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Joseph Hage, consul honoraire du Liban : "Je n’ai jamais reçu l’aide d’un homme politique burkinabè"

Publié le vendredi 18 février 2005 à 09h19min

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Dans l’interview qui suit, Joseh Hage, Consul honoraire du Liban, réagit à l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Joseph Hage est avant tout un homme d’affaires. Il s’exprime aussi sur ses affaires ainsi que sur la communauté libanaise vivant au Burkina.

"Le Pays" : Quelle a été votre réaction à l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri ?

Ma réaction a été celle de tous les Libanais. Cet attentat a été une catastrophe nationale. Ce qui est arrivé est très grave. Il a causé la mort d’une personnalité qui a passé une dizaine d’années à la tête de la primature libanaise. Rafic Hariri a apporté beaucoup au Liban et n’a fait que du bien au pays. Il a travaillé à construire le Liban après la guerre. On a eu la chance d’avoir un entrepreneur et de bénéficier de son savoir-faire. Il a été le principal moteur de la reconstruction du Liban. C’était quelqu’un de très riche et qui a dépensé beaucoup d’argent pour aider le Liban. On n’aurait jamais pu imaginer qu’une telle personne eusse été assassinée de cette façon. Il n’a fait de mal à personne, ni au Liban, ni à aucun pays. Je l’admirais, cet homme. Sans lui, je ne pense pas qu’on aurait eu un Liban tel qu’il est aujourd’hui.

Vous affirmez qu’il ne pouvait faire de mal à personne. Cet homme d’affaires s’était pourtant joint aux appels de l’opposition, pour un retrait de la Syrie du Liban. N’a-t-il pas, de ce fait, été victime de sa position ?

Je ne pense pas qu’il a été tué parce qu’il avait rejoint l’opposition. Le Liban est un pays démocratique où les institutions de la République fonctionnent bien et où la liberté d’expression existe. Ce que je constate, c’est la réaction du monde entier suite à la disparition de Rafic Hariri. C’est la preuve qu’il faut qu’on en finisse avec les attentats. Il faut que le Liban vive en paix.

Comment arrivera-t-on à finir avec ces attentats ?

En combattant le terrorisme. Ceux qui tuent de cette façon ne sont pas des gens civilisés.

La Syrie a été tenue pour responsable de ce crime. Quel est votre avis ?

Effectivement, beaucoup pensent que la Syrie est derrière cet attentat. Les Nations unies ont demandé une enquête internationale. En ce qui me concerne, je suis certain que ni le pouvoir libanais, ni le pouvoir syrien n’ont un lien avec ce meurtre. Si ce n’est ni le Liban et ni la Syrie, il reste les amis. Rafic Hariri avait beaucoup d’amis. Il était connu du monde entier.

Rafic Hariri était très influent sur la scène politique libanaise. Quelles pourraient être les conséquences de sa disparition sur la vie politique libanaise ?

Il y aura bien sûr des conséquences. L’attentat a touché le plus haut responsable de la vie politique et économique du Liban. Le Liban a perdu un homme intelligent et ouvert à la démocratie. Il n’était pas entré en politique pour s’enrichir, puisqu’il était déjà très riche. Je considère en tout cas qu’il a sacrifié sa vie pour le Liban.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé le retrait des troupes syriennes du pays. Quelle est votre position par rapport à cette occupation ?

Il y a la paix au Liban et cela, depuis une dizaine d’années. L’armée est assez efficace. Les institutions de la République fonctionnent assez bien. Le Liban attire les investisseurs arabes. Viendraient-ils au Liban si le pays ne connaissait pas une certaine stabilité ? Mon souhait est que la Syrie se retire. Ce pays n’a plus besoin d’occupation syrienne. Certes, une infime partie de responsables politiques est contre ce retrait. La présence syrienne est toujours nécessaire selon eux, parce qu’en cas de retrait de l’armée syrienne, le Liban pourrait connaître l’instabilité. Mais nous Libanais, savons tous que cela n’est pas vrai. Les politiciens n’ont pas la même conception des choses que nous. La Syrie n’avait aucun intérêt à assassiner Hariri, même si celui-ci avait demandé clairement le retrait de l’armée syrienne du Liban. Alors, qui avait intérêt à assassiner cet homme ?

Quelles pourraient être les conséquences de l’assassinat de Rafic Hariri sur toute la région du Proche-Orient ?

