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Fespaco 2023 : « Le cinéma m’a choisi », Providencia Lauren Sanou, réalisatrice de « Double Je »

Publié le samedi 18 février 2023 à 15h08min

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Fespaco 2023 : « Le cinéma m’a choisi », Providencia Lauren Sanou, réalisatrice de « Double Je »

Les violences conjugales peuvent avoir des conséquences psychologiques insoupçonnées sur les enfants. Sensible à ce sujet, la jeune réalisatrice Providencia Lauren Sanou a décidé d’en faire un film. Intitulé “Double Je”, ce court-métrage de 16 minutes est en sélection officielle dans la section “Court-métrage” de la 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Nous avons rencontré la jeune réalisatrice, qui excelle également dans la scénarisation. Entretien.

Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?

Lauren Sanou : Je suis titulaire d’une licence en droit. Après la 3e année de droit, j’ai décidé de faire un master en réalisation documentaire. Pour moi le documentaire à moins de formation. À l’Institut Imagine, j’ai reçu beaucoup de formations en réalisation de films, en écriture de scénario, mais il y a peu de formations en réalisation de film documentaire. J’ai donc fait un master de réalisation de documentaires en me disant qu’en fiction, il y avait beaucoup d’autres opportunités.

Il faut noter que je n’ai pas choisi de faire carrière dans le cinéma. Le cinéma m’a choisi. Des années en arrière, si on m’avait demandé ce que je voulais faire, je n’allais pas répondre : « cinéma ». Je rêvais diplomatie, je vivais diplomatie. Quand tu mets ton pied dans le cinéma et que la passion t’emporte, plus rien ne compte. C’est comme si toutes les autres choses devenaient secondaires. Je me considère comme une appelée du cinéma parce que rien ne me prédestinait à faire du cinéma. À la limite, j’écrivais, je voulais écrire des romans pour enfants, des romans jeunesse, mais pas du cinéma.

Quelle a été la réaction de vos parents quand vous avez voulu faire du cinéma ?

Mes parents sont des gens très ouverts. Mon papa fait de la peinture. Dans ma famille on a beaucoup d’artistes, mais le débat s’est posé au moment où les parents auraient préféré que je termine mon master en droit avant de virer pour faire du cinéma. À part cela, mon choix pour le cinéma n’a pas posé de problème en famille. Ma mère me soutient énormément dans tout ce que je fais.

Quelles sont les personnes qui vous ont inspiré dans ce métier ?

Mes parents sont mes premiers modèles de vie. Pour eux, quand tu décides de faire quelque chose, il faut aller jusqu’au bout. C’est toujours mieux de faire ce que tu aimes que d’être dans un lieu où tu ne t’épanouis pas. Quand tu décides d’aller au boulot, il faut que tu le fasses avec joie et plaisir. On perd beaucoup de choses lorsqu’on décide de faire du cinéma. Il y a beaucoup de sacrifices derrière, mais mes parents ont toujours été là.

J’ai rencontré aussi de belles personnes dans le cinéma à mes débuts. Il y a tonton Gaston Kaboré, tantie Azaratou Bancé, Osange Silou-Kieffer qui a été mon mentor à un moment donné. Ce sont des personnes qui ont fait grandir cet amour que j’avais pour le cinéma. Ce sont des personnes qui aiment partager leur savoir. J’ai travaillé sur de grands projets avec Boubacar Diallo, par exemple. Ce sont toutes ces personnes qui m’ont permis de rester au cinéma, sinon il y a des moments où tu as envie d’abandonner.

Qu’est-ce qui peut bien pousser une personne à vouloir abandonner le cinéma ?

La fatigue et la solitude (Rires). Quand tu fais du cinéma, tu te retrouves rapidement seul. Tes horaires ne coïncident plus avec ceux de tes proches. Vos jours de repos ne coïncident plus également. Les gens ne travaillent pas le samedi et le dimanche alors que toi, tu es sur les plateaux de tournage. Tu ne peux pas toujours être présente aux activités sociales. Tes amis ne vont plus te comprendre, les gens ne vont pas comprendre lorsque tu dis que tu n’as pas le temps pour telle ou telle chose. Ce n’est pas qu’on travaille plus que les autres, c’est juste que nos horaires ne coïncident plus vraiment avec ceux des autres.

Combien de films avez-vous à votre actif ?

J’ai écrit des scénarios pour des personnes, mais pour l’instant les films ne sont pas sortis à l’écran. J’ai écrit deux courts métrages et un long métrage mais ce n’est pas encore à l’écran. L’un des films parle du rejet des femmes accusées de sorcellerie et l’autre parle de la valeur du Merci.

