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Coronavirus et les humanités : Lecture panafricaniste d’un prêtre

Publié le mercredi 22 avril 2020 à 12h05min

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 Coronavirus et les humanités : Lecture panafricaniste d’un prêtre

Il se présente comme un enfant de la Terre. "J’appartiens à cette Terre-monde que le Créateur nous offre dans sa beauté." Alfred Diban KI est un prêtre du diocèse de Dédougou et actuellement, il est affecté au petit séminaire Saint Paul de Tionkuy comme formateur et enseignant des séminaristes. L’homme de Dieu est aussi connu pour la qualité de sa plume dans le domaine de la littérature, puisse qu’il a été lauréat du Grand Prix National des Arts et des Lettres à la Semaine Nationale de la Culture en 2004 et en 2012. Membre de la fondation Joseph Ki-Zerbo pour l’histoire et le développement, il est lui-même membre fondateur de l’Association Catholique pour le Développement Intégral. Dans cet écrit, il donne sa lecture sur l’actualité du nouveau coronavirus, la covid-19.

La sortie de l’homme maître de tout et maître en tout est un mot d’ordre du Covid-19. Contre le cours de l’accélération dans tous les domaines, ce virus à couronne a fixé le monde en son minimum de vie. À l’essentiel. Au primordial. La mobilité n’est plus, depuis quelques semaines, la preuve d’efficience et d’efficacité. Rester chez moi est désormais la règle de conduite. Vivre dans sa maison. Fréquenter sa propre demeure, intérieure et extérieure.

Le défi est énorme tant pour les personnes seules que pour les familles. La vie expansive a pris le dessus en toutes choses. Le ralenti est mal vu, la course, le plus rapide caractérisent le rythme normal des pensées et des modes d’action. Tout en cela n’est pas à victimiser. Des résultats positifs sont dus à ce système de fonctionnement. Justement, il est un système. Il ne peut être le modèle parfait, le but suprême.

Le coronavirus ébranle ce système par le milieu. Il en fait tomber les branches avec les fruits mûrs, pourris, les replis identitaires du système. Les racines du système de la course sont aussi atteintes par le branle. Secouées fortement, elles mettent au grand jour les fragilités de toutes les constructions du génie humain. Aucune n’est complète. Aucune n’est le point d’Archimède pour soulever en un coup le monde. La réalité du monde est à la fois complexe et fuyante. Il est dangereux de la décomplexifier banalement, de l’enfermer dans une partie absolutisée. Il est dangereux aussi de l’arrêter à une donnée d’ancrage. Le monde est mouvement. Certes ! Mais un mouvement de reproduction et de créativité. Un mouvement de dépassement et de continuité.

Le Covid-19 révèle que les limites du dépassement sont dépassées au point de briser la continuité. Un monde sans histoire. La mémoire étant un simple musée de comptabilité et de souvenirs neutres.

L’accumulation des savoirs, des avoirs, des connaissances, des pouvoirs, ne va pas de pair avec la sagesse, matrice indispensable à la constitution personnelle et communautaire. Le Covid-19 interroge de ce fait chacun et tous. Organisations internationales, structures étatiques, religions. Rester chez soi est aussi une éthique de se poser des questions essentielles, primordiales. Quels sont les amers qui conduisent notre navire dans la mer déchainée ? Le fond est de retrouver les humanités fondamentales : liberté, justice, vérité, amour. Elles constituent le souffle nécessaire et suffisant pour toutes les sciences. Elles sont la gardienne des stabilités sociales, économiques et politiques. Ces humanités fondamentales sont malheureusement prises dans les tourbillons des fondamentalismes, des nationalismes larges et des idéologies.

La lutte contre le Covid-19 a montré ‘les pieds d’argiles’ des structures représentatives du vivre-ensemble. Défaillances. Désaccords. Encore la course, l’accélération pour protéger ici et détruire là. Le système est maintenu. Il mute des stratégies. Il se dote d’un nouveau moteur. Plus puissant peut-être !

La peur de sortir de chez soi pour continuer le système est grande. Habituer aux gestes barrières légitimes pour éviter la propagation du coronavirus, le risque est probable de les utiliser pour renforcer les isolements, les virtualités, les sélections discriminatoires. Gestes barrières pour se protéger contre la maladie. Oui. Gestes barrières pour exclure, pour prendre des mesures musclées suscitant regain de violences meurtrières. Non. René Girard a analysé de façon pertinente le phénomène de bouc émissaire qui induit les comportements de foule face aux déséquilibres sociaux et religieux. Quels sont les boucs émissaires du Covid-19 ?

