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Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (2e partie)

Publié le jeudi 22 avril 2021 à 09h53min

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Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (2e partie)

2 décembre 1990. Un an après que Hissène Habré ait fait confirmer par référendum son maintien au pouvoir pour sept ans encore, celui qui avait gouverné d’une main de fer la République du Tchad depuis 1982 devait s’enfuir et céder N’Djamena et le pouvoir à son ex-protégé, Idriss Déby (cf. 1ère partie). Nous étions au lendemain de la chute du mur de Berlin. Partout, en Afrique, les populations refusaient le parti unique et réclamaient l’instauration de démocraties pluralistes.

Dès son entrée dans la capitale, Déby soutiendra cette évolution, histoire d’être dans l’air du temps. Cependant, sa première décision sera de réorganiser l’armée qui deviendra l’Armée nationale tchadienne (ANT) dont il sera le chef. Une gendarmerie sera mise en place afin de remplacer la police militaire instaurée par Habré. La Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), qui semait la terreur et la mort dans tout le pays, sera dissoute. Un service militaire obligatoire de dix-huit mois sera décrété. Le militaire, une fois encore, l’emportait sur le politique !

Il faudra attendre le 1er mars 1991 pour qu’une Charte nationale soit adoptée. Elle avait pour objectif de régir la vie politique pendant une période de transition de trente mois, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution. Idriss Déby devenait, de par la Charte, président de la République du Tchad. Enfin, le 4 octobre 1991, il signera une ordonnance fixant les modalités et les conditions de création des partis politiques.

Une « transition démocratique » de trente mois qui durera plus du double !

Les années 1991 (tentative de coup d’Etat du 13 octobre) et 1992 (affrontement dans la région du lac Tchad et tentative de coup de force à N’Djamena) seront marquées par la résurgence des mouvements insurrectionnels armés qui obligeront le chef de l’Etat à prendre des mesures drastiques. Le 15 janvier 1993, cependant, la Conférence nationale souveraine pourra démarrer ses travaux avec quelques mois de retard sur le programme initial. Le 4 avril 1993, elle adoptera la Charte de transition. Le colonel Idriss Déby était maintenu dans ses fonctions de chef de l’Etat ; il était le chef suprême des armées et de l’administration. Un Premier ministre, chef du gouvernement, disposait de l’armée et de l’administration, exécutait le programme du gouvernement et était responsable devant un Conseil supérieur de la transition (CST) qui comprenait 57 membres (A noter que Mahamat Idriss Déby, qui vient de prendre le pouvoir à N’Djamena, annonce une transition de dix-huit mois dirigée par un Conseil militaire de transition).

Cependant, au cours du mois d’août 1993, de nouveaux affrontements auront lieu dans la capitale. Le 3 avril 1994, le CST décidera de prolonger la « transition démocratique » d’au moins un an. Le 25 janvier 1995, il remettra au président Idriss Déby le projet de nouvelle constitution qui devait être soumis à référendum. Le 30 mars 1995, le CST décidera une nouvelle prorogation de la transition d’un an, jusqu’en avril 1996. La Constitution sera adoptée le 31 mars 1995 par 61 % des électeurs. C’est le 3 juillet 1996 que Déby sera élu au deuxième tour de la présidentielle (il y avait quinze candidats au premiers tour) avec 69,09 % des voix contre 30,91 % pour son adversaire, le général Abdelkader Wadal Kamougue. Prêtant serment le 8 août 1996, en présence de sept chefs d’Etat et de gouvernement africains, Déby prônera « l’unité et le développement ».

Quand la politique fait défaut, reste la géopolitique

Ni l’unité, ni le développement ne seront au rendez-vous de ce premier mandat électoral. Au Tchad, le pouvoir se conquiert par les armes. Le premier à s’y essayer sera un Toubou, Youssef Togoïmi, ancien ministre de Idriss Déby et fondateur du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT). La rébellion s’accompagnera de défections dans le camp présidentiel. On évoquera, déjà, la fin du régime Déby alors que le Tchad se préparait à devenir un pays producteur de pétrole et que Hissène Habré, réfugié au Sénégal, était rattrapé par les ONG et autres institutions de défense des droits de l’homme et se retrouvait dans le collimateur de la justice. C’est donc dans un contexte national et international troublé que Déby va être réélu à la présidence de la République pour un deuxième mandat de cinq ans le 20 mai 2001.

