LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Musique : « Dans la société traditionnelle africaine, on ne pouvait pas se passer des arts et particulièrement de la musique », dixit Yé Lassina Coulibaly

Publié le lundi 14 mars 2022 à 22h00min

PARTAGER :                          
Musique : « Dans la société traditionnelle africaine, on ne pouvait pas se passer des arts et particulièrement de la musique », dixit Yé Lassina Coulibaly

Il parle de l’art et surtout de la musique avec passion. Ses arguments sur l’importance de la musique séduisent ceux qui l’écoutent attentivement. Yé Lassina Coulibaly, puisse que c’est de lui qu’il s’agit, est un artiste, auteur-compositeur, interprète et musicothérapeute burkinabè. Entretien avec ce chevalier de l’ordre du mérite, des lettres et de la communication (agrafe musique et danse) du Burkina Faso.

Lefaso.net : D’où tires-tu ta force d’imagination et l’énergie qui sous-tend tes compositions ?

Yé Lassina Coulibaly : En tant que compositeur-interprète, à l’écoute du monde et de l’actualité, je m’inspire de la mémoire de ma famille, du patrimoine culturel universel, des éléments de la planète et du cosmos depuis la nuit des temps.

Et quelle est ta méthode de travail ?

J’observe beaucoup la société. Je repère les problèmes auxquels les hommes sont confrontés et dont on ne parle pas. Par exemple, j’ai souvent envie de partir à la conquête des espaces publics qui sont récupérés au profit des commerces. Car cela se fait au détriment d’espaces de liberté pour les enfants et pour la culture. Et pour répondre précisément à la question, j’amène mon instrument fétiche, qui est le djembé, dans la forêt pour apprendre à écouter le plus profond de l’existence qui est la vibration.

La note majeure, pour moi c’est le grave, et le djembé est bien placé pour me le donner. Ensuite vient le medium et l’aigu, au point de mesurer l’intensité de la hauteur des différentes notes sur la peau. Après, je me sers du balafon, soit pentatonique soit diatonique, et aussi de la sanza, pour élaborer la première composition. Ce qui me touche, c’est de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ; par exemple, le monde agricole, les paysans, qui souvent ne sont pas assez écoutés. Ma musique sert à faire entendre leurs difficultés quotidiennes sur le terrain du travail.

La difficulté des éleveurs, de ceux qui ont des fermes, des cordonniers, des bouchers, tous ces métiers artisanaux qui sont de vrais métiers. Sans eux notre quotidien serait difficile. Je dis souvent : un sac vide, s’il n’a pas de contenu, comment tenir sa journée ? Un fonctionnaire d’État, s’il n’a rien dans son assiette, comment peut-il aller travailler dans son bureau ? Donc je salue le monde rural, le monde des ouvriers qui se lèvent tôt et se couchent tard. Ils sont l’énergie de la société.

Tes sources d’inspiration sont engagées alors…

Bien sûr ! Mais il ne s’agit pas que de cela. Mes compositions évoquent également le progrès. La recherche, l’intelligence numérique nous ont libérés de certaines traditions et coutumes, de certaines religions, et ont même facilité l’accès à l’école pour les enfants pour leur permettre de s’épanouir, de développer leur propre personnalité et d’écrire leur propre histoire. Je salue aussi le corps médical qui, malgré le manque de moyens, s’adapte pour assurer la sécurité sanitaire des humains car la santé est un besoin essentiel.

Ma musique parle de tous ces sujets. La musique est nécessaire en Afrique et ailleurs. Selon les territoires, les villages ou les villes, les besoins ne sont pas les mêmes, donc les répertoires varient et les instruments utilisés sont différents. Les artistes sont obligés de s’adapter pour gagner leur vie ; donc en un seul mot, aujourd’hui dans mes compositions, je suis à la conquête d’un auditoire élargi. La composition et les arrangements sont là pour faire découvrir au public européen et africain l’originalité d’un répertoire harmonieux.

J’adapte mes accords à la sensibilité d’un public de tous âges et de toute origine. J’ai plusieurs albums sur le marché international, chacun a une philosophie et une sensibilité propre. Mon objectif est de susciter chez chacun, une réflexion autour de mes répertoires. Il y a des albums qui témoignent du croisement de cultures entre l’Europe et Afrique, d’autres entre les pays africains, voire entre des différentes langues parlées en Afrique. Car les langues africaines, très nombreuses et riches, sont rarement valorisées par les acteurs culturels et producteurs. Ce serait dommage de ne pas les chanter.

Peux-tu parler de ta philosophie de vie ?

Un homme sans culture est un homme sans route. Il faut savoir d’où tu viens et pourquoi tu avances. Je viens d’une culture animiste qui est une culture ancestrale en Afrique. L’animisme, ce n’est pas une philosophie, c’est toute une culture pour communiquer avec le cosmos. Par exemple, la civilisation pygmée au Cameroun et en Centrafrique m’impressionne beaucoup.

Cela est tellement intéressant, il y a un travail collectif de l’ensemble et du groupe. Il y a plusieurs sortes de philosophies musicales, et je me suis inscrit dans une philosophie abstraite et concrète.
Pour entrer en profondeur, chez les animistes, il y a les musiques pour « l’interrogation des morts » qui n’est pas du tout du folklore ; c’est ce que j’appelle la science appliquée. Quand je dis cela, j’entends par là que les dignitaires ont des connaissances divines pour lire les astres.

Après « l’interrogation », avec la médiation de la musique, les célébrants peuvent déclarer que c’est l’esprit de la nature qui a interpelé le défunt qui vient de partir. C’est la voix de la sagesse qui apporte le réconfort à la famille et au groupe. Quelle que soit l’évolution de notre vie, on repart naturellement nu comme on est né nu... C’est la seule chose universelle sur laquelle on ne peut pas mentir. La réalité de la mort, que l’on soit riche ou pauvre, c’est d’accéder au repos, dans le sein de notre grand-mère nature. La culture porte des valeurs que les hommes oublient souvent, par exemple la mémoire et le patrimoine.

Dans mon initiation dans la forêt sacrée, la mémoire et le patrimoine sont très importants. Les nombreux styles musicaux correspondent aux goûts et besoins de différentes époques et différentes civilisations. En Occident, ce sera la musique classique, sacrée, savante et aussi profane ; en Afrique, une musique de tradition orale. Mais au-delà des singularités, on se retrouve dans le plaisir de partager les émotions que suscitent la musique et le chant. On ignore souvent que des musiques savantes existaient aussi en Afrique, destinées (comme en Europe) aux cours royales.

Car il y a eu des royaumes, en Afrique, où dans les cours la grande musique était jouée pour apaiser et distraire le roi et la reine, et les courtisans qui les entouraient. Des ensembles musicaux ont pu conserver ce répertoire de cour jusqu’à nos jours et le jouent comme on interprète Bach dans les conservatoires aujourd’hui. Chez nous, certains pays perpétuent la mémoire de cette musique dans les grandes cérémonies afin de témoigner d’une identité culturelle, de l’histoire et des épopées des grandes familles.

Maintenant, tout le monde connaît les empires de l’Afrique. Il suffit de lire des livres d’auteurs comme Cheik Anta Diop et Aimé Césaire, et des thèses écrites sur l’Égypte antique, sur le Nigeria, le Burkina Faso, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée Conakry, le Cameroun, le Congo, etc. Il faut s’inspirer de tout cela car c’est un patrimoine, il faut lutter pour le conserver, et c’est grâce à la composition que quelque part, on sauve toute cette diversité musicale. J’ai un grand plaisir de voir qu’il y a encore cette fibre européenne pour faire vivre cette musique sacrée et profane pour un public qui en a besoin. La force de la vie c’est quoi ? C’est notre culture, notre histoire, notre identité culturelle, ce qui donne une fierté, un retentissement international.

Que penses- tu de la musique contemporaine en Occident ? Est-ce une rupture avec le passé ?

La musique contemporaine a sa vérité et la musique baroque et classique ont aussi la leur. Tous les courants musicaux ont des origines et des histoires différentes, mais tendent vers un même but : libérer l’esprit, alléger la souffrance, aider à vivre, à organiser ses idées. Toutes les traditions évoluent avec leur temps. Il faut être à l’écoute de la jeunesse, comprendre qu’elle puisse avoir une autre sensibilité, une autre façon de voir la culture. La jeunesse se libère des codes, bouscule nos certitudes, révolutionne la manière d’écouter les harmonies, ce qui permet d’autres voyages dont on n’a pas l’habitude.

