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Burkina : Deux chercheurs analysent la contribution des agences de coopération internationale bilatérale et multilatérale dans les domaines de l’éducation et de la formation

Publié le mercredi 4 décembre 2019 à 10h45min

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Burkina : Deux chercheurs analysent la contribution des agences de coopération internationale bilatérale et multilatérale dans les domaines de l’éducation et de la formation

Résumé
Cet article revient sur les acteurs de la coopération internationale bilatérale et multilatérale dans les secteurs de l’éducation et de la formation au Burkina Faso. L’analyse fait ressortir que les agences bilatérales sont porteuses des politiques de leur pays d’origine et leur contribution dépend de l’état des rapports coopération entre les États. A l’opposé, la contribution des agences multilatérales est fonction de la capacité de remboursement et du respect des conventions.
Agences de coopération – Histoire de l’éducation –Financement de l’éducation

Auteurs : Kaboré Amado et Hien Y. Christophe, Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST.

Introduction

Le Burkina Faso (ancienne Haute-Volta) est indépendant depuis le 5 août 1960. D’énormes difficultés entravent son développement. En effet, cet État d’Afrique occidentale est classé, en 2016, 185e sur 188 pays selon l’Indice de développement humain et compte 16,9 millions d’habitants (dont 83 % vivant en zones rurales) (PNUD, 2016). Le PIB du pays est de l’ordre de 1,5 euros par jour et par habitant. Depuis 1997 il est éligible au nombre des Pays pauvres très endettés (PPTE). Les causes du retard de développement du pays sont en grande partie liées aux difficultés d’expansion de l’éducation et de la formation. En effet, de nombreuses faiblesses sont relevées.

En 2017, le Taux Brut de Scolarisation (TBS) au primaire était de 88,5 % pour 49 % seulement au post-primaire et 16,2 % au secondaire (MENA, 2017). Au même moment, le taux brut de préscolarisation était de 3,5 % en 2017 et se trouve être en baisse par rapport à 2015 où il était de 3,9 %. Dans l’ensemble du système scolaire burkinabè, on relève une privatisation accrue : 72,34 % des auditeurs sont pris en charge par le privé et les centres communautaires dont 81,14 % au Kadiogo. Il y a aussi, le taux élevé d’enfants en âge de scolarisation se trouvant hors du système scolaire qui est évalué à environ 51 % en 2017 (MENA. 2017).

Notre travail est bâti autour de la question de recherche suivante : quels résultats peut-on retenir après plus de 50 ans d’action des partenaires bi et multilatéraux dans les secteurs de l’éducation et de la formation au Burkina Faso ? Le premier point de ce travail fait un aperçu historique de la coopération bi et multilatérale en éducation et en formation au Burkina Faso. Le second point évoque les principaux axes d’intervention des agences de coopération. Et le troisième point fait l’état de la contribution des agences au financement de l’éducation au Burkina Faso.

1. Méthodologie de travail

Afin de mobiliser les informations utiles à la réponse de la question de recherche, nous avons adopté une méthodologie centrée sur la collecte de données qualitatives et quantitatives auprès des acteurs directs. Du point de vue méthodologique, nous nous sommes appuyés sur l’approche théorique de l’idéal - type de développement conçu par Max Weber (Weber M. 1965). Ainsi, au moyen d’une approche mixte (quantitative et qualitative), nous faisons l’état des lieux, puis une analyse des politiques et des actions de ces agences de coopération bi et multilatérales dans les secteurs de l’éducation.

Les données quantitatives sont constituées notamment de données secondaires issues des statistiques et des rapports des différents acteurs de l’éducation et de la formation. Du point de vue qualitatif, il s’agit d’une analyse de contenus à partir d’une revue de la littérature disponible surtout dans les services de documentation et archives des ministères en charge des affaires étrangères, de l’économie et des finances, de l’éducation nationale et de la formation professionnelle ; et d’une analyse de la documentation locale des agences ainsi que des documents de travail tels que les rapports, les comptes –rendus.