Illusion démocratique que cette élection présidentielle pluraliste qui ne changera pas, fondamentalement, la donne sur le terrain (un coup d’Etat sera fomenté le 16 mai 2004 par l’entourage immédiat du chef de l’Etat). La mise en exploitation du pétrole laissait espérer des lendemains qui chantent tandis que le matraquage médiatique sur les crimes de Habré laissait dans l’ombre les exactions imputables au régime en place. Le 6 juin 2005, un référendum amendera la Constitution permettant à Déby de briguer un troisième mandat. Le temps, affirmaient certains commentateurs, d’imposer son fils, Brahim, dit « le petit président », à la tête de l’Etat (Mais Brahim Déby, fêtard invétéré, sera assassiné en France, dans un parking de son immeuble à Courbevoie, le 2 juillet 2007).

Après quinze années de régime Déby, le Tchad verra s’effondrer ses espérances fondées sur la valorisation des ressources pétrolières, l’instauration de la démocratie et de la paix. Alors que les bailleurs de fonds s’interrogeaient sur la gestion des recettes liées aux hydrocarbures, les partenaires diplomatiques se posaient des questions quant à la pérennité d’un régime qui paraissait désormais être en permanence sur le point de s’effondrer : pression accrue des mouvements rebelles ; mise en cause de la gestion pétrolière par les bailleurs de fonds ; désengagement militaire de la France ; violentes tensions aux frontières, tout particulièrement à l’Est (province soudanaise du Darfour). Déby était conscient de la situation. Mais feignait de penser que ses difficultés avaient des causes externes et non pas internes.

Rente pétrolière et guerre du Darfour

Diplômé de l’Ecole supérieure de guerre inter-armes et formaté par Hissène Habré, Idriss Déby n’était pas un « bleu » en matière géopolitique. Il savait jouer des forces et des intérêts en présence au Tchad : les forces militaires étaient françaises face aux intérêts pétroliers qui ne l’étaient pas (les compagnies qui exploitaient initialement le pétrole tchadien étaient américaines et malaisienne ; quand le français Elf – avant sa reprise par Total – s’est retiré du projet de Doba en 1999, les commerces français à N’Djamena ont été pillés et le drapeau tricolore brûlé).

En 2005, Déby expliquera (Le Figaro du 12 octobre) que la situation sociale difficile que connaissait son pays était liée au fait qu’il était devenu… producteur de pétrole. « Le pays n’a pas de ressources suffisantes pour son fonctionnement. Nos finances servent aux salaires et au service de la dette. Avant, des aides extérieures nous servaient à faire l’appoint. Mais depuis deux ans, nous ne recevons plus rien car nous produisons du pétrole. Les populations qui, en dépit du pétrole, ne voient pas la pauvreté reculer, ne comprennent pas. Elles ont raison ». La faute incombait donc aux institutions internationales qui fixaient la règle du jeu : « On nous impose de n’utiliser cette rente [pétrolière] que dans des investissements physiques dans les domaines de la santé, de l’éducation, du développement rural ». Mais également aux compagnies pétrolières : « Le partage de la richesse pétrolière a été convenu en 1988 par mes prédécesseurs. Le Tchad n’y gagne que des miettes ».

Autre cause externe aux difficultés du Tchad : la guerre du Darfour. « Nous avons été les premiers, disait Déby, avant que la communauté internationale et l’Union africaine ne se réveillent, à nous inquiéter de cette guerre. Nous l’avons longtemps gérée seul avec l’aide la France. C’est un sujet très sensible pour nous. En plus des morts, les populations locales tchadiennes doivent supporter 250.000 réfugiés qui font peser un vrai risque alimentaire et environnemental dans la région ».
Géopoliticien et diplomate, Déby était alors étonnamment conciliant vis-à-vis de la présence militaire française dans son pays. « [Le dispositif Epervier] est arrivé à la demande du Tchad pour défendre les frontières héritées de la colonisation. Je n’ai jamais remis en cause cette présence […] Je ne vois pas la force militaire française comme une force d’occupation […] Si nous n’avons pas demandé le départ des soldats français, c’est que nous en avons toujours besoin ». Il faut reconnaître que le dispositif des Eléments français du Tchad (EFT) était alors impressionnant : 1.050 hommes soit : un bataillon + un escadron blindé + une batterie d’artillerie + une antenne chirurgicale au camp Kosseï de N’Djamena et à Abéché (capitale du Ouaddaï à 150 km à l’Ouest de Adré, sur la route de N’Djamena), tandis que le dispositif aérien se composait de cinq C-160 Transall, cinq Mirage F-1CR et trois Puma. Une des missions des EFT était « la stabilité du pays et de sa sous-région, à la demande des autorités tchadiennes, l’endiguement du terrorisme et des trafics de toute nature ». Vaste programme !

