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Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

Publié le mercredi 20 janvier 2021 à 15h00min

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Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

Des tombes portant des noms à consonnance burkinabè dans un cimetière de la ville de Rome ; c’est le constat fait par le père Charles Kinda de la communauté des Camilliens. Dans ce témoignage, il vivre la mémoire de ces soldats morts pour la France pendant la Campagne d’Italie (1943-1944) de la Seconde Guerre mondiale.

Nous sommes à Rome, en Italie. Ce matin, je me décide de faire une petite promenade hors du couvent où je réside. A quelques 500 m de ma communauté religieuse, je me retrouve dans un endroit assez singulier, bien entretenu. Ce n’était pas la première fois que je venais en ce lieu calme et tranquille, un peu éloigné de la rumeur de la circulation, mais c’est bien la première fois que je me décide à passer saluer individuellement les « habitants » du lieu.

Au cœur de la Réserve naturelle de Monte Mario, sur l’une des nombreuses collines qui surplombent la ville de Rome, s’étend ce cimetière où sont enterrés plus d’un millier de personnes, parmi lesquelles des burkinabè. Qui sont-ils et de quelles provinces du Burkina viennent-t-ils ?

Pour avoir quelques bribes de réponses, il faudrait remonter le temps jusqu’à l’époque de la grande guerre.

Ce cimetière militaire français de la Seconde Guerre mondiale accueille en effet les corps de combattants du C.E.F (Corps Expéditionnaire Français) tombés pendant la Campagne d’Italie 1943-1944.

Le pays transalpin ayant été envahi par l’armée allemande et en partie dirigé par un gouvernement pro-nazi, les troupes qui ont combattu dans les rangs alliés lors de la lente reconquête de la péninsule italienne étaient appuyées par des troupes des colonies françaises de l’Afrique du nord appelés souvent “goumiers” et celles de l’Afrique de l’Ouest. « Goumier » est un terme utilisé pour indiquer un soldat marocain incorporé dans l’armée Française entre 1908 et 1956. Le terme a également été utilisé occasionnellement pour désigner des soldats de l’armée française du Soudan Français et de la Haute-Volta pendant la période coloniale : les tirailleurs sénégalais, corps de militaires appartenant aux troupes coloniales ; des unités d’infanterie qui vont rapidement désigner l’ensemble des soldats africains de couleur noire qui se battent sous le drapeau français et qui se différencient ainsi des unités d’Afrique du Nord, telles les tirailleurs algériens.

En Italie, de novembre 1943 à juillet 1944, sous les ordres du général Juin, le Corps Expéditionnaire Français avait un effectif global de 125 000 hommes dont 54 % issus des colonies, à majorité nord africains.

Au lendemain des combats qui ont fait au moins 7000 morts, on enterra les victimes sur les lieux mêmes de la bataille et, à la fin de 1944, il existait 55 petits cimetières militaires et plus de 2000 tombes isolées dans les Abruzzes, le long du Garigliano, dans le Latium et au-delà de Rome, vers Sienne, les rives de l’Arno, ainsi qu’à l’ile d’Elbe. Plus tard on décida de regrouper les morts dans trois grands cimetières, puis par la suite dans deux cimetières : Venafro et Rome.

Tous les soldats ont été enterrés de la même manière. Ils ont été inhumés en tombes individuelles et collectives. Les sépultures sont ornées de croix latines, de stèles musulmanes, israélites, libres-penseurs (animistes) suivant la religion de chaque mort. Sur la stèle ou sur la croix on peut y lire le nom et le prénom de la personne (ou seulement l’un des deux), sa compagnie (et éventuellement le grade), puis la date de décès. Et enfin l’inscription “mort pour la France”.

Sur quelques rares tombes, on peut voir une petite plaque en marbre ou une fleur en porcelaine accompagnées des inscriptions suivantes : « A mon frère », « souvenirs », « A mon père », « le temps passe mais les souvenirs demeurent » etc. Des marques d’affection laissées par un parent qui a reconnu la tombe d’un être cher.