J’ai réalisé deux courts métrages, mais en réalité j’en ai fait trois. Ma toute première œuvre est une docu-fiction, mais elle n’a pas été montée. Quand j’ai filmé, je n’étais pas satisfaite de ce que j’obtenais. Je voulais filmer les enfants de la rue et ensuite mettre un poème en dessous. C’était en 2017. À l’époque, vu que j’avais peur de travailler avec les enfants de la rue, j’ai pris des gens que je connaissais et que j’ai mis en scène. J’ai les images, mais je ne les ai pas encore montées. Peut-être que ça viendra un jour.

En 2019, j’ai fait un autre court-métrage sur l’avortement. Il faut dire que la position que j’ai adoptée pour écrire le scénario n’est pas très bien reçue. Je ne m’attendais pas à certaines réactions du genre “Toi, tu cautionnes l’avortement”. Il faut rappeler que c’était au moment où il y avait le débat sur l’avortement sous certaines conditions. Le film raconte l’histoire d’une jeune étudiante qui a eu une bourse pour aller étudier à l’extérieur, mais qui se retrouve enceinte. Son copain, qui l’a enceinté, a également obtenu une bourse et est parti. Elle devait faire le choix entre garder la grossesse, rester et mettre fin à son avenir ou choisir l’avortement pour pouvoir poursuivre ses études. Elle décide au finish d’avorter toute seule. Quoi qu’on dise, on refuse l’avortement mais il y a de nombreuses personnes qui le pratiquent.
Mon dernier film est “Double JE” qui a été réalisé cette année.

Double JE en compétition au Fespaco dans la section “Court métrage”. Comment avez-vous accueilli la sélection de ce film ?

“Double JE” parle des conséquences psychologiques de la violence conjugale sur les enfants. Les enfants vivent la chose, mais ne comprennent rien. Ils ne font que subir. Qu’est-ce que cela peut entraîner comme conséquence pour ces enfants qui sont appelés à être des adultes ?

J’ai tellement souffert pendant le tournage que je ne m’attendais pas à cette sélection. J’étais vraiment très contente. Je me dis que ce que je fais n’est pas si mauvais que ça. Je ne suis pas seul à travailler. Quand un projet est sélectionné, c’est toute l’équipe qui est satisfaite, c’est toute l’équipe qui monte, ce sont les comédiens qui seront vus. Ce bonheur, il est indescriptible. L’acteur principal du film se nomme Hicham Sinaré, un garçon de 8 ans. Il est vraiment super et quand les gens le verront à l’écran, ils s’en rendront compte. Pour un enfant de son âge, je trouve qu’il est vraiment brillant. C’est vrai que c’est mon bébé, mais ce n’est pas pour le vanter ; il est vraiment très bien (Rires).

Est-ce une histoire tirée d’un fait réel ?

Je mentirai si je dis que ce film n’est pas tiré d’un fait réel. Je suis une personne assez sensible qui se laisse toucher par plein de sujets. Ce sont des histoires qu’on entend régulièrement. Je me suis toujours posé la question de savoir ce que ressentent ces enfants. Les adultes eux peuvent se comprendre, peuvent s’expliquer après. Mais on n’explique pas toujours aux enfants ce qui se passe. Quand il y a une dispute, souvent on chasse l’enfant dans la chambre ou il est présent alors que la dispute se déroule. On ne lui explique rien et alors il ne comprend pas ce qui se passe. Après, il assimile ce qui se passe comme étant de la normalité.

Quelles sont les difficultés rencontrées dans la réalisation de ce film ?

J’ai écrit le scénario depuis 2019. Je suis un peu perfectionniste, donc je n’ai pas pu le réaliser sur le champ. Il y a eu le décès de ma formatrice Osange Silou-Kieffer, en 2020 (1er avril 2020, ndlr). On travaillait ensemble. Je lui envoyais le texte et elle me donnait toujours son avis. À son décès, j’ai donc déposé le scénario. Mais après, je me suis dit qu’il fallait que je réalise le film pour lui rendre hommage et qu’elle soit fière.

Les autres difficultés sont d’ordre financier. Peu de personnes accompagnent le cinéma. Les gens accompagnent le cinéma avec des "Du courage". Le cinéma est coûteux. De l’équipement à l’équipe, tout est coûteux. Pour un court-métrage d’un budget de 5 millions, les gens vont te demander où est rentré l’argent. C’est vrai que tous les réalisateurs rencontrent ce problème financier, mais ça impacte beaucoup plus les jeunes. Les gens veulent des preuves que l’on sait faire des films avant de nous accompagner. Ils oublient pourtant que pour donner des preuves, il faut commencer et pour commencer il faut de l’argent. Qui te donne cet argent-là ? C’est une boucle. Il faut trouver quelqu’un qui a confiance, qui croit au projet et qui t’accompagne.

Comment avez-vous mobilisé les fonds pour la réalisation de votre film ?