Enfin, des entretiens réalisés avec des personnes ressources ont permis de compléter la documentation écrite. Ces entretiens, individuels et semi-directifs, ont été menés avec 25 acteurs publics et privés nationaux et internationaux. Au niveau national, il s’est agi de dix décideurs politiques, de responsables de programmes et de projets, d’enseignants et d’acteurs de la société civile, tous dans les domaines de l’éducation et de la formation. En ce qui concerne les agences de coopération, les entretiens ont concerné 15 représentants et responsables résidents au Burkina Faso.

2. Aperçu historique de la coopération bilatérale et multilatérale en éducation

À la fin de la seconde guerre mondiale, l’ONU a engagé et encouragé des actions en faveur d’un développement des peuples par le biais de l’éducation et de la formation Elle a alors mis en place des institutions spécialisées (UNESCO, UNICEF, PNUD, PAM, OMS). D’importantes organisations gouvernementales, non gouvernementales et des associations de soutien à l’éducation et de la formation ont aussi été créées. La coopération bilatérale avec la France a été la première à être active, au regard du passé colonial du pays, le premier accord franco-voltaïque de coopération sur l’enseignement ayant été signé avec l’ancienne « métropole » le 24 avril 1961.

Plusieurs autres États africains, européens, américains et asiatiques ont ensuite développé leur coopération bilatérale avec l’actuel Burkina Faso, tandis que la coopération multilatérale intervenait sur la base des politiques publiques mises en place. La BM, le FMI, l’UNESCO, la CONFEMEN la MINEDAF de l’OUA et, la CEE ont été les tout-premiers partenaires techniques et financiers (PTF) d’un pays où l’éducation constitue une priorité nationale au même titre que la santé et l’agriculture.

Pour l’essentiel, la coopération internationale est régie par des accords-cadres de partenariat généralement triennaux, sur la base desquels le pays est souvent encouragé à aménager ses politiques et ses actions afin de les y arrimer. Seul l’examen des priorités et des logiques d’intervention des différents PTF permettra de saisir les contours de leurs politiques et interventions, et ainsi de répondre à la question de savoir si ceux-ci contribuent ou portent atteinte aux objectifs nationaux en matière d’éducation et de formation.

3. Principaux axes d’intervention des agences de coopération

Jusqu’à la fin des années 1980, la coopération internationale en Afrique était basée sur une logique d’intervention autonome de chaque agence, aussi bien au plan bilatéral que multilatéral. Dans ce contexte, les activités de ces dernières visaient souvent le transfert d’un modèle d’enseignement et d’éducation calqué sur celui du donateur, l’appui aux dispositifs nationaux avec une mise à disposition « obligatoire » de moyens humains comme matériels et l’ouverture de postes d’encadrement et de stage au profit d’acteurs issus du pays donateur. Cette façon de faire s’est avérée inappropriée car en déphasage avec les réalités locales, conduisant ainsi à une réorientation des contenus des politiques de coopération.

À partir de 1990 l’intervention des PTF dans le secteur de l’éducation s’inscrit dans des logiques internationalement établies par les États, ce qui se reflète dans le fait que le Burkina Faso est parti aux objectifs EPT (1990), aux OMD (2000) et aux ODD (2015). Dès lors, conséquemment, les PTF ont commencé à opter pour des modèles de coopération privilégiant l’approche participative impliquant les bénéficiaires à divers niveaux de décision de la coopération - cette approche étant supposée mieux articuler les offres de service aux attentes. Pour ce faire, des cadres d’échange et de partage ont été mis en place entre les parties avec la création en 2007 d’un Cadre partenarial entre le Gouvernement burkinabè et les PTF en éducation de base.

En ce qui concerne les priorités, les premières initiatives ont concerné l’enseignement de base. Ce sous-secteur a bénéficié entre autres du soutien de la BM, du FMI, de la BAD, du Fonds africain de développement (FAD), de la Banque islamique de développement (BID) et de pays comme la France, les USA, le Japon, le Danemark, la Suède, le Canada. Mais de plus en plus, en relation avec les changements en matière de travail, d’emploi, de croissance, de technologies et d’environnement l’enseignement technique et la formation professionnelle orientés vers l’auto-emploi et l’emploi dans les secteurs formel et informel sont à l’ordre du jour. Ce dernier volet intéresse principalement aujourd’hui l’Allemagne, la Suisse, les Pays Bas, le Luxembourg l’Autriche, la Chine le Japon et la Corée du Sud.

