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COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

Publié le dimanche 17 mai 2020 à 23h30min

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COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

Perte d’emplois et de revenus, détérioration des conditions de vie des ménages et dégradation de la situation sécuritaire. C’est la panoplie de fléaux que la maladie à coronavirus a entraînés au Burkina Faso. Ce constat est celui du Groupe d’analyse et de réflexion sur la crise du covid-19, ses défis et opportunités de changement durable, dans son rapport d’avril 2020. Dans une interview qu’il nous a accordée, le président du groupe, Dr Zacharia Tiemtoré, nous livre leur lecture de la situation qui prévaut au Burkina Faso et les stratégies pour en sortir.

Lefaso.net : Pourquoi faire encore une analyse de la situation, sachant que les autorités ont reçu toutes sortes de propositions et d’analyses sur le sujet du coronavirus et ses implications ?

Dr Zacharia Tiemtoré : Lorsque la maison commune traverse des difficultés, il sied que tous ses habitants s’en préoccupent et contribuent à la recherche de solutions. C’est bien cet esprit qui a animé les membres du groupe, désireux, à travers la production de ce rapport, de faire leur part citoyenne. En matière d’idées, vaut mieux trop que pas assez. Cela dit, notre rapport ne s’adresse pas uniquement au gouvernement mais également à d’autres catégories d’acteurs de la société. Vous aurez remarqué également l’anticipation dont nous avons fait montre en considérant que la vie devait se poursuivre malgré cette pandémie. Nous avons ainsi identifié les secteurs stratégiques dans ce contexte particulier en réfléchissant aux défis à relever pour demeurer une nation vivante sachant résister à cette secousse mondiale. En nous plaçant donc dans l’optique du survivant, nous avons pensé à ce qui pourrait être mis en œuvre, avec agilité, pour permettre au pays de sortir de la crise et de relancer ses activités.

Qu’est-ce qui différencie vos travaux des autres analyses de la situation ?

Notre rapport est en fait une note analytique qui fait le diagnostic des défis que la pandémie oppose au pays. Nous avons identifié les plus gros défis, et nous avons fait des propositions spécifiques pour chacun d’eux, en prenant le soin d’indiquer les responsabilités des acteurs qui sont concernés. Il y a des recommandations pour chaque domaine que nous avons défini comme prioritaire. C’est une démarche difficile qui exigeait de la rigueur et une mise en perspective. Notre volonté était d’aller à l’essentiel, contribuer à éclairer certaines décisions mais aussi à accélérer l’application de certaines mesures.

Présentez-nous l’équipe qui a travaillé pour fournir le document.

J’ai eu le plaisir et l’honneur de présider les travaux du groupe de réflexion et de coordonner la rédaction du rapport avec Mme Salimata Nébié/ Conombo et Dr Poussi Sawadogo. De profils divers et possédant chacun une expérience de qualité, les auteurs de ce document sont des citoyennes et citoyens qui ont souhaité par l’analyse et la réflexion apporter une contribution à leur pays en ces temps de crise. Il s’agit précisément du : Pr Serge Théophile Balima, Dr Pascal Bonkoungou, M. Seydou Bouda, Mme Jocelyne Z. Somé/ Dabiré, Dr Mahamoudou Kiemtoré, M. Daouda Mounian, Mme Salimata Nébié/ Conombo, M. Célestin Pouya, Dr Poussi Sawadogo, M. Gérard Zongo, et de moi-même. Nous avons travaillé en mode confinement avec de longues heures de communication et d’échange sur les idées et les approches.

Au-delà des auteurs du rapport à qui je renouvelle ma reconnaissance, nous avons procédé à une large consultation de Burkinabè spécialistes en santé, en sécurité, en économie, résidents ou non au pays. Tous étaient volontaires et enthousiastes pour faire ce travail. C’est l’occasion, ici, de réitérer mes remerciements à chacun qu’il soit au Burkina Faso, au Canada, en Côte d’Ivoire, en Ethiopie, en France, en Mauritanie ou au Sénégal. Nous avons veillé à être méthodiques pour ne rien laisser au hasard dans un environnement mouvant et fluctuant. La maîtrise des TIC par les membres de l’équipe a été déterminante pour collaborer avec efficacité. Travailler ensemble sur ce document a été une expérience gratifiante pour chacun de nous.

Il est certain que le covid-19 impacte les secteurs sanitaires, socioprofessionnels et économiques du Burkina. Qu’elle est le bilan que vous avez pu établir en la matière ?

Il serait hasardeux au regard du peu de données disponibles en ce moment d’établir un bilan complet et sérieux. Au niveau sanitaire, nous savons que la barre des 50 morts a été franchie il y a quelques jours et que des dizaines de personnes souffrent toujours de cette maladie. Nous leur souhaitons, du reste, une guérison rapide et exprimons notre compassion à toutes les familles éplorées. Au niveau économique, les conséquences liées à l’arrêt des activités du secteur privé formel et informel, la perte d’emplois et de revenus, la détérioration des conditions de vie des ménages et les difficultés pour les agriculteurs d’écouler leurs produits sont très lourdes et représentent une vraie menace de paupérisation accrue des populations. Au plan sécuritaire, il est noté une dégradation de la situation sur le terrain et particulièrement dans l’Est du pays. Au niveau de l’éducation, l’arrêt prolongé des enseignements au préscolaire, au primaire et au secondaire impacte des millions d’enfants dont certains pourraient ne plus jamais retrouver le chemin de l’école. Dans les semaines et les mois à venir, nous pensons qu’il sera possible de chiffrer, secteur par secteur, les lourdes conséquences de cette pandémie.

Quels sont les secteurs les plus touchés au Burkina Faso ?

D’une manière globale, l’économie et l’éducation apparaissent comme les secteurs les plus touchés mais, en réalité, tous les secteurs et sous-secteurs ressentent les effets de la crise. Nous pouvons citer par exemple le secteur de l’évènementiel culturel, de l’hôtellerie, celui des transports terrestres et aériens ou encore le secteur de l’humanitaire confronté à une hausse des besoins avec des ressources financières de plus en plus limitées.

Comment avez-vous apprécié les mesures prises par le gouvernement et leur mise en œuvre ?

Parmi les mesures prises par le gouvernement, il y a celles qui visaient à lutter contre la pandémie notamment en limitant la propagation du virus et celles qui consistaient à soutenir les personnes les plus vulnérables pour leur survie. Les premières mesures citées, bien que nécessaires au début de la crise, à titre de précaution, auraient gagné en efficacité avec une meilleure communication et un ajustement continu en fonction de l’évolution de la maladie dans le pays. Les mesures sociales en faveur des plus démunis ont été accueillies favorablement. La requête des populations, néanmoins, était que cette aide soit plus importante et qu’elle touche davantage de personnes et notamment dans les quartiers périphériques des villes et surtout celles vivant en zone rurale. Il reste à souhaiter que des ajustements soient apportés à ces mesures au profit des populations vulnérables comme nous l’avons suggéré dans le rapport.

Au plan sanitaire vous dites dans votre rapport que la pandémie pose le problème de l’existence puis de la mise en œuvre d’une stratégie de lutte cohérente et adaptée face aux maladies de cette nature. Pourquoi dites-vous cela ?

En écrivant cela, nous voulions souligner la nécessité pour notre pays de travailler à mieux se préparer contre ces menaces qui pourraient se multiplier au cours des prochaines années. Cela passe nécessairement par l’implication des communautés dans l’élaboration des stratégies de riposte et par des exercices réguliers de simulation permettant d’adapter les plans au contexte. Si cela était encore nécessaire, cette crise a apporté la preuve que nous ne devions compter que sur nous en développant notre capacité de prise en charge et de maîtrise de notre destinée. Nous avons pu également constater que nous étions des humains pas moins solides que les autres et que nous gagnerions à croire davantage en nous. Par conséquent, il nous faut parvenir à consolider notre système de santé et à repenser la prévention des maladies infectieuses, la recherche, la place de la médecine traditionnelle dans l’offre de soins afin d’être plus efficaces et autonomes.

Dans le domaine de l’éducation vous imaginez plusieurs scénarii pour la reprise des cours, sans toutefois dire le scénario qui vous parait meilleur. Présentez-nous ces scénarii et dites-nous lequel vous semble approprié dans la situation actuelle ?

Nous avons posé comme postulat essentiel la sauvegarde de l’année scolaire et académique 2019-2020 et sur cette base, nous avons élaboré en effet différents scénarii destinés à accompagner la réflexion des décideurs. Le premier scénario consistait à reprendre les cours dès que possible en avril ou mai avec un réaménagement du programme, du calendrier scolaire et des examens reportés de quelques semaines. Le deuxième proposait d’anticiper les vacances scolaires d’avril à juillet afin de reprendre en juillet ou août avec une organisation des examens en septembre. Le troisième scénario prévoyait, quant à lui, une reprise en octobre pour achever l’année en décembre, puis le démarrage en janvier 2021 de la nouvelle année scolaire. Le dernier scénario préconisait la validation de l’année sur la base des évaluations déjà effectuées tout en renonçant à organiser les examens nationaux.

Nous aurions pu, du reste, proposer un autre scénario qui serait une combinaison des scénarii présentés plus haut. Il faut préciser que dans le rapport chaque scénario est accompagné des principaux avantages et inconvénients ainsi que des risques encourus. Au fil des jours, les options se réduisent et la marge de manœuvre s’amenuise.
Reprendre les cours est pourtant primordial pour de nombreux enfants et leurs familles surtout en milieu rural. Voilà pourquoi nous avons vraiment insisté sur la nécessité de mener en urgence une large concertation avec tous les acteurs afin d’élaborer un plan de reprise accepté de tous avec évidemment les mesures d’accompagnement nécessaires. Car, en définitive, la meilleure option pour nous est celle qui tient compte de la criticité des risques identifiés mais sans tomber dans l’exagération, emporte l’adhésion des différentes parties prenantes et permet de sauver l’année et d’éviter le décrochage scolaire massif.

Vous soutenez aussi que l’isolement de fait du Burkina Faso, s’il perdure, finira par asphyxier le pays et provoquer des troubles sociaux à même d’impacter négativement la stabilité politique du pays. Pourquoi une telle affirmation ?

C’est un simple constat. Notre pays, à l’instar des autres de la sous-région, a besoin de pouvoir travailler et de mener des activités notamment commerciales pour vivre. Une des illustrations est l’actualité relative à l’ouverture des marchés et des lieux de culte. En vérité, la levée des quarantaines, l’assouplissement des mesures du couvre-feu, la relance des transports inter-urbains ont contribué à baisser la tension sociale et économique. Le pays se mourait vraiment. Comme nous l’avons suggéré dans le rapport, nous devons renforcer la prévention en misant plus sur le changement de comportement des populations que sur une stratégie d’enfermement qui a d’ailleurs très vite montré ses limites chez nous et partout dans le monde. Insistons par conséquent sur la prévention et la responsabilité individuelle et collective pour faire face à cette crise.

Un tel phénomène n’aidera-t-il pas le Burkina Faso à développer ses forces productives afin d’améliorer ses capacités de résilience et prendre une certaine indépendance vis-à-vis de l’extérieur ?

La souffrance peut, par moment, être en effet instructive. Mais dans l’immédiat, il fallait surtout pouvoir éviter les affrontements et un probable effondrement dont le coût humain et social est toujours très élevé. Toutefois, la crise en elle-même a provoqué une formidable dynamique sociale et révélé, une fois de plus, une résilience des populations. Dès la confirmation des premiers cas, les citoyens ont pris en main la communication et la prévention en diffusant les messages officiels du ministère de la santé. Ils ont commencé bien avant le gouvernement à produire des masques de protection, du savon, des gels hydro alcooliques avec les moyens du bord. Il faut d’ailleurs faire ici une mention spéciale aux femmes qui étaient en première ligne sur le front de l’information et de la communication, sans compter l’élan de générosité de tous les acteurs pour soutenir le gouvernement et les acteurs de la santé. Les femmes et les jeunes se sont organisés et se sont jetés sans rétribution quelconque dans la bataille de l’information qui était cruciale pour contrer l’épidémie et la transmission communautaire. Tout le pays s’est mis au travail contre ce virus et cela évidemment est à saluer. D’ailleurs, notre groupe s’est constitué dans cet environnement exemplaire et engageant. En temps opportun, nous saurons tirer avantage de cette résilience et de la victoire que nous avons eue sur la peur et la résignation.

A court terme, la loi de finances rectificative pourrait constituer une première réponse si elle accorde des ressources additionnelles aux secteurs sociaux et au secteur productif rural. Quel est le scénario qui peut se mettre en place dans votre proposition ?

Une relecture de la loi de finances 2020 serait l’occasion de geler certaines lignes budgétaires et de réaffecter les ressources ainsi dégagées aux priorités du moment comme la santé, l’éducation, la sécurité. Il faudrait prévoir également un soutien pour aider les entreprises les plus touchées à redémarrer afin de minimiser la catastrophe humaine qu’occasionneraient les nombreux licenciements pour défaut d’activité. Le secteur productif rural devra faire l’objet de toutes les attentions pour lui donner les moyens nécessaires de faire une campagne exceptionnelle en termes de production. Il nous faut absolument éviter qu’une crise alimentaire vienne complexifier davantage la situation et la précarité des populations. Une réflexion spécifique et approfondie sur les recettes et la trésorerie en cette période difficile est absolument utile et nous sommes prêts à y participer.

Vous faites des recommandations pour chaque secteur que vous examinez et qui nécessite la prise de mesures. D’autres analystes ont embouché la même trompette. Ne pensez-vous pas que le pays manque de moyens pour pouvoir satisfaire toutes ces recommandations ?

Les recommandations formulées sont à l’endroit de plusieurs acteurs. Tout le monde a sa part à assumer. Du reste, il y a des possibilités insoupçonnées dans notre pays surtout si nous parvenons à construire un pacte de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. C’est cette opportunité que nous apporte la pandémie. Nous reconstruire à partir de nos réserves et de nos capacités tout en restant ouverts au monde. La spécificité de notre approche est de mettre en avant des propositions claires pour y parvenir. Nous avons l’avantage d’avoir défini l’environnement propice qui favoriserait un nouveau contrat social entre les Burkinabè et leur pays, qu’importe qui le dirige ou souhaite le diriger.

Vous abordez aussi les domaines de la recherche, de la sécurité et du dialogue social. Que peut-on retenir des conclusions du rapport pour ces domaines ?

Depuis l’apparition du Covid-19, la recherche est fortement sollicitée. Il est notamment attendu d’elle de contribuer à trouver un remède et d’aider à la prise de décisions à travers des études à mener. Ce domaine devrait être particulièrement renforcé après la crise. Nous espérons que tout le monde a compris le rôle clé de la recherche pour un pays. Les chercheurs Burkinabè devraient bénéficier de plus d’égards et de moyens pour travailler. Notre avenir repose sur la recherche sous toutes ces formes. Il faut laisser émerger les chercheurs, les libérer des pesanteurs administratives pour qu’ils se consacrent à ce à quoi ils ont été formés. Penser le contraire serait une erreur fondamentale. La recherche doit profiter à la nation et pour cela, il est temps qu’on s’y penche sérieusement. Pour la sécurité, nous alertons dans notre rapport les décideurs sur la nécessité d’agir sur ce front et de ne pas s’en détourner à cause de la présence du Covid-19. De même, nous rappelons l’urgence de la concertation et du dialogue social dans le but de construire l’unité nationale pour faire face au péril. Précisons une fois encore que toutes nos analyses sont accompagnées de recommandations claires sur le court, moyen et long terme.

Interview réalisée à distance par Etienne Lankoandé
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 17 mai 2020 à 23:45, par Bonjour En réponse à : COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

    A la question, :quels sont les secteurs les plus touchés...?
    Réponse : d’une manière globale..l’économie et l’éducation...mais il y a aussi les secteurs et sous secteurs comme...l’hôtellerie, les transports aériens et terrestres....
    Parce que l’hôtellerie et les transports ne sont pas dans la vie économique ?
    Merci monsieur l’intellectuel...

  • Le 18 mai 2020 à 07:37, par kwiliga En réponse à : COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

    "si nous parvenons à construire un pacte de confiance entre les gouvernants et les gouvernés."
    Messieurs les intellectuels, il semblerait que vous ne viviez pas la même réalité que la majorité de vos concitoyens.
    Comme tous les autres grands théoriciens, vous venez ici nous parler de résilience, alors que nous ne vivons que dans le fatalisme et la résignation. Arrêtez donc de dénaturer ce mot.

  • Le 18 mai 2020 à 15:25, par Noufou En réponse à : COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

    Encore une bande d’"intellectuels" auto-proclamés. Qui veut me rejoindre bientôt dans un maquis de la place, on va faire un groupe de réflexion sur le confinement et l’addiction alcoolique ?

  • Le 19 mai 2020 à 19:48, par tass En réponse à : COVID-19 : Des intellectuels burkinabè proposent une stratégie de sortie de crise

    J’ai lu, avec beaucoup d’intérêt, le rapport complet qui est également joint à cette interview donnée par le Président de ce groupe de réflexion composé de plusieurs intellectuels burkinabè de différentes spécialités.

    Sa lecture en vaut le détour : une véritable mine d’informations et d’analyses que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire.

    Félicitations aux auteurs de ce rapport clair, structuré, sans approche partisane et qui propose de véritables pistes pour apporter des solutions à différentes problématiques liées directement ou indirectement à la gestion de la maladie du Covid-19 au Burkina et même pour après la crise du Covid-19.

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