Comme dans tout cimetière militaire, il n’est pas rare de rencontrer des tombes de soldats inconnus. Par ailleurs, plusieurs tombes sont in memoriam (en mémoire de) car les corps qu’elles contenaient ont été restitués aux frais de la nation aux familles qui en avaient formulé la demande. Ces tombes furent toutefois conservées afin de ne pas rompre l’alignement des rangées d’emblèmes et pour préserver l’aspect harmonieux des cimetières.


C’est ainsi que parmi les prénoms qu’on peut lire sur les stèles qui ornent les diverses tombes, le visiteur qui vient du Faso est surpris de tomber sur des noms à consonnance burkinabè :
Maliki SOULGA, soldat 1 CI 5 Bon de Marche, 6-6-44.
Koulga ILBOUDO, Soldat, 5 Bon de Marche 15-6-44
Beidari MAIGA, Soldat 1 CI 4 Bon de Marche 10-6-44
Sié KAM, Soldat 1 CI 24 Bon de Marche 18-6-44
Kouka NIAKEMA (certainement NIKIEMA), Soldat, 4 Bon de Marche 13-6-44
Razoussedia SAOYADOGO (peut-être un SAVADOGO), Soldat 5 B.M.N.A. 10-6-44
Niemberata GANSORE, Soldat, 4 Bon de Marche, 12-6-44

La liste n’est pas exhaustive. Ce sont sans doute des voltaïques qui ont été contraints de quitter leur lointain pays pour aller lutter contre les hordes hitlériennes au nom de la liberté des peuples à disposer de leur autonomie. Plusieurs de ces personnes qui ont traversé la grande eau pour venir se battre au pays des blancs, et qui sont certainement des portées disparues à jamais pour leurs familles, dorment du repos éternel dans la ville éternelle, et sans doute aussi dans le plus grand cimetière, celui de Venafro, à une centaine de kilomètres de Rome où on recense plus de 4 000 tombes.

Des recherches plus officielles et plus approfondies pourraient aider à savoir plus ou moins le nombre exact de burkinabè qui y sont enterrés, et à retrouver les régions de provenance de ces compatriotes, et pourquoi pas leurs familles, pour un devoir de mémoire. En attendant, au cimetière de Rome, le 11 novembre de chaque année, une cérémonie solennelle, en présence de l’ambassadeur de France à Rome leur rend hommage.

Qu’ils reposent en paix.

Charles KINDA
Père Camillien - Rome

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Vos commentaires

  • Le 20 janvier 2021 à 12:59, par KOASSA En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    merci PERE KINDA. vous me rappeler mon grand père blessé en juin 1941

  • Le 20 janvier 2021 à 14:28, par Sidbala En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci bien au Père Kinda pour ce bel article. Beaucoup de nos parents et grands parents sont morts pour la France dans une totale indifférence de cette France. Ils sont morts en défendant leur Patron. Combien sont-ils ? Seul Dieu le sait !! Quand la France était en difficulté, elle n’a pas hésité à venir enrôler de gré ou de force les bras valides de l’Afrique pour l’aider. Mais aujourd’hui que cette même Afrique dans sa partie sahélienne se trouve aux prises avec les terroristes, la France, après une cinquantaine de morts, pense de retirer ses troupes alors que la guerre n’est pas terminée. 50 morts contre plus de 100 000 morts lors des 2 guerres mondiales... Qui a fait plus de sacrifices humains ??? La justice viendra de Dieu !!!

  • Le 20 janvier 2021 à 14:44, par Ranini En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    *Des recherches plus officielles et plus approfondies pourraient aider à savoir plus ou moins le nombre exact de burkinabè qui y sont enterrés, et à retrouver les régions de provenance de ces compatriotes, et pourquoi pas leurs familles, pour un devoir de mémoire." Vivement que votre appel soit entendu par qui de droit ! Les grands peuples honorent la mémoire de leurs compatriotes rappelés à Dieu.

  • Le 20 janvier 2021 à 14:52, par Paratzambo En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci pour ce recit qui m’a donné des larmes de tristesse.
    Je salue par ce bref commentaire, la mémoire de la moitié de mes Grands parents morts pour la France. Eux qui étaient tous de Grands guerriers ayant combattu et morts les armes à la mains pour la Gaulle et ce, au nom du principe de la liberté univeselle.
    Seuls quelques uns comme Yampayodé OUEDRAOGO (mon Grand père direct), Yamsiguia OUEDRAOGO, Pawelgué OUEDRAOGO, etc. sont revenus blessés et malades sur plus d’une centaine de ma propre famille qui ont cpmbattu dans la Grande guerre.
    Paix aux âmes de tous ces guerriers et honte à la France qui les a déjà oubliés.