En Afrique, des manifestations contre le confinement dans son expression première ont eu lieu. Les conditions sociales et les habitudes culturelles expliquent en partie les réactions. Posons tout de suite cette idée barrière. Les différents mouvements constatés dans certains pays africains ne signifient pas une insouciance totale du danger imminent du virus. La faute d’immaturité n’est pas vraie. La mort n’est jamais recherchée. Elle est fuie, conjurée en moult rites de rester dans son ‘village’.
Les protestations des populations frappent le tambour d’une guerre plus urgente.

Quand des jeunes à l’heure du couvre-feu ‘s’amusent’ à défier les forces de l’ordre, comme dans un scénario de film d’action moderne, le triste spectacle convoque la question éducative. N’est-elle pas confinée à la répétition ou la récitation mécanique des choses pensées et dites ailleurs ? Ailleurs n’est pas ici. Même si ici et ailleurs ne sont pas complètement sans apport, sans influence réciproque.

L’éducation endogène qui comprend l’homme dans son milieu de vie pour le projeter dans le monde global comme un sujet-acteur est à prioriser. Quand de nombreuses personnes prennent des pistes aux allures impraticables sous des soleils de plomb ou usent de stratagèmes pour pratiquer leurs activités informelles, bravant des dangers - elles le savent - au défi des arrêtés du gouvernement, le drame des choix de vie ou de mort invoque de nouvelles compréhensions et une autre mise en route du développement.

Ce mot de développement, usité en particulier pour les pays dits pauvres, peut sonner vide, s’il ne se situe pas toujours dans les regards colonialistes avec des lunettes neuves. Le concept a sa valeur d’être dans la belle association avec un mot de résistance pour donner ‘développement endogène’. L’aventure est ambiguë. Elle demande de sortir de l’oubli du passé ou de son rappel fétichiste. Elle demande de trier les expériences. Le développement endogène rassemble les matériaux nécessaires pour une architecture à même de construire de nouvelles pyramides dans tous les domaines. Avec le trait de liaison humanité ou ubuntu.

Dans cette perspective, l’Afrique a le terrain large de puiser dans sa longue histoire la force de résilience pour parler de sa propre voix, construire de son imagination originale ses structures.

KI Alfred Diban,
Prêtre, écrivain

NB : Le sous-titre et le chapo sont de la rédaction de votre site d’information lefas.net

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Vos commentaires

  • Le 22 avril 2020 à 13:35, par Vérité indiscutable En réponse à : Coronavirus et les humanités : Lecture panafricaniste d’un prêtre

    Que tu sois prêtre, ne m’importe guère. Que tu sois écrivain, encore moins. Que ta plume soit belle, je l’admets avec beaucoup d’admiration. Que tu sois un africain, un vrai digne descendant de l’oncle Ki Zerbo, je le vois dans la facilité de torpiller allègrement la langue de ceux qui ont pensé que la pensée leur appartenait... rires en-deçà ! Que bougre intelligent tu es et qu’admirable tes lignes quand elles se laissent égrener dans la plus tendre suavité des contours de Molière.
    Quand ceux qui, de leur estrade, se rendent compte que l’air est plus haut que leur esplanade sans y pouvoir faire nulle autre chose, alors les racines culturelles pleines de fertilité peuvent rire sous cap, parce que d’elles viennent la sève. Mais ton Afrique est-elle vraiment à mesure de comprendre qu’elle produit la sève ; et ne jamais laisser ses enfants envier le palace avec son esplanade ; et proposer aux habitants de l’estrade de redescendre sur mère terre réalité ?
    Ce qui est sûr, Coronavirus dans l’air aurait pu enseigner et merci à toi de nous l’avoir rappeler. Maintenant, que ce coup de glaive touche à la partie sensible...

  • Le 22 avril 2020 à 21:27, par Discutons d’idées En réponse à : Coronavirus et les humanités : Lecture panafricaniste d’un prêtre

    Quand les hommes de Dieu s’intègrent et s’intéressent aux débats et luttes panaficanistes, cela fait un autre son de cloche intéressant à entendre. J’ai bien aimé cette analyse. J’ai lu certains écrits de cet écrivain très poignant. Bon vent, Ki Alfred Diban ! La jeunesse africaine a besoin de vous lire et de vous écouter. En plus des prêches de l’ambon, vous nous faites découvrir que les hommes de Dieu sont avant tout des citoyens qui ne doivent pas se désintéresser de la vie dans la cité des hommes.

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