En 2005, la situation qui prévalait dans la région n’était pas celle que l’on connaît aujourd’hui. Pour Paris et N’Djamena, il s’agissait de contrer les ambitions territoriales au Sud du Sahara de Mouammar Kadhafi (qui, dans le même temps, renouait avec Washington) et d’assister les équipes humanitaires engagées au Darfour, la province soudanaise engagée dans la lutte contre le pouvoir de Khartoum (après que la guerre dans le Sud-Soudan ait connu son épilogue avec la mort brutale de son leader John Garang). Sauf que les propres rébellions tchadiennes se nourrissaient tout autant à Tripoli qu’à Khartoum faute de pouvoir mettre la main sur les réserves existantes à N’Djamena.

Les armes contre les urnes

Le 13 avril 2006, à la veille de sa réélection pour un troisième mandat présidentiel, Idriss Déby subira une offensive d’ampleur menée par une rébellion tchadienne multiforme alors que, depuis plusieurs mois, il ne cessait de marteler que le Tchad était victime d’une politique de déstabilisation de son voisin soudanais. Les jours de Déby paraissaient comptés. N’Djamena, cependant, se disait prêt à faire face à l’attaque rebelle avec, disait-on alors, le soutien du JEM, le Mouvement pour la justice et la liberté qui avait refusé, au Darfour, de signer les accords de paix. Son principal leader était Khalil Ibrahim, demi-frère de Daoussa Déby (même mère) lui-même demi-frère de Idriss Déby (même père). Paris s’engagera aux côtés de Déby. Non pas parce qu’il fallait « sauver le soldat Déby » mais parce que la seule alternative alors à Déby était l’affrontement armé qui pouvait déboucher sur une « islamisation » de la République tchadienne. Roland Marchal, connaisseur de la région, posait déjà la bonne question : « Imagine-t-on un autocrate disposé à laisser émerger une alternative ? ». Et c’était cela le problème !

En 2006, le Tchad n’était plus dans la configuration de 1975 (Malloum contre Tombalbaye), de 1979 (Weddeye contre Malloum), de 1982 (Habré contre Weddeye) ou de 1990 (Déby contre Habré). Face à Déby, les oppositions étaient multiples et différenciées. Il y avait des oppositions anciennes (pour ne pas dire ancestrale à l’égard des zaghawa, le clan au pouvoir), des oppositions plus récentes (celle des frères Erdimi, ex-nomenklaturistes zaghawa, anciens patrons du pétrole pour l’un, du coton pour l’autre) et des oppositions opportunistes. La seule porte de sortie semblait être alors la négociation d’une transition afin d’empêcher le pire. Avec en rappel le sort réservé à Hissène Habré, seize ans auparavant : une fuite éperdue ; l’exil au Cameroun puis au Sénégal ; un mandat d’arrêt international ; une arrestation ; un procès pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture.

Il n’y aura pas besoin de transition. Contre toute attente, Déby va garder la main. Le 3 mai 2006, il sera réélu dès le premier tour de la présidentielle avec près de 65 % des suffrages exprimés, l’opposition ayant boycotté le scrutin.

(à suivre)

Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
21 avril 2021

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Vos commentaires

  • Le 22 avril 2021 à 11:07, par caca En réponse à : Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (2è partie)

    De toute façon les démons au Sahel résistent à la puissance de l’évangile de Jésus de Nazareth ; Toujours c’est soit au Burkina, le Niger, le Mali ou le Tchad que les démons résistent à la démocratie. Trop de communautarisme dans ces pays et chaque citoyen veut être chef. Les puissances occidentales auront de quoi pour piler nos richesses. Avec l’effondrement du royaume du Tchad et la puissance des terroriste au Sahel certains chefs d’état traitres ne dorment plus.
    A chaque pays son apocalypse 13.

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