Les principaux instruments de coopération à l’échelle internationale ont aussi été revus : déflation du nombre de postes d’assistance, meilleur équilibre entre la logique d’appui aux dispositifs et celle de contribution à la mise en place de véritables systèmes nationaux, développement de la formation des enseignants et des formateurs à travers un transfert des compétences et option approche sectorielle versus approche projet.

4. Contribution des agences au financement de l’éducation : APD et PPTE

Si les mécanismes et les stratégies de financement des agences de coopération sont aujourd’hui ancrés dans le cadre général des OMD, du Consensus de Monterey et de la Déclaration de Paris, L’APD et l’initiative PPTE occupent la place la plus importante dans le financement international de l’éducation et de la formation. En 2003, l’APD totale était estimée à 490 millions USD dont 13,8 % destinés au sous-secteur de l’éducation de base soit 67,7 millions USD. En 2007, l’APD connaissait une baisse puisqu’elle n’était que de 350 millions USD. L’éducation représentait alors 4,3 % de l’APD totale soit 15,3 millions USD (DGOOP, 2008). En 2015, l’APD totale était de 2.159 millions USD, dont 8,6 % réservés à l’éducation et à la formation, contre une APD totale de 995 millions USD en 2011 (NANSI J. H., et al. 2016).

La France, avec 18 % de l’aide bilatérale totale, est le deuxième PTF bilatéral derrière les États-Unis (20 %) en 2016. La Banque mondiale avec 221 millions USD par an sur 2011-2014 fournit 38 % de l’aide multilatérale totale suivie de l’Union européenne (27 %) (OECD-DAC, 2015). Ces montants permettent qu’environ 80 % des investissements publics soient réalisés grâce à l’APD. Quant aux secteurs de l’éducation et de la formation, l’APD a permis en 2015 la mise en œuvre des services de planification et de gestion de l’éducation (83,72 %) et de formation-emploi (16,16 %) (MENA, 2016).

Concernant l’initiative PPTE, le pays bénéficie d’un allègement substantiel de sa dette publique, notamment de la part des acteurs multilatéraux et de ceux du Club de Paris pour plus de 97 % d’annulation de leurs créances. Des efforts supplémentaires ont été faits par les institutions multilatérales fin 2005 au titre de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM). Ainsi, le stock de dette extérieure du pays en 2015 était seulement de 3 milliards USD dont 80 % de dette multilatérale (DGOOP, 2016). Une situation qui favorise la constitution de ressources propres pour une meilleure exécution des politiques nationales d’éducation et de formation.

En effet, l’amélioration de la capacité d’investissement public a permis l’accroissement du nombre d’enfants scolarisés et des infrastructures scolaires. On notait une évolution, entre 2005 et 2015 de 1.270.837 inscrits au primaire (30,25 % de TBS) à 2.706.803 (83,7 % de TBS). Entre ces mêmes années, on est passé de 6.917 à 13.831 écoles primaires (MENA, 2016) et l’Indice de développement de l’éducation est passé de 0,467 à 0,635 (UNESCO, 2015).

Conclusion

L’analyse des actions des agences de coopération, après plus de 50 ans de présence, révèle qu’elles portent essentiellement les politiques de leur pays d’origine en matière d’éducation et de formation au Burkina Faso. Au-delà de ces chiffres, des questionnements demeurent : les politiques de coopération internationale et leur application répondent-elles toujours aux besoins des populations et de l’État burkinabè ? Quelles sont les motivations réelles des interventions des agences ? Quelles sont les perspectives au lendemain du lancement des ODD ?

Références bibliographiques

Direction générale de la coopération (DGOOP). (2016). Burkina Faso, Rapport de coopération pour le développement, Ouagadougou
MENA. (2016 et 2017). Annuaire statistique de l’enseignement primaire 2015/2016 et 2016/2017
MENA. (2017. Rapport de suivi annuel 2017 du PDSEB, Rapport définitif, Ouagadougou, 28 p.
PNUD. (2016). Rapport sur le développement humain 2016 : Le développement humain pour tous.
UNESCO. (2015). Rapport de suivi de l’EPT, Paris, UNESCO.
WEBER M. (1965). Essais sur la théorie de la science, (Traduits et introduits par Julien Freund), Éditions Pion, Paris, 543 p

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