LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Rasmata Savadogo, un exemple d’intégration réussie en France

Publié le mardi 8 novembre 2005 à 00h00min

PARTAGER :                          

Rasmata Savadogo

Les violences urbaines actuelles dans les banlieues françaises reposent avec une acuité dramatique la question de l’intégration des populations immigrées. A côté des nombreuses tentatives infructueuses d’insertion socioprofessionnelle, des exemples de réussite, plutôt rares malheureusement, tracent des esquisses de solution. C’est le cas de Rasmata Savadogo, française d’origine burkinabè, responsable d’une structure d’insertion professionnelle dans la région parisienne.

Qui est Rasmata Savadogo ?

Je suis née à Abidjan en Côte d’Ivoire de parents originaires du Yatenga.

Depuis quand vivez-vous en France ?

Je vis en France depuis 15 ans.

Quel est votre parcours ?

Après une licence en Lettres à l’Université de Ouagadougou, je suis partie pour la France dans le but d’y poursuivre mes études. Après un diplôme en Lettres, je me suis orientée vers l’enseignement avant de retourner à nouveau à l’Université pour préparer un diplôme en psychosociologie et me former dans l’accompagnement des adultes en difficultés.

Quelles sont vos activités professionnelles ?

Après un DEA en Lettres, c’est tout naturellement vers l’enseignement que je me suis dirigée. J’avais toujours voulu enseigner. Au bout de 2 ans, j’avais envie de transmettre autrement. Au hasard d’une rencontre, j’ai découvert le métier de conseiller en insertion et formateur pour adultes qui correspondait mieux à mes attentes personnelles et professionnelles. Pour cela, il m’a semblé nécessaire d’acquérir d’autres qualifications et compétences pour atteindre mon objectif.

Après ma formation en psychosociologie et en formation d’adultes, j’ai n’ai pas eu beaucoup de difficultés à trouver un emploi de conseillère formatrice.

Ensuite, une bonne connaissance des publics en insertion, une maîtrise des outils et une aisance relationnelle avec les partenaires et financeurs m’ont permis de devenir coordinatrice, responsable pédagogique et ensuite responsable d’antenne d’une boutique de l’emploi au bout de deux ans.

J’interviens également ponctuellement dans un établissement qui forme des conseillers en économie sociale et familiale (Bac+3). Avec ces étudiants, mon histoire de vie et ma pratique quotidienne leur permet de sortir du cadre technique et pédagogique pour porter un regard sur eux-mêmes, sur leurs propres valeurs et de réfléchir à l’implication inhérente au travail social.

Quels souvenirs gardez-vous de votre vie d’enseignante ?

J’ai eu de bons moments et bien sûr aussi des frustrations.
Je me retrouvais quelques fois 20 ans en arrière avec certains collègues ou élèves qui me rappelaient mes propres enseignants et camarades de classe.
Il y a des situations et des élèves qui m’ont marquée. Au départ, j’étais surprise par les écarts du niveau de connaissance qu’il pouvait y avoir entre des élèves d’une même classe. Après on s’y fait.

Pour l’immigrée que je suis, je pense que j’avais à l’époque des préjugés sur le niveau en Français des jeunes Français qui ne pouvait qu’être bon.
Le système éducatif est très conservateur et ne fait pas de place à ceux qui ne suivent pas le rythme.

On ne peut pas faire plus que ce qui est prévu. Le système ne laissait pas de place aux initiatives. Pour finir, on essaie de boucler le programme de l’année. Je ressentais de la frustration par rapport à certains élèves pour lesquels une prise en charge différente aurait permis de résoudre leurs difficultés.

D’un point de vue personnel, je crois que j’ai acquis une patience et j’ai gardé une certaine rigueur dans ma démarche pédagogique. D’ailleurs, les plus jeunes de mes stagiaires me demandent souvent pourquoi je ne suis pas professeur.

C’est quoi une boutique de l’emploi ?

C’est une association privée de loi 1901 dont le concept importé du Canada a été adapté aux réalités du marché du travail français. Elle utilise une méthode de recherche d’emploi dynamique et active essentiellement tournée vers le marché caché. Elle fait une part importante à l’image de soi, la subtilité de la recherche d’emploi et la culture d’entreprise. Et elle met à disposition des participants des moyens de communication comme le téléphone, le fax, un espace multimédia, la presse spécialisée.

La boutique de l’emploi est spécialisée dans l’insertion professionnelle mais utilise son réseau de partenaires pour les autres problématiques sans lien direct avec la recherche d’emploi. Nous construisons nos outils pédagogiques avec un cahier des charges en accord avec les attentes du financeur. C’est un travail profondément humain comme toute pratique de l’altérité. Il ne requiert pas uniquement d’avoir un cahier des charges et un mode opératoire. Il y a une implication personnelle qui ne s’apprend pas en formation. On apprend autant qu’on apprend. Nous rencontrons des adultes avec un vécu, une histoire de vie qui pour ma part m’a appris à être humble.

