La nouvelle de la désignation, « enfin », du candidat à la présidentielle de février 2024 pour le compte de la coalition au pouvoir, a vite fait le tour des milieux politiques sénégalais et observateurs de l’actualité africaine. Dans cette partie de l’Afrique, occidentale, où les ruptures constitutionnelles, pour ne pas dire les coups d’Etat, sont quasiment un effet de mode et les mieux partagées, le Sénégal n’est pas seulement un modèle de démocratie, il est une fierté et le signe que le continent n’est pas condamné au zigzag.

Malgré les insuffisances dans les gouvernances, les vacillements et les moments difficiles, récemment, de l’affaire Sonko, et tel un roseau, le Sénégal a honoré son image (tout en déplorant ces pertes en vie humaine qui auraient pu être évitées), en ne cédant pas au vent du moment et aux élucubrations … d’allonger le rang. Dans un tel environnement, la course pour la magistrature suprême dans ce pays ne peut laisser indifférents ces nombreux Africains épris de valeurs de démocratie.

La désignation du Premier ministre Amadou Bâ, ce week-end, par Macky Sall lance les hostilités, précédées quelques jours par la réhabilitation des deux opposants Khalifa Sall (ancien maire de Dakar) et l’héritier de l’ex-président Abdoulaye Wade, Karim Wade (le texte portant réforme du Code électoral a été adopté à l’Assemblée nationale, le 5 août 2023, par 124 voix pour, 1 contre et 0 abstention).

M. Bâ sera donc le porte-étendard de la coalition au pouvoir « Benno bokk yaakaar » pour la présidentielle de février 2024. Cette nouvelle n’est pas sans grincement de dents au sein de la coalition au pouvoir, où les pronostics allaient bon train, depuis l’annonce de Macky Sall de ne pas briguer un autre mandat (https://lefaso.net/spip.php?article122638). A la lecture des analyses, comptes-rendus et autres pronostics des confrères sénégalais, de nombreux cadres proches de Macky Sall et membres de la coalition au pouvoir nourrissaient, chacun, le rêve en silence d’être désignés comme dauphins.

Macky Sall justifie le choix porté sur son actuel Premier ministre par un souci de « préservation de la République et de la démocratie, la sauvegarde de la paix et de la stabilité, pour la poursuite des politiques publiques autour du socle que constitue le ‘’Plan Sénégal Émergent’’ (stratégie décennale sur la période 2014-2023, adossée à une vision : celle d’un Sénégal émergent à l’horizon 2035, ndlr) ».

Amadou Ba a été choisi parmi une dizaine de prétendants à la candidature de la coalition, dont le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, un ancien Premier ministre (Mahammed Dionne) et le ministre de l’agriculture, de l’équipement rural et de la souveraineté alimentaire, Aly Ngouille Ndiaye. Ce dernier a d’ailleurs, peu après le dévoilement du candidat Bâ, démissionné du gouvernement et de ses responsabilités à l’APR (Alliance pour la République), le parti politique de Macky Sall, après la désignation d’Amadou Bâ.

En attendant de revenir sur cette actualité de la présidentielle 2024, et selon le confrère de Seneweb, qui a dressé son portrait, Amadaou Bâ est un « ancien socialiste dans les années 90, qui s’était éloigné de la politique avant de revenir en force à partir de 2014 ». Son choix semble être une surprise pour nombre de Sénégalais. « Analystes politiques, adversaires de parti et même ses propres partisans ont fini de se tromper à son sujet. Parachuté à la populeuse et stratégique commune des Parcelles Assainies, Amadou Bâ, Premier ministre, était vu par l’opinion comme un néophyte en politique bombardé tête de liste du département de Dakar lors des Législatives 2017. Au point que certains se demandaient quelle mouche a bien pu piquer Macky Sall pour qu’il agisse ainsi », dresse Seneweb.

Même si pour Macky Sall, avec la désignation de M. Bâ (ancien ministre des affaires étrangères, ancien ministre des finances, ancien directeur général des impôts et des domaines), « la victoire est à portée de main », l’on peut dire que c’est maintenant que commence le plus difficile pour la coalition au pouvoir, le parti de Macky Sall et même pour le candidat désigné Amadou Bâ. Comment assurer la cohésion dans un climat de rêves brisés pour ces nombreux prétendants et leurs inconditionnels ? C’est dire qu’avec également les opposants en face, la présidentielle de février 2024 se dessine comme celle des plus disputées, cruciales et ouvertes.

En prémices…, cette réaction à chaud de Aminata Touré, ancien Premier ministre (2013-2014), candidate annoncée à la présidentielle de février 2024 ; une « dame de fer » qui a collaboré également avec Macky Sall avant de quitter la coalition au pouvoir pour s’inscrire clairement contre la possibilité d’une modification de la Constitution pour permettre à ce dernier de briguer un troisième mandat.

« Maintenant que le président Macky Sall tient enfin son candidat, à quatre mois de la campagne électorale, il est urgent de confronter les idées, les programmes et les pratiques de ceux et celles qui prétendent diriger notre pays. C’est dans ce sens que je propose, sans délai, un débat avec le Premier ministre Amadou Ba, candidat de Benno Bokk Yakaar, débat public à organiser par la presse sénégalaise avec invitation de la presse internationale. Venant de moi-même, ancien Premier ministre et candidate à l’élection de 2024, une telle invite ne saurait être refusée par le candidat du régime en place. Je suis immédiatement disponible. Je saisis l’occasion pour exhorter toute notre presse à contribuer à faire de l’élection présidentielle de 2024 un choix de programme et d’éthique parmi tous les candidats déclarés », a, sous fond de défi, lancé Aminata Touré, pour qui, il faut empêcher impérativement la continuation du régime APR/BBY (Alliance pour la République/Benno Bokk Yakaar).

La militante pour les droits de l’homme, Mme Touré, fut aussi fonctionnaire à l’ONU, ministre de la justice et présidente du Conseil économique, social et environnemental.
Ces mois vers la présidentielle s’annoncent donc très rudes pour Amadou Bâ, qui devra faire face aux frustrations de son propre camp (nées par son choix en lieu et place de ceux qui lorgnaient le starting-block), mais également aux figures politiques d’en face, c’est-à-dire l’opposition classique. Une météo politique à suivre de près !

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net