Personnellement, je salue ce voyage musical car c’est le futur. Il faut faire confiance à l’intelligence humaine pour que ce futur soit riche d’une production éclectique et respectueuse de tous les courants. Dans le monde d’aujourd’hui, il est dommage qu’il n’y ait pas assez de labels qui se lèvent pour défendre les différentes sensibilités musicales. Il y a beaucoup de musiciens interprètes qui sont dans la diffusion et la composition, mais pas assez de managers, de bookings, d’administrateurs de gestion culturelle, pour accompagner les artistes, surtout les auteurs.

C’est une vraie question car sans développement de la diffusion, on prend du retard en économie musicale et on freine la diversité musicale. Beaucoup de courants musicaux non-formatés ne sont pas soutenus et restent à découvrir car on a tendance à se cantonner dans nos habitudes. Il serait fondamental que le public accepte de participer à une production locale, voire nationale et internationale. Comment faire vivre l’art si on ne met pas en place la diffusion de quartier, de ville, de pays ? Donc il faudrait d’autres lieux de célébration qui dépassent nos habitudes ; des lieux dédiés à des répertoires d’aujourd’hui, sans que cela nuise à la diffusion de formes d’expression plus anciennes.

Si on va de l’avant, si on ouvre la voie de la liberté et de la diversité, on peut ensuite faire le choix de se retourner vers le patrimoine culturel plus ou moins ancien, d’inscrire ces créations dans un lignage. Et ça, c’est plutôt positif ! Mon cri d’alarme s’adresse aux opérateurs économiques privés : on ne doit pas attendre que l’artiste sollicite les mécènes, ils doivent eux-mêmes prendre l’initiative de penser au groupe, à la société, à l’apaisement des tensions. Comme on investit dans l’armement, on pourrait investir dans la culture, car l’art c’est le médicament de la société, tous les arts font du bien et font un écho aux émotions humaines.

Quelle est l’importance de la musique dans les sociétés anciennes ?

Dans la société traditionnelle africaine, on ne pouvait pas se passer des arts et particulièrement de la musique. La présence des musiciens et chanteurs était indispensable lors des cérémonies et célébrations, à tel point que celles-ci pouvaient être reportées ou annulées en cas d’empêchement des artistes. Les musiciens étaient considérés et totalement pris en charge. De même, dès le début de l’humanité, la musique était présente pour accompagner le dur labeur des artisans, encourager les paysans lors des moissons ou lorsqu’ils devaient construire leurs maisons ou les reconstruire après la saison des pluies. S’y ajoutaient des récits afin de donner courage et fierté à l’ouvrage.

C’était sans doute la même chose dans le monde entier. Elle était présente aussi pour accompagner les funérailles et la chasse avec les cornes musicales dans de nombreux pays. On peut affirmer que la musique a été un puissant support de la transmission des valeurs traditionnelles ancestrales en perpétuant les récits des mythes et des épopées jouées et chantées. La civilisation égyptienne et les Grecs de l’Antiquité l’ont aussi toujours utilisée pour passer des messages dans les cérémonies religieuses et culturelles, et pour l’enseignement des valeurs civiques et familiales.

Dans la société occidentale, une Europe de la culture existait, notamment au 18e siècle où les cours royales européennes s’arrachaient la présence des artistes lettrés, peintres, musiciens, et soutenaient financièrement leurs travaux. Je voudrais attirer l’attention sur la notoriété qu’avait acquise, à l’époque, le Chevalier de Saint-Georges, compositeur de génie qui a marqué son temps et l’histoire de la musique.

C’était aussi le cas dans certains pays d’Asie où s’est développée la musique orientale. La musique africaine était associée aux évènements, voire au quotidien, honorée dans les cours royales mais aussi partagée par le plus grand nombre ; alors que la musique occidentale était destinée à une élite. La transmission de l’une a été orale, tandis que celle l’autre a bénéficié de la transcription des œuvres. La musique reste néanmoins un puissant marqueur identitaire, reflet de la société dont elle est issue, de notre manière de penser et de nous comporter, sans toutefois empêcher les cultures de se croiser.

Penses-tu que la musique occupe une place importante au cinéma ?

Il faut aussi souligner l’importance de la musique dans le cinéma. Les rapports entre ces deux formes d’expression furent dans un premier temps marqués d’une certaine rivalité. L’opéra par exemple se sentant menacé, à tort, par l’arrivée du cinéma. Actuellement, on constate que la musique a mis en lumière de grands compositeurs classiques ou contemporains ainsi que leurs œuvres. Par ailleurs, les musiques de film tiennent une place prépondérante dans le cinéma.