Les personnes que nous rencontrons cumulent souvent des problématiques qui sont des freins à une insertion professionnelle durable. On ne peut pas traiter la question de l’emploi sans tenir compte des difficultés annexes.
Notre objectif est de rendre les personnes autonomes et non de les assister.

Quelles différences avec les structures traditionnelles en la matière comme l’ANPE ?

L’adhésion aux actions de la Boutique est volontaire même si certaines personnes sont orientées par les travailleurs sociaux. Les participants ne perçoivent aucune rémunération. La Boutique n’a pas pour vocation de gérer des offres d’emploi. Elle propose un accompagnement individualisé et collectif par l’animation d’ateliers sur le comportement, les techniques de recherche d’emploi, la connaissance de l’entreprise et la stabilisation dans l’emploi.

Nous traitons la demande de la personne individuellement et assurons le suivi jusqu’à la stabilisation dans l’emploi si elle le souhaite.
Nous sommes prestataire de l’ANPE pour des actions spécifiques qu’elle finance.

A quel public s’adresse une boutique de l’emploi ?

Un Boutique Emploi s’adresse normalement à toute personne concernée par la question du chômage. Elle reçoit bien sûr des demandeurs d’emplois, mais également des salariées en quête de reconversion professionnelle, des étudiants à la recherche d’un stage ou d’un emploi. Nous avons des personnes de bas niveau de qualification voire sans qualification, tout comme des diplômés de niveau 1 c’est-à-dire Maîtrise, Mastère, DESS, DEA, doctorat.

Cependant, étant donné que nous travaillons avec des financeurs publics, nous ne pouvons pas proposer un accompagnement à tous ceux qui nous sollicitent.

Quels sont les problèmes spécifiques que les immigrés rencontrent dans la recherche d’emploi ?

Il m’est difficile de généraliser les problèmes rencontrés par les immigrés car les parcours, les valeurs et les personnalités sont diverses et influencent fortement la situation de ces personnes et la façon de les affronter.

Cependant chez certains d’entre eux ayant un faible de niveau de qualification, on note une grande difficulté à adopter les techniques de recherche d’emploi et le comportement propres à la culture française.
Pour certains par exemple, parler de soi est pénible, envoyer un curriculum vitae et se prêter à l’exercice incontournable de l’entretien d’embauche est une mascarade. Ils pensent que le seul moyen de juger de leurs compétences est de les mettre en emploi.

D’autre part, tout en les comprenant, je m’insurge toujours contre ceux qui se posent à priori comme victimes d’un système car je pense que cet état d’esprit empêche certains d’aller au bout de leurs objectifs et de trouver facilement une cause à leurs échecs.

Cependant, aujourd’hui tout le monde admet que les personnes immigrées, surtout les jeunes, rencontrent réellement un problème pour se faire accepter dans un pays qui est le leur. Notre public est en majorité d’origine étrangère et les diplômés que nous recevons sont dans 99% des cas issus de l’immigration.

Aujourd’hui, ces personnes ont des formations universitaires et aspirent à des emplois à la hauteur de leurs qualifications. Même si des lois existent pour garantir l’égalité entre les citoyens, dans les faits et les mentalités, le chemin est encore long.

Rencontrez-vous, vous-même des problèmes particuliers avec les chercheurs d’emploi ?

On a quelques fois des cas de violence. Des personnes désemparées qui ne trouvent pas le bon interlocuteur s’en prennent parfois à nous.
Personnellement, j’ai déjà été confrontée à des cas de racisme du fait de mon origine. Plusieurs personnes dans le besoin ont déjà refusé l’accompagnement que je leur proposais. Ca ne me touche plus autant car c’est eux qui ont besoin de moi. Il va falloir composer avec moi ou aller voir ailleurs.

Votre origine africaine est-il un atout ou un handicap ?

Je pense que mon origine est un atout dans ma vie professionnelle.
Les personnes que je reçois se sentent plus rassurées et se livrent sans tabou car elles pensent que je comprends mieux leur situation.
Il y a un phénomène d’identification qui est certain.
Pour ma part, j’essaie d’avoir du recul par rapport à certains cas qui font résonance avec mon propre vécu.

D’un point de vue pédagogique, je sais détecter et travailler sur des points qui échappent souvent à mes collègues. Je suis plus sensible à la communication interculturelle. Auprès des élus et des partenaires, je suis reconnue dans ma profession et j’ai une crédibilité que j’attribue à mon origine en partie.

Rencontrez-vous des Burkinabè dans le cadre de votre travail ?