  • Le 20 janvier 2021 à 15:17, par kinda En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    cela pourrait faire l’objet effectivement de travaux de recherche en histoire et aussi en linguistique

  • Le 20 janvier 2021 à 17:33, par Roby En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci au père pour toutes ces informations qui permettront aux historiens ou autorités de remonter sur les origines des soldats.

  • Le 20 janvier 2021 à 18:03, par Lom-Lom En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Pathétique ! Avec ça ces occidentaux veulent nous donner la leçon en toutes choses ! Je frémis de savoir que ces soldats sont morts et enterrés et pour certains aucun membre de la famille ne sait où ils dorment pour l’éternité ! Merci Mon Père pour avoir apporter un plus à l’histoire de ses nombreuses victimes de la barbarie des nations pourtant dites civilisées !

  • Le 20 janvier 2021 à 21:40, par Adakalan En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci vraiment pour l’article. J’ai écrasé quelques larmes de savoir que le socle du développement des soi disant pays développés dans la plupart des cas repose sur le sang et la sueur de nos ancêtres.Aujourdhui quand les petits fils s’en vont pour bénéficier un peu du labeur de leur ancêtre,on les traite de sans papiers.
    Thomas Sankara avait raison que nous allons pas payer la dette.
    Qui doit plus a qui ?
    Paix a leur ame

  • Le 20 janvier 2021 à 22:39, par Un Burkinabê En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Ce que je retiens est que presque tous ces soldats ont des prénoms du terroir qui permet et permettra de remonter leur origine. Aujourd’hui beaucoup d’entre nous portons des prénoms importés qui n’ont rien avoir avec nos origines. Changeons cet état de fait avant de critiquer la France. Pour retrouver les origines de ces disparus les prénoms sont un maillot important du puzzle.

  • Le 21 janvier 2021 à 07:27, par Koné Ibrahim En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Il faudrait faire un travail de recherche pour rapatrier les restes à leurs familles qui sait si ce n’est pas l’armée française qui les a abattus rappellez vous de Thiaroye

  • Le 21 janvier 2021 à 09:18, par Puugkonre En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Humm ! J’ai des frissons en lisant cet article. Merci Mon père. J’en suis sure que nos grands parents qui dorment d’un repos éternel dans ce cimetière ce sont remués au fond de leur tombe en voyant leur petit fils burkimbila venir prier pour eux. Soyez en remercier mon père pour ce cours succinct d’histoire. J’espère que nos historiens s’en Inspireront pour pousser davantage les recherches sur ces vaillants guerriers tombés sur le champ de bataille hors de leur patrie mère. Que par la miséricorde de Dieu leurs âmes reposent et que brille sur eux la lumière de la face du Seigneur.

  • Le 21 janvier 2021 à 12:01, par Balladin En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci pour ce témoignage poignant et la suggestion faite à nos doctorants en histoire.
    À nos frères défunts, l’éternité. A nous, les souvenirs de leur bravoure et de leur sacrifice.

  • Le 22 janvier 2021 à 07:35, par Paul Bere En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci bien Père Kinda. Vous avez fait oeuvre de "patriotisme" en sauvant de l’oubli ceux qui dorment loin de la terre de leurs ancêtres. "Devoir de mémoire", dites-vous. Votre acte en a induit le processus. Je suis certain que des historiens burkinabé prendront le relais. Merci encore pour ce beau geste intellectuel.

  • Le 22 janvier 2021 à 09:04, par Le Pacifiste En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci mon Père. Vous avez fait un travail de journaliste, d’historien et d’archiviste. Très heureux de lire ce papier. dossiers.

  • Le 22 janvier 2021 à 16:19, par Victorien KAMBOU En réponse à : Seconde Guerre mondiale : Des Voltaïques enterrés dans la ville de Rome

    Merci pour ce partage très enrichissant. Une étude sur les origines, le parcours et les conditions de décès pourrait être mener et cela juste pour la mémoire et les hommages mérités.

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