Le fait qu’elles soient primées dans les grands festivals de cinéma au même titre que les comédiens, la mise en scène ou le scénario, leur donne de la crédibilité. Leur enregistrement permet leur diffusion comme pour n’importe quelle création. Dans un film, la musique abat les frontières de la langue en constituant, par sa force évocatrice des émotions universelles, un puissant langage commun : pas besoin de traduction ni de sous-titres.

C’est une autre manière de décrire l’âme humaine. Il existe également un rapport entre la musique et la politique. Selon les circonstances et les époques, cela peut se traduire par un genre de musique. Par exemple comme symbole de liberté et d’émancipation. Aussi, par des œuvres politisées comme les chants patriotiques, les œuvres de Wagner prisées par Hitler dans les années 1930 et ce sont parfois les musiciens eux-mêmes qui sont politisés. Par le passé, tous les royaumes du monde se sont servis de la musique pour apaiser la cour ou pour faire passer leurs idées. Et de tout temps, dans la diplomatie culturelle, la musique est en première ligne.

Les régimes totalitaires ont souvent censuré des musiques et chansons, ainsi que toute forme d’art, qu’ils jugeaient subversives parce qu’elles éclairaient le peuple et gênaient l’instauration de leur politique. La musique leur fait peur car elle est plus forte qu’eux. Nombre d’artistes ont connu l’emprisonnement et certains ont payé de leur vie leur engagement pour une cause qu’ils croyaient juste, comme le poète et musicien Victor Jara lors du coup d’Etat du 11 septembre 1973 au Chili.

Est-ce un hasard si les gouvernements réactionnaires commencent souvent par fermer les lieux de diffusion musicale et à supprimer le soutien aux artistes ?

Pourtant, il est important pour la démocratie et la liberté individuell que la musique soit subversive et que des espaces culturels de réflexion et de création soient soutenus. Quelles que soient les croyances auxquelles elles se réfèrent, les religions se sont toutes approprié l’usage de la musique comme vecteur de messages et force fédératrice.

On la retrouve ainsi dans les rituels sous diverses formes psalmodies, cantiques, gospels, chant grégorien. Le pouvoir de la musique sur le corps et l’esprit est de nature à préparer les fidèles à entendre la parole porteuse de foi et de tradition. En revanche, on constate que la musique a souvent eu un rôle fédérateur, au-delà des croyances différentes, bien que certaines religions détestent la musique et vont jusqu’à la qualifier de satanique.

Par ailleurs, de nombreuses recherches scientifiques, notamment canadiennes, suisses, japonaises, européennes ou africaines, font un lien entre santé et musique. Ainsi, un apprentissage précoce et la pratique sérieuse d’un instrument pour un enfant amélioreraient d’autres apprentissages, tels que la mémoire, la capacité de concentration. Ces bénéfices acquis dans l’enfance retarderaient ensuite le vieillissement cérébral.

En France, des études du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) vont dans le même sens. Je citerai ici un extrait du journal de cette institution : « Grâce aux travaux des neurosciences, on sait aujourd’hui que l’exposition à la musique a des effets positifs sur la mémoire, notamment chez les personnes atteintes d’Alzheimer. Non seulement, elle leur redonne le goût de communiquer, de sourire et de chanter, mais aussi, elle parvient à réveiller la mémoire et les évènements qui y sont associés. De plus, en dépit de leur pathologie, ces personnes réussissent à apprendre des chansons nouvelles. La pratique musicale stimule les circuits neuronaux de la mémoire et suggère qu’elle permettrait de contrer efficacement les effets du vieillissement cérébral. »

D’autres études indiquent même que la musique serait un stimulant pour les plantes, augmenterait leur résistance au froid et les aiderait à lutter contre certaines maladies. Autant de bénéfices porteurs d’espoir pour les générations futures. En outre, les bienfaits de l’usage de la musique en matière de soins sont maintenant reconnus, que ce soit dans les hôpitaux auprès des malades en soins palliatifs, dans les hôpitaux psychiatriques ou dans les EHPAD (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Même dans les cas désespérés, la musique, en libérant les tensions, peut soulager et apporter un réconfort. Dans les pays développés, la musique est très présente dans le développement et l’éducation des enfants. Les parents, éducateurs et psychologues y accordent une grande importance. Il est en effet reconnu que l’écoute de la musique, y compris pendant la grossesse, favorise l’éveil de l’enfant et l’apaise. Nos mères et grands-mères devaient en avoir l’intuition, elles qui accompagnaient les gestes du massage des bébés de douceur et de comptines.

