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Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

Publié le mercredi 21 avril 2021 à 23h21min

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Idriss Déby :  Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

Vainqueur de la présidentielle du 11 avril 2021 avec près de 80 % des voix, le président Idriss Déby Itno est mort ce mardi 20 avril 2021 ; officiellement, des suites des blessures subies lors de l’offensive menée contre les colonnes du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Des rebelles qui, une fois de plus, s’efforcent de conquérir N’Djamena et n’ont pas desserré leur étreinte. C’est Mahamat Idriss Déby, un des fils, chef de la Garde présidentielle, qui – bien que son unité d’élite ait failli dans sa mission de protection du chef de l’Etat – s’est emparé aussitôt du pouvoir. Mais pour combien de temps ?

C’est un phénomène récurrent au Tchad : la gestion des affaires politiques étant depuis près d’un demi-siècle (le président François Tombalbaye a été assassiné le 13 avril 1975) aux mains des « guerriers », c’est par la voie des armes que le pouvoir se fait et se défait. Il ne faut donc pas s’étonner que la meilleure analyse de la situation tchadienne se trouve dans l’Apocalypse chapitre 13, verset 10 : « Si quelqu’un tue par l’épée, il doit être tué par l’épée ». Reste qu’une fois encore le problème de la succession politique au Tchad se règle entre « guerriers » ; au risque de déstabiliser la région ouest-africaine au sein de laquelle les unités tchadiennes jouent un rôle essentiel, de la Bande sahélo-saharienne (AQMI et autres mouvements « terroristes ») au Tibesti (Libye) en passant par le lac Tchad (Boko Haram).

Pour Idriss Déby, tout aura commencé le 13 avril 1975. L’assassinat de François Tombalbaye, un Sara président du Tchad depuis 1962, avait permis au général Félix Malloum de prendre le pouvoir à la tête du Conseil supérieur militaire (CSM). La carte politique tchadienne, qui n’est jamais simple, devenait alors des plus complexes. Les alliances portaient en leur sein des mésalliances qui s’achevaient vite en rupture puis en ralliements avant de nouvelles ruptures. Ainsi, Hissène Habré, éphémère Premier ministre du CSM, retournera au maquis après avoir épuisé les joies de l’action gouvernementale.

En avril 1978, pour mettre fin à la rébellion, la France interviendra une deuxième fois au Tchad (la première fois, de 1969 à 1972, c’était à la demande de Tombalbaye) en soutien à Malloum. Vaine intervention. Le général s’enfuira au Nigeria en mars 1979.

1982. Déby « héros national » après avoir conquis N’Djamena

Un gouvernement dit « d’union nationale », le GUNT, sera formé : Goukouni Weddeye en sera le président et Hissène Habré le ministre de la Défense nationale. Mais quand Habré rejoindra une fois encore le camp de la rébellion, seule forme d’expression de l’opposition, Weddeye devra faire appel aux Libyens pour sauver son régime. Les Libyens entreront à N’Djamena et l’occuperont. C’est dans ce contexte que Idriss Déby va apparaître sur la scène tchadienne. Nous sommes en décembre 1980. Nommé par Habré au poste de chef d’état-major des FAN, les Forces armées du Nord, il va être chargé d’organiser le repli des groupes armés rebelles vers l’Est. Leur situation était devenue intenable à N’Djamena. La rébellion se réorganisera tandis que, dans la capitale, Weddeye se fâchera avec ses sponsors libyens qui avaient décidé, purement et simplement, de fusionner leur pays avec le Tchad.

En 1982, Déby va succéder au poste de « comchef » à Gouara Lassou (auquel Paris pensera, en 1988, pour prendre le pouvoir à N’Djamena afin d’évincer, tout à la fois, Habré et Weddeye), dont il était l’adjoint. Le 7 juin 1982, à la tête des FAN, il entrera dans N’Djamena (dont les troupes libyennes se sont retirées fin 1981), après cinq mois de combat dans l’Est du pays. Il battra ainsi les FAP de Weddeye et le CDR de Ahmat Acyl. Il deviendra du même coup un héros national. En tant que « comchef », il sera chargé d’organiser la transformation des FAN – armée rebelle – en Forces armées nationales tchadiennes (FANT). Il y avait urgence.

Weddeye, réfugié au Tibesti, avait renoué le contact avec les Libyens. En juin 1983, il passera à l’offensive. Habré sera en difficulté. Il appellera Paris à la rescousse. François Mitterrand déclenchera alors l’opération « Manta ». Le 6 septembre 1983, Déby et ses cent cinquante hommes seront très violemment accrochés à Oueddi-Fama, dans la région de Oum-Chalouba, par des forces de Weddeye dont les effectifs se montaient à sept cents hommes environ. L’état-major français, tenu au courant, envisagera une intervention des avions Jaguar pour dégager les FANT. Mais, finalement, le « comchef », à la tête de ses quarante Toyota, prendra le dessus et enfermera son adversaire comme dans une nasse. Près de la moitié des effectifs engagés par Weddeye vont mourir à Oum-Chalouba.

