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Du nom des épouses à leur identité en tant que personne en Afrique contemporaine : Un copié/ collé juridique problématique au niveau des rapports de genre

Publié le vendredi 20 novembre 2020 à 11h00min

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Du nom des épouses à leur identité en tant que personne en Afrique contemporaine : Un copié/ collé juridique problématique au niveau des rapports de genre

Les femmes burkinabè ont-elles l’obligation ou juridique de porter le nom de leur conjoint dès lors que le contrat de mariage est dûment signé ? Le regard social porté sur les femmes et les interactions qu’elles ont entre femmes dans la société, sont-elles conditionnées par le fait pour certaines d’être appelées « madame » et pour d’autres « mademoiselle » ?

Quelle analyse peut-on porter sur le port du nom marital par les femmes en Afrique et particulièrement au Burkina Faso aujourd’hui ? Quels liens peut-on établir entre la quête actuelle d’égalité et d’équité de genre avec la normalisation voire l’institutionnalisation implicite du nom marital pour les femmes ? Cette réflexion anthropologique née sur le terrain de nos premières recherches il y a une vingtaine d’années, à travers les modalités de présentation des femmes participantes aux études demeure encore d’actualité.

Cette question mobilise des arguments culturels, administratifs, juridiques en plus de celles de l’égalité de genre, tout comme celle de l’égalité entre les femmes.
Nous reprenons ici quelques points de notre intervention à l’atelier POLGENRE organisé par le l’institut français de recherche pour le développement (IRD), le laboratoire « Population, environnement et santé » de l’Université de Ouagadougou et l’institut supérieur des populations (ISSP) les 3-5 décembre 2012 sur cette question qui reste, de notre point de vue, d’une actualité indiscutable.

Cette observation plutôt banale de l’appellation des femmes ne nous est apparue comme objet de recherche qu’à partir du moment où nos travaux nous amenaient à enregistrer les noms des participants à nos recherche aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. Globalement, deux groupes de femmes se distinguaient. Les premières partagent une ou plusieurs de ces caractéristiques : alphabétisées, niveau de scolarité avancé (secondaire), ont ou prétendent à un emploi salarié, sont plutôt urbanisées.

Ces femmes se présentent préférentiellement par leur nom marital précédé du titre « Madame ». Le second groupe est celui des femmes analphabètes ou qui ont les niveaux de scolarité les plus faibles, ne sont généralement pas salariées, sont rurales ou vivent dans la périphérie de la ville, sont ménagères et/ou actives dans le secteur informel de la vente de fruits, légumes et condiments…. Ces femmes ont tendance à se présenter sous leur nom de naissance.

Ces deux formes de présentation nous ont imposé une relecture du système de codification des participantes à notre étude, et suscité le présent questionnement sur le port du nom par les femmes, en rapport avec l’identité de genre.

1-Des femmes africaines ambassadrices par le port à vie du nom paternel

Les différences de présentation du nom des femmes dans les systèmes sociaux urbain et rural dans un même pays laissent voir une dichotomie entre systèmes moderne occidental et système traditionnel local qui perdure depuis la colonisation. En effet les femmes dans les sociétés traditionnelles de la plupart des sociétés traditionnelles du Burkina Faso acquièrent le nom de leur père à la naissance, le portent toute leur vie, même (et surtout) dans le mariage, et le gardent même après leur mort.

Dans le système moose, une fille « yonyonga » qui arrive chez son mari Nabiiga y séjourne toute sa vie, étant appelée « Sawadogo » ou autre pour bien marquée son origine. Elle y reste toute sa vie, prend de l’âge et c’est seulement à sa mort que la communauté des Yonyonsé s’annonce au moment des rites funéraires pour rappeler son histoire. Celle d’une ambassadrice Yonyonga de la communauté des « gens de la terre » comme le dirait Michel Izard, dans une famille maritale de « Nabiisi », donc de « gens du pouvoir ».

Les rituels yonyonse seront d’autant plus élaborés que la défunte sera âgée et aura acquis une reconnaissance sociale particulière. La règle est largement partagée par les autres groupes culturels du pays et il suffirait à chacun de se rappeler l’appellation de sa mère, de sa grand-mère ou d’autres femmes âgées de sa famille, non pas par le nom de leur mari, mais par leur nom de naissance, pour s’en convaincre.

