien des personnes recevaient des conseils.
– Une vie humble et modeste. Malgré le succès de tes écoles, tu as continué de mener une vie modeste et tranquille, marquée par une alimentation sobre et saine, presque d’ascète, avec ta cure d’eau matinale, le citron, la salade du soir, le bannissement de la viande rouge, pas de vices tabac ni alcool, jamais dans les bar-maquis. Ce sont là probablement les secrets de ta longévité, de ton énergie et de ta vie si active jusqu’au bout.
Repose en paix mon frère. Veille sur ta postérité et que ton exemple soit une boussole pour tous ceux qui t’ont connu et aimé.
Béatrice DAMIBA
Journaliste à la retraite
Sœur du défunt