Les chercheurs militent pour que la musique soit enseignée dès le plus jeune âge et inscrite dans les programmes scolaires au même titre que les autres matières. C’est ainsi que, chaque fin d’année scolaire, les professeurs de musique organisent un spectacle où le travail musical des enfants est valorisé et présenté aux parents. Pour l’avoir vécu personnellement à l’école de mon fils, je peux témoigner de l’impact positif de telles initiatives. Souvent, une thématique est choisie et sert de fil conducteur pour l’année, tout en sensibilisant les enfants à une cause universelle, par exemple la souffrance de la planète Terre et le comportement de l’homme.

En tant qu’auteur-compositeur, j’ai moi-même été amené à préparer des galas de fin d’année avec des enseignants d’école primaire, et j’ai souvent été très ému de l’enthousiasme et de la très bonne prise de conscience des enfants face aux problèmes de société. Et une collaboration avec la cinémathèque de Tours m’a conduit à intervenir dans plusieurs collèges, lycées, universités de la région Centre-Val de Loire (France). J’ai également collaboré, l’été, avec un directeur de jeunesse et sport de Blois, à des actions dans les Centres de loisirs.

Je salue ces actions de sensibilisation des enfants et des jeunes à l’apprentissage des instruments qui peuvent, pour certains d’entre eux, déboucher sur un enseignement approfondi dans les écoles de musique ou les conservatoires. Car la musique est un compagnon de route de toute la vie. Hélas, certains pays n’ont pas la possibilité d’organiser un maillage culturel qui constituerait pourtant un atout pour l’éveil musical des enfants, puis une offre de continuité du processus artistique par la fréquentation de lieux de diffusion institutionnels, tels que les Maisons de la culture.

Que dis-tu de la représentation que l’on se fait communément des artistes et de la valorisation de leur travail ?

On entend souvent dire qu’être artiste n’est pas un métier. D’ailleurs, dans certaines sociétés, une femme qui présente son fiancé ou son compagnon à sa famille et à son entourage, si celui-ci est artiste, on la désapprouve, considérant qu’elle fait un mauvais choix. Car l’artiste est sous-estimé dans sa capacité à faire vivre dignement une famille.

Pourtant, créer, composer, c’est vraiment beaucoup de travail, de sérieux et ce n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut avoir une force de l’intérieur, plusieurs niveaux de « voyage » : intellectuel, spirituel, artistique, une part de réflexion profonde. Susciter la joie, l’amour, le romantisme, mais aussi la tristesse, la mélancolie, la colère ; transposer des textes poétiques supposent une grande sensibilité et une recherche des sons et de l’harmonie qui vont procurer des émotions.

Etre auteur-compositeur, c’est réécrire l’histoire, c’est prendre le risque de déranger en innovant et en explorant des champs artistiques inhabituels. Etre artiste, c’est aussi faire connaître sa culture et contribuer au développement économique de son pays. Si l’on prend l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, depuis les années 80, le djembé est devenu le symbole de la musique africaine, déclenchant un engouement favorable au tourisme, aux échanges culturels et au rapprochement des peuples.

Cette dynamique liée au djembé, outre l’intérêt de la découverte de la puissance musicale de l’instrument au-delà des frontières de l’Afrique, a apporté une véritable révolution économique en passant du contexte du spectacle vivant à l’industrie du disque mondial. Mais la crise politique en Afrique de l’Ouest a mis un terme à cette période d’échanges artistiques et culturels féconds. On peut dire que les percussionnistes africains ont fait connaître au monde la culture et l’art de l’Afrique. De grands maîtres de l’Afrique de l’Ouest en sont les représentants et jouissent d’une reconnaissance internationale.

Cependant, d’autres artistes ont peu bénéficié de cette dynamique dans les pays où, faute d’infrastructures et de dispositifs suffisants pour les soutenir, cela ne leur a pas permis de vivre de leur art. C’est pourquoi, nombre d’artistes africains ont dû rechercher, ailleurs, la valorisation et la reconnaissance de leur travail et de leur talent. Il faudrait que les africains soient fiers de notre culture, croient en elle, cessent d’être aliénés intellectuellement ou opportunistes, s’investissent dans la production, et que les acteurs économiques accompagnent les professionnels de l’art dans toutes ses dimensions.

« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasseurs glorifieront toujours le chasseur ». Même en Europe, des dispositifs de soutien et d’accompagnement des compositeurs dans une finalité de recherche font défaut. L’expérience passée du GMEB (Groupe de musique expérimentale de Bourges) est à citer en exemple d’investissement de l’Etat et des collectivités territoriales pour le soutien aux compositeurs en termes de recherche et d’organisation de rencontres internationales. Personnellement, j’ai pu vivre de mon art grâce à ceux qui y étaient sensibles et qui comprenaient l’importance de ma musique en Afrique d’abord, puis en Europe, toujours grâce au public.

Toutefois, certains pays comme le Nigéria, l’Ouganda, le Burundi, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Ghana, etc., habités par une forte culture populaire et identitaire, ont perçu les opportunités d’évolution de la musique en ne confondant pas Art et folklore et en mariant tradition et modernité. Par leur travail précurseur et de qualité, ils ont valorisé une dimension de la musique qui ne meurt pas parce qu’elle a de la consistance et qu’elle est porteuse d’humanité et d’espoir. Très peu de gens comprennent la dimension artistique énorme de ces génies qui ont su prendre des risques dans leurs compositions, innover, passer du classique au jazz, conjuguer technique et mélodies.

La musique est au centre de ma vie professionnelle mais aussi personnelle. Mes exigences et mon engagement sont le reflet de la relation passionnelle que j’entretiens, depuis toujours, avec elle. Au-delà de ma culture d’origine, je me sers des notes comme d’un langage pour me faire comprendre par la mélodie, car c’est un langage universel et intemporel qui chasse la haine et fait place au bonheur de vivre ensemble.

Contrairement à ce que pense la majorité des gens, ce mode d’expression exige beaucoup de rigueur et un souci constant de la recherche des sonorités musicales qui toucheront le plus large public possible. Je suis par ailleurs très attaché à la qualité des enregistrements et des prises de son. Pour les avoir fréquentés, je peux témoigner que les studios de grandes radios nationales comme Radio France ou la BBC disposent d’équipements de pointe et de meilleurs techniciens.

Les compositeurs qui sont dans une dynamique de créativité conjuguent les différentes techniques pour aller plus loin, dans un ailleurs non encore exploré. Ils souhaitent éveiller la curiosité et susciter l’envie d’écouter, non seulement la musique que l’on connaît, mais aussi celle vers laquelle nous ne serions jamais allés. Force est de constater qu’ils sont pénalisés par la réduction du nombre de lieux de diffusion. La question de la place faite aux compositeurs, aujourd’hui, se pose vraiment. Pourtant, on a besoin que la musique, toutes les musiques, reste vivante, se transmette mais aussi s’enrichisse par le partage de toutes les cultures et par l’innovation.

On a besoin de cette vitalité dans de nombreux domaines, de l’éducation à la santé sans négliger l’impact de la musique sur la communication et l’apaisement des tensions entre les humains. Un vieil adage ne prétend-il pas que « la musique adoucit les mœurs » ? En un mot, la musique aide les gens à vivre, à ne pas abandonner, à s’accrocher quand tout va mal, à retrouver le goût de la vie et surtout à avancer. La musique rend la vie belle, fait s’épanouir « la beauté de l’intérieur », invisible mais bien présente en chacun de nous. Et quand l’Homme se perd dans la trépidation de la vie moderne, c’est souvent la musique qui lui permet de se reconnecter aux vraies valeurs humaines.

Les artistes qui sont conscients de ces valeurs et du pouvoir de la musique font du bien à la société et tous les hommes et les femmes qui sont dans l’action, le développement, la recherche, savent que la musique a une place dans le cœur de tous.

La musique est le langage le plus universel que je connaisse, c’est le langage des émotions communes à toute l’humanité, qui fait passer de l’état de souffrance à celui de plaisir. A ce titre, l’accès à la musique et à l’art en général devrait faire partie des droits humains. Personnellement, j’ai transformé ma souffrance en bonheur grâce à la musique, et je remercie mon père et ma mère, Sékou et Yé Coulibaly, de m’avoir donné l’harmonie de la vie.

Le site officiel de Yé Lassina Coulibaly : www.yelassina.com

Une synthèse de SB
Lefaso.net

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
SNC/Bobo 2024 : Un bilan à chaud de la 21e édition