Déby, enfant chéri des militaires français

A la fin du mois de septembre 1983, le général Jean Poli, premier commandant des éléments français « Manta » (il avait pris ses fonctions le 22 août 1983), rencontrera le jeune chef de guerre tchadien pour la première fois. La rencontre aura lieu à Biltine. Les militaires français découvraient ainsi le « fabuleux guerrier » comme ils l’appellaient alors (les notes de l’état-major français orthographient Déby, à cette époque, de façon erronée : Debbi). François Hauter, grand reporter au quotidien Le Figaro, décrira la scène : « A vingt huit ans, Idriss Debbi a une démarche, une fierté, de seigneur. Le visage caché par son turban blanc, des lunettes Ray Ban relevées sur le front, il est suivi et protégé par deux jeunes combattants d’ethnie Gorane, agrippés à leurs Kalachnikov. Il a toute la superbe, la nonchalance et la réserve de ces guerriers nomades du Nord-Tchad qui s’enivrent de leurs combats depuis des siècles ». Poli se dira stupéfait par les méthodes de combat de Déby. C’est lui qui va parler, le premier, de « rezzou TGV ». L’image va rester et s’imposer.

La bataille de Oum Chalouda obligera les troupes de Weddeye à se replier sur Fada, dans l’Ennedi, beaucoup plus au Nord. Mais, déjà, l’avenir politique du Tchad se jouait sur un autre terrain. Celui de la diplomatie secrète. Mitterrand et Roland Dumas allaient négocier avec le chef de l’Etat libyen un partage des rôles et des espaces. Le dispositif « Manta » sera démonté fin 1984. Rien, cependant, n’était fondamentalement réglé pour autant. Déby poursuivra ses combats dans le Nord. Il y perdra deux de ses frères. A N’Djamena, pendant ce temps-là, les politiciens feront de la politique. Et faire de la politique au Tchad, c’est aussi rallier les opposants au régime et mettre au vert (même si le vert ressemble trop souvent à un trou noir !) ceux qui pourraient avoir un peu trop d’ambitions.

Commandant en chef de l’armée, membre du Conseil de commandement des FANT, Déby va être promu au grade de colonel avant d’être envoyé à Paris, mi-1986, pour y suivre les cours de l’Ecole supérieure de guerre inter-armes. Un placard capitonné. Il restera deux longues années à Paris. L’occasion de multiplier les contacts avec les responsables militaires français qui accordaient toujours beaucoup d’intérêt au Tchad : c’était le meilleur terrain d’entraînement de l’armée française. En vraie grandeur !

1988. Déby, homme politique et diplomate

En 1988, Idriss Déby sera de retour à N’Djamena. Il sera nommé conseiller à la présidence de la République avec la charge des affaires de défense et de sécurité. Il sera, dans le même temps, affecté comme commissaire aux armées puis à la sécurité au sein du bureau exécutif du comité centrale de l’Union nationale pour l’indépendance et la révolution (UNIR). Il jouera alors, dira-t-on, un rôle essentiel dans la reprise des contacts avec les Libyens, à Paris et à Tripoli, permettant le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays.

Dans le même temps, Hissène Habré sera parvenu à expulser les troupes libyennes du Nord du Tchad. Mais il faudra attendre la rencontre Habré-Kadhafi de Bamako (sous les auspices du président gabonais Omar Bongo, en présence des présidents malien, Moussa Traoré, et algérien, Chadli Bendjedid), en juillet 1989, pour que les deux chefs amorcent un dégel effectif des relations entre les deux pays.

Les relations entre le chef de l’Etat et son ex-« comchef » seront, quant à elles, de plus en plus difficiles. Déby prendra conscience d’un certain nombre de réalités du régime institué par Habré. En 1988, Ibrahim Mahamat Itno était ministre de l’Intérieur ; il contrôlait la sécurité intérieure. Habré le soupçonnera de vouloir organiser un coup d’Etat avec le concours d’Adoum Togoï, considéré alors comme le favori de Tripoli, et Siddick Fadoul, un « rallié » de 1987, ex-responsables des FAP de Weddeye. En 1989, Fadoul sera arrêté chez son beau-fère, Hassan Djamouss. Djamouss était alors le « comchef ». C’est lui qui avait dirigé les FANT, en 1987, lors des premières victoires qui auront permis la reconquête du Nord du Tchad occupé par les Libyens. Il avait à son actif la victoire du 22 mars 1987 contre la base aérienne libyenne de Ouadi-Doum ; il sera blessé pendant l’assaut. Fada, Faya Largeau, Aouzou, Maatenes Sara, etc. appartiendront désormais à sa légende. Il avait 35 ans ; il bénéficiait d’un grand prestige dans l’armée.