Rafic Hariri avait de très bonnes relations avec l’Arabie Saoudite. Il y était présent économiquement. Grâce à lui, le Liban entretenait de très bonnes relations avec cet Etat arabe. Il était constamment en tournée dans les pays arabes. Certains ont affirmé que la stabilité du Liban, le fait d’avoir une monnaie solide... tout cela a été possible grâce à Hariri. Car avec ses propres fonds, il pouvait booster l’économie libanaise. A partir du moment où il n’est plus, des problèmes vont certainement se poser. Beaucoup d’opérateurs économiques s’abstiendront sûrement d’investir au Liban parce que cet opérateur économique naturalisé Saoudien a été tué.

Quels rapports la communauté libanaise entretient-elle avec les Burkinabè ?

Environ six cents Libanais vivent au Burkina. La présence libanaise date des années 1900. Le fait qu’elle soit longtemps restée au Burkina est la preuve qu’il n’y a aucun problème d’intégration avec les frères Burkinabè. Cette longue présence s’explique par la stabilité du Burkina. Et je prie à tout instant pour que le pays reste stable.

Et pourtant, certains Burkinabè pensent que le Libanais est très réservé et même qu’il s’intègre très difficilement ; qu’en dites-vous ?

Je ne pense pas que ce soit vrai. Cette fausse impression est peut-être due au fait que les Libanais ne sont pas assez nombreux au Burkina. En Côte d’Ivoire, il y en a presque 70000. Ils sont tellement nombreux là-bas qu’on ressent l’intégration. De toute évidence, on ne peut pas vivre dans un pays si on n’est pas intégré. Certains disent que nous formons un bloc et que nous nous entraidons. Tout cela est absolument faux. Je le dis en tant que consul et en tant que Libanais qui a vécu depuis son plus jeune âge à Ouagadougou. Je vis au Burkina depuis 1968. Il n’y a pas de lobby libanais au Burkina. Du reste, j’aurais souhaité qu’il en existe, parce que cela permet d’avoir une communauté plus soudée.

Qu’est-ce qui attire les Libanais au Burkina ?

En tout cas, ce n’est ni le soleil du Burkina, ni la vie facile. Ils viennent chercher de l’argent. Au Burkina, l’économie est stable. On n’a pas la peur d’y investir.

Il y a donc de l’argent au Burkina...

Ce n’est pas exactement cela. Le Libanais qui vient au Burkina ne s’y aventure pas pour rien. Toute société a besoin de travailler avec des gens en qui elle a confiance. Les Libanais travaillent avec leurs parents. Ils font venir quelqu’un de la famille en qui ils ont confiance. Avec les parents, on est plus à l’abri des bêtises. S’il n’arrive pas à s’intégrer, il repart. Et s’il reste, cela signifie qu’il s’est intégré.

Combien de fois vous rendez-vous au pays ?

Une fois par an pendant les vacances.

Y avez-vous investi ?

Non, pas encore.

On vous dit très proche du régime, ce qui vous donne plus de facilités dans les affaires. Que répondez-vous ?

J’avais des amis avant d’être opérateur économique. N’oubliez pas que je suis au Burkina depuis l’âge de 15 ans. Certains d’entre eux sont aujourd’hui au pouvoir. Au demeurant, ce n’est pas des relations de profits que j’entretiens avec eux. Autrement, vous auriez entendu que Hage a profité de cette situation. Je défie quiconque de sortir un dossier contre moi montrant que j’ai profité de quelqu’un. Renseignez-vous et on vous dira que Hage a travaillé toute sa vie, qu’il commençait le travail à 7h30 et quittait son bureau à 00h.

Aujourd’hui, je ne le quitte pas avant 22h. Si je voulais profiter de mes relations, peut-être allais-je travailler à interdire toute concurrence dans le secteur où j’exerce (ndlr : secteur de l’industrie de transformation métallique). Or, aujourd’hui, c’est le secteur le plus concurrencé. Pour moi, seul le travail paie. Je n’ai reçu aucun appui d’un quelconque homme politique. Le seul appui que j’ai reçu, c’est celui des banques. On ne peut pas travailler sans leur aide. Avec ces dernières, au moins on est tranquille. On peut rentrer chez soi l’esprit tranquille.

Comptez-vous rentrer définitivement un jour au Liban ?

Définitivement ? (ndlr : l’air étonné, puis rires) Quand on fait un investissement énorme, qu’on emploie jusqu’à 650 Burkinabè, il faut être fou pour tout abandonner !

Propos recueillis par Cheick Beldh’or SIGUE
Le Pays

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