Dans la société à base traditionnelle moose dans lequel un système patriarcal particulièrement rodé construit et maintien la dépendance statutaire des épouses, le port du nom marital dépouille encore davantage la femme de son identité, du moins en apparence, au profit d’un nom d’emprunt qu’elle est susceptible de perdre ou ne plus vouloir porter.

2-D’une identité inaltérable à une identité instable d’emprunt

Ce rapport traditionnel des femmes africaines au nom permet d’établir une nuance entre leur dépendance statutaire en tant que femme dans le système patriarcal, et leur identité en tant que personne. Bien que dépendante et cadette sociale dans la famille maritale, l’épouse n’en reste pas moins une représentante à part entière de son groupe culturel, et toute injustice et autre abus délibérée sur sa personne peut engager la responsabilité de tout un lignage ! Cette identité de la femme reste inaltérable par le lien matrimonial puisqu’elle continuera à la manifester en répondant toujours à non nom paternel. Cet c’est d’ailleurs son mari et sa famille u-qui l’appelleront par le nom de son père !

Cette identité inaltérable de la femme est ensuite confirmée à travers les exigences sociales auxquelles reste soumise la femme malgré son statut d’épouse (présence aux évènements dans la famille paternelle, rituels sacrificiels ; rites de mariage, rites funéraires), et les interdits de lignage qu’elle continuera à respecter, même si les autres membres de sa famille maritale, notamment ses propres enfants n’y sont pas tenus s’ils justifient d’une autre appartenance culturelle (exemple : les filles de telle lignage sont interdites de consommation de viande de poulet, …etc.).

Contrairement à ce système traditionnel dans lequel l’identité et le nom de la femme restent inaltérables tout au long de sa vie, le système moderne emprunté de l’occident dispose d’une clause proposant aux mariés le choix d’un nom pour le nouveau foyer. En général, l’homme étant d’office le chef de famille se voit imposer son nom à son épouse qui, « la soumission » étant une des vertus cardinales de la bonne épouse, s’y soumet tout naturellement sous les applaudissements de l’audience enchantée.

Souvent, c’est avec fierté que, l’employée salariée, à peine revenue à son lieu de travail après sa lune de miel, exhibe son certificat de mariage en vue de son changement de nom et rappelle à tous vents et en toute légitimité que maintenant, « c’est madame un tel… » ! Ce système moderne a certes des avantages, notamment l’affichage de l’unicité familiale, la traçabilité des membres de la famille et surtout les entrées (naissances, mariages, etc.).

Elle a aussi des limites, surtout pour la femme qui perd l’opportunité d’afficher son identité propre, son essence et ses rattachements culturels (parenté à plaisanterie par exemple), tout en révélant la précarité de sa nouvelle identité. En outre, les Africaines dans ce système, passent d’une identité inaltérable à une identité d’emprunt qu’elles peuvent encore perdre en cas de séparation. Certaines femmes affichent ainsi, au gré des mariages et des séparations, une succession de noms qui révèlent leur parcours dans le marché matrimonial. Ce n’est pas le cas des hommes.

Dans les villes africaines, le port du nom marital peut également symboliser le modernisme, et donc une posture d’émancipation des femmes concernées, à l’image des femmes occidentales. Mais encore faut-il que ces dernières soient elles-mêmes réellement plus avancées sur cette question que les Africaines !

En conclusion, l’établissement du nom d’épouse des femmes africaines est aujourd’hui calqué sur un système occidental qui lui-même apparait de plus en sujet à des assouplissements. Ainsi, alors qu’il y a 50 ans, la question ne se posait pas et que le nom du mari était imposé purement et simplement à l’épouse au mariage, l’arrêté du 16 mai 1974 fixant les modèles de livret de famille, modifié par l’arrêté du 26 juin 1986 adoucit les dispositions. Il permet entre autres, la conservation par la femme mariée de son nom de jeune fille tout comme au mari de prendre le nom de son épouse si les époux en conviennent !

Cet assouplissement dans le port du nom marital par les femmes en Europe nous rappelle au Burkina Faso que le législateur n’impose pas aux femmes qui se marient l’obligation du port du nom de leur mari, même s’il arrive qu’il le suggère, ou le déduise, par défaut….

Blandine Bila
Anthropologue

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