Le 1er avril 1989, convaincus que la rupture avec Habré était consommé et qu’elle allait aboutir rapidement à leur liquidation (on évoquait un « plan numéro 3 » qui aurait visé leur élimination physique), Déby, Djamouss, Itno et quelques compagnons s’échapperont de N’Djamena. Direction l’Est du Tchad avec une dizaine de véhicules et une soixantaine d’hommes. Ils éviteront la route principale qui passe par Ati et Abéché. Ils prendront une piste plus au sud, moins directe. Poursuivis par les unités des FANT, venues de N’Djamena mais également du BET, ils seront accrochés à Mongo, tout d’abord, dans la province du Guéra, puis un peu plus vers l’Est, à Mangalmé. Juste avant de passer la frontière avec le Soudan, un nouvel accrochage aura lieu à Adré. Les derniers combats se dérouleront le 11 avril 1989 dans la province soudanaise du Darfour. Itno avait déjà été capturé. Djamouss, touché à la tête, sera capturé et assassiné à N’Djamena. Le sort de Déby sera longtemps incertain. On le dira blessé ; même tué.

1990. Déby s’installe au pouvoir

Ayant échappé aux FANT, Déby s’installera à Khartoum. Et regroupera un millier de combattants dans le Darfour. Pour mener son offensive contre N’Djamena, il constituera L’Action du 1er avril qui, renforcée d’autres organisations politiques opposées au régime de Habré, constituera, un an plus tard, en mars 1990, le Mouvement patriotique du salut (MPS). En octobre 1989, il mènera sa première offensive. Qui se soldera par un échec. Le 25 mars 1990, les troupes de Déby lanceront une deuxième attaque à la frontière soudano-tchadienne. Les combats vont durer plusieurs semaines. Mais une fois encore les forces du MPS vont devoir se replier. Deby ne se découragera pas. Le 10 novembre 1990 – alors que le monde entier a les yeux rivés sur le Koweït qui a été envahi par l’Irak – le jeune chef de guerre lancera une nouvelle offensive sur Tiné (là où il avait suivi les cours de l’école coranique), à la frontière soudano-tchadienne, à environ 1.000 km à l’Est de N’Djamena. Cette fois, il infligera une sévère défaite aux FANT commandées par Allafouza Wori Koni, le nouveau « comchef » de Habré.

Ce jour-là, à 9 h 30, le chef de l’Etat, informé de ce qui se passait à la frontière, convoquera un conseil extraordinaire des ministres élargi au bureau de l’Assemblée nationale et au bureau exécutif du parti UNIR. « Cette fois, il faut en finir définitivement. Il faut écraser Idriss », annoncera-t-il à ses cadres. Le 18 novembre 1990, une autre offensive sera déclenchée plus au Sud, toujours sur la frontière, aux environs de Adré (là où, en 1989, alors que Déby était en fuite au Soudan, les troupes de Habré avaient tenté de le stopper). Elle infligera de lourdes pertes aux FANT.

Le 22 novembre 1990, Habré se rendra sur le terrain. Il se trouvera près de Oum Chalouba. En 1983, c’est là que Déby avait construit sa légende de chef de guerre. Le chef de l’Etat, accompagné de Wadal Abdelkader Kamougué, tombera dans une embuscade. Il aura beaucoup de mal à s’extraire du champ de bataille. C’est par avion qu’il parviendra, avec Kamougué, à s’exfiltrer tandis que Déby gagnera la bataille d’Iriba, au Sud-Est, qui va lui ouvrir la route vers N’Djamena.

Le 2 décembre 1990, Déby entrera dans la capitale du Tchad d’où Habré se sera enfui. Le nouveau patron avait 38 ans. Ironie de l’Histoire : un an auparavant, le 10 décembre 1989, Habré avait fait adopter un référendum constitutionnel (qui avait obtenu 99,94 % de « oui ») confirmant son maintien au pouvoir pour sept ans encore !

(à suivre)

Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
20 avril 2021

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Vos commentaires

  • Le 21 avril 2021 à 12:26, par Schan Djyt En réponse à : Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

    Pauvre AFRIQUE un autre MORT de PLUS, retenons nos EMOTIONS il y’a des ombres cachées dans cette tragedie.
    Et surtout c’est la FRANCE qui donne l’ acte de naissance à ce C_M_T, hummmmmmmmmmmmmmmm !
    Il y’ a un DESIRE_KABILA vu sous les angles obtus.

    A qui profite ........................
    Merci

  • Le 21 avril 2021 à 13:16, par Mogo En réponse à : Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

    Merci pour ce très beau rappel de l’histoire politico- militaire assez mouvementée du Tchad. Qui triomphe par l’épée, périra par l’épée. Cela est indéniable. La France et toujours la France. En train de jouer de très mauvais rôles en Afrique. C’est pour après dire, qu’ils vont declassifier des dossiers

  • Le 21 avril 2021 à 13:20, par Jean MOULIN En réponse à : Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

    Merci au Lefaso.net pour ce partage.
    Merci également à la RTB qui a une édition spéciale sur la question avec M. KINDO et ses invités qui maîtrisent le sujet.

  • Le 21 avril 2021 à 15:19, par loyola En réponse à : Idriss Déby : Apocalypse chapitre 13, verset 10 (1re partie)

    MERCI POUR CETTE LECON D’ HISTOIRE.CE SONT LES REALITES DE LA POLITIQUE.QUE DIEU AIDE LE TCHAD

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