Ce sont les parents essentiellement qui m’ont accompagné. J’ai également eu la chance d’avoir des gens qui me suivent dans ma folie. Il y a la styliste Karel.K qui a accepté d’habiller ma comédienne, il y a le Café village et Eau Madam qui m’a accompagné avec l’eau. Toutes ces personnes m’ont accompagné sur le plan technique. Mais, sur le plan financier, ce sont vraiment mes parents qui m’ont aidé.

J’étais parti sur un budget de 7 millions, mais je n’ai pas eu cette somme. Cela a fait que beaucoup de choses ont été réduites et c’est de là que d’autres difficultés naissent comme la location de matériel. La location du matériel se fait par jour. J’ai eu la chance que mon grand frère Oumar Dagnon qui me soutient dans toutes mes folies m’a accompagné avec une partie du matériel. Il y a d’autres personnes aussi qui m’accompagnent.

L’insuffisance de financement n’est-elle pas aussi dû au fait que certains veulent travailler en solitaire plutôt que de s’associer à d’autres personnes ?

Il y a les réalisateurs et les producteurs. Qui est le réalisateur ? C’est une personne qui a une idée, qui veut faire ci, qui veut faire ça et qui a besoin d’argent. Ce n’est pas à lui de chercher l’argent, c’est au producteur de chercher l’argent. Pour imager, prenons l’exemple de l’hôpital où travaille un médecin. On sait tous qu’on peut trouver le médecin dans tel ou tel hôpital. Mais l’hôpital ne lui appartient pas. C’est exactement la même chose. Le producteur se charge de chercher l’argent et le réalisateur de faire ce qu’il fait de mieux artistiquement parlant. Les producteurs peuvent décider d’associer leur force pour produire un film. Notre problème est que la plupart du temps, le réalisateur est producteur et scénariste. Quel producteur qui est à la fois réalisateur et scénariste va prendre son argent pour te le remettre ? C’est compliqué, mais on a des réalisateurs qui réussissent à le faire et qui s’en sortent très bien. Petit à petit, on est en train de s’organiser pour travailler en équipe sur des projets.

Quels conseils avez-vous pour toutes celles qui aimeraient emboîter vos pas ?

On ne vient pas au cinéma pour chercher de l’argent. On fait du cinéma par passion. Si tu viens au cinéma pour chercher de l’argent, tu vas échouer, parce qu’il n’y a pas d’argent. Il y a juste la satisfaction d’avoir fait quelque chose que les gens ont aimé. Et c’est cette satisfaction qui peut t’amener à faire du bon boulot pour avoir un peu d’argent. Il y a plus de fatigue, de souffrance et de solitude surtout pour les femmes. Si tu choisis de faire du cinéma, il faut t’investir à 100 %. Il faut faire du cinéma parce que ton cœur et ton âme y sont et non parce qu’il y a de l’argent. Sinon tu vas faire du mauvais cinéma et tu vas rester pauvre.

Quels sont vos projets ?

Des projets, j’en ai plein la tête. Ça va du court-métrage à la série. Je suis beaucoup plus investi dans les films jeunesse. Je trouve qu’il n’y a pas assez de jeunes à l’écran. Il n’y a pas beaucoup de films qui parlent à nos jeunes et quand je parle des jeunes, je ne fais pas allusion aux jeunes de 25, 28 ans. Je parle des jeunes qui sont confrontés à l’alcoolisme par exemple à 12, 13 ans, des jeunes qui sont confrontés à la drogue, aux problèmes de communication avec les parents. Actuellement, je suis en train de travailler sur une série et j’espère qu’on pourra avoir les financements pour la réaliser et la porter à l’écran d’ici là.

La série est une comédie musicale. C’est l’histoire d’une jeune fille qui ne connaît pas son père. Elle est née sous X et elle décide de le chercher parce que sa maman lui a dit qu’il est mort. Elle découvre par la suite qu’il est vivant. Elle aime la musique et la danse, mais on lui répète sans cesse que la musique n’est pas un boulot. Elle rencontre quelqu’un qui aime le basket à qui on dit également que le basket n’est pas un boulot surtout au Burkina où c’est juste un sport pour garder la forme. Ces deux se retrouvent à partager des points en commun.

Un mot de fin…

Merci d’avoir décidé de mettre la lumière sur la petite personne que je suis. Merci à toutes ces personnes qui croient en nous, qui nous accompagnent malgré tout et ceux qui nous aiment malgré le temps qu’on n’a pas. Merci à tous. On espère que le cinéma burkinabè aura le même rythme que le cinéma africain qui bouge assez. On espère que les gens auront confiance en nous pour nous donner les moyens de leur montrer qu’on peut faire de belles choses.

Entretien réalisé par Fredo Bassolé
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