J’en ai rencontrés peu. Cette année j’en ai rencontré huit en recherche d’emploi. Par contre dans mon cercle familial et relationnel, il m’arrive de recevoir chez moi des compatriotes et des africains de manière générale pour les aider dans leurs démarches.

Quels sont vos rapports avec le Burkina aujourd’hui ?

Mes parents vivent au Burkina Faso et j’y retourne dès que je peux. Pas aussi souvent que je l’aurai souhaité. Je me tiens informée de l’actualité du pays par le biais de votre site, Lefaso.net.

Avez-vous une idée de la situation de la question de l’emploi au Burkina ?

Sans être experte, la situation difficile de l’emploi se donne à voir.
Tous les Burkinabè connaissent ces jeunes et moins jeunes qui attendent à tous les coins de rue et dans les endroits fréquentés l’occasion d’offrir leurs services. Cela va du petit vendeur d’objets de toutes sortes au gardien de véhicule improvisé pour ne citer que ceux-ci.
Ces personnes ont-elles le choix ? Je sais qu’il y a des initiatives privées et public dans ce domaine mais elles restent insuffisantes.
Il y a aussi une réalité à prendre en compte, Le Burkina Faso n’est pas un Etat providence.

En juillet 2005, lors de mon dernier séjour au Burkina, j’ai rencontré des associations qui oeuvrent pour l’insertion économique des enfants de la rue et des femmes. Je voulais m’imprégner de leurs réalités.
Elles avaient toutes la même question : « Comment obtenir des aides de la France ».

Le concept de boutique de l’emploi peut-il être exploité au Burkina ?

Je pense qu’il peut être exploiter en l’adaptant aux réalités du monde du travail au Burkina.

Envisagez-vous vous investir dans un projet au Burkina un jour ?

Je mène ponctuellement avec un groupe d’amis français des actions d’aide au Burkina-Faso. Actuellement, avec des amis africains expatriés en Europe et aux Etats-Unis nous réfléchissons sur des actions plus dynamiques.
Personnellement, je pense avoir acquis assez d’expérience pour pouvoir un jour transférer mes compétences dans le domaine de l’insertion au Burkina Faso.

Interview réalisée par Cyriaque Paré
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 8 novembre 2005 à 14:26, par Pierre YONLI En réponse à : > Rasmata Savadogo, un exemple d’intégration réussie en France

    Tout en vous souhaitant un joyeux anniversaire, je vous fait remarquer en passant que vous faites du beau travail. Par rapport à l’interview sur Ramata Savadogo, un bel exemple d’intégration, il aurait été intéressant à moins que ce soit elle qui aurait dit non, de mettre son contact puisque l’interview vise aussi en partie à aider des gens qui pourraient être intéressés de la contacter pour s’enrichir de son expérience.
    Je vous demande donc de me communiquer ses coordonnées si vous les avez bien entendu. En journaliste averti, je ne doute pas que vous avez classé soigneusement sa carte de visite parmi les inombrables cartes dont vous disposez. Ce qui est très bien car je ne vous apprend rien en vous disant qu’un journaliste c’’est aussi son carnet d’adresse !
    Bien à vous

    • Le 9 novembre 2005 à 15:36, par Lefaso.net En réponse à : > Rasmata Savadogo, un exemple d’intégration réussie en France

      Le contact de Mme Savadogo est : matadogo@yahoo.fr

      • Le 23 août 2007 à 09:40, par MAIGA Dj Faso En réponse à : > Rasmata Savadogo, un exemple d’intégration réussie en France

        Je suis Mariam née à Banfora, présidente une association de loi, 1901, en France

        Notre association ce nomme War-Mix, à pour but de mettre des rencontré artistiques et culturelles autour de la musiqe.

        Nous souhaitons une aide de votre part, afin de crée un centre socioculturelle à Banfora au Burkina-Faso.

        Dans le cadre de notre projet, serait’il possible de nous mettre en contacte avec d’autres
        associations Burkinabè en france ?

        Mercid’avance Melle MAIGA Mariam

        Adresse

        Mademoiselle MAIGA Mariam
        L’association War-Mix
        ESPACE DU PUY DU ROY
        5, rue Charles FAROUX Appartement 7
        60200 Compiègne

  • Le 22 novembre 2005 à 08:04 En réponse à : > Rasmata Savadogo, un exemple d’intégration réussie en France

    Bonjour Cyriaque,

    Ce type d’interview est très intéressant. A renouveler.
    Je pense que des interviews de Burkinabès vivant en France, dont l’intégration est réussie ou non, pourraient contribuer à rendre plus juste l’image de la France au quotidien qu’ont les burkinabès vivant au Burkina.

    Sans compter effectivement l’intérêt que peuvent porter certaines expériences individuelles telles que celle de Rasmata Sawadogo.

    Mes amitiés,

    Jean-Philippe Tollet

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique