« Il y a 20, 30 ans, le Burkina Faso était en phase de labéliser son cinéma » Souleymane Ouédraogo, directeur général de l’ISIS-SE
LEFASO.NET | Tiga Cheick SAWADOGO
Cette 25e édition du FESPACO a mis en lumière la formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel. Un thème qui s’adresse directement aux écoles et structures de formation dans les différents domaines du 7e art. Justement, L’institut supérieur de l’image et du son-Studio école (ISIS-SE) qui a fêté récemment ses 10 ans d’existence fait office de pépinière des acteurs du cinéma national et africain. Selon son directeur général Souleymane Ouédraogo que nous avons rencontré, c’est l’avenir même du cinéma africain qui a été évoqué à travers le thème de la 25e édition de la biennale. Dans cette interview, il nous parle des nouveaux enjeux et défis de la formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel dans un contexte de révolution technologique des outils. Il évoque également entre autres, la nécessité d’une industrialisation du 7e art.
Lefaso.net : Cette 25e édition du FESPACO met l’accent sur la formation des acteurs aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel. Comment appréciez-vous cette thématique, vous qui êtes dans la formation ?
Souleymane Ouédraogo : Le choix du thème est très pertinent, parce que d‘actualité, mais aussi quand on voit l’évolution du FESPACO, on sent le renouvellement des générations. Le FESPACO va fêter son 50e anniversaire en 2019, on sent venir des jeunes. En même temps, il y a cette interpellation, ce besoin de voir davantage de jeunes aux premières loges des sélections officielles du FESPACO. Comme ne n’est pas toujours évident, je pense que le thème est une invite aux structures de formation de maitriser davantage les programmes de formation, les métiers en adéquation avec l’évolution de la technologie. C’est une interpellation vis-à-vis des pouvoirs publics, en termes d’engagements plus forts.
C’est aussi une interpellation vis-à-vis des professionnels en termes de qualité d’organisation et de structuration. Nous avons ce déficit malheureusement au niveau du secteur du cinéma et de l’audiovisuel. C’est ce qui fait du reste, que nous n’arrivons pas à créer des déclics industriels pour faire du cinéma et l’audiovisuel un secteur porteur, contributif au PIB de nos différents pays.
La formation, elle est d’avantage portée vers les corps de métier, mais elle devrait pouvoir se faire également en direction des pouvoirs publics, du monde des affaires en termes d’implication, d’appropriation des mécanismes qui fondent la dynamique du développement du cinéma et de l’audiovisuel.
C’est tout cela qui va permettre à nos pays de nourrir un nouvel environnement propice au développement d’une véritable industrie du cinéma et de l’audiovisuel.
Mais il y a aussi le manager, le spécialiste du marketing, de la gestion, des statistiques, de la planification qui n’ont malheureusement pas été formés. Ces porteurs d’eau qui permettent que le tissu industriel se mette en route. Il faut travailler à les ramener dans le sillage et permettre que les capacités d’organisation puissent nous amener à avoir des nouveaux mécanismes de financement qui prennent en compte tout le tissu industriel national, sous régional, pour ne pas dire mondial.
Il y a des fondamentaux qui n’existent pas encore. Qui construit une salle de cinéma ? Ce n’est pas le cinéaste, ce sont des entrepreneurs économiques qui savent qu’en construisant une salle de cinéma, un public viendra dans les salles.
Justement est-ce que tout que ce vous évoquez a été discuté durant ce FESPACO. Des pistes de solutions ont-elles été trouvées ?
Cela a été longuement discuté. En même temps que les responsables et structures de formation étaient interpellés en termes de capacités à structurer davantage, en termes de recherche de métiers porteurs au regard de l’évolution de la technologie ; c’est tout un environnement. Au-delà des écoles qui s’installent dans un contexte socio professionnel et économique. Il y a eu des interpellations vers les pouvoirs publics, les privés pour un engagement et une implication beaucoup plus forts.
Les professionnels ont aussi été interpellés pour que des administrations du cinéma permettent d’organiser l’environnement cinématographique et audiovisuel. Dans la réglementation, la régulation, la moralisation et l’assainissement du secteur.
Le cinéma doit financer le cinéma, c’est ce schéma qu’il faut arriver à mettre en route. Cela nous inspire fortement, mais on a estimé qu’il était vraiment temps que nous nous impliquions davantage dans la mise en place des structures qui fondent l’organisation d’un tissu industriel au profit de ce secteur.
On a l’impression que c’est l’avenir même du cinéma africain qui a été évoqué à travers ce thème. Etant qualifié de capitale du cinéma africain, pensez-vous que Ouagadougou avait une responsabilité d’en parler ?
Tout à fait, parce que nous portons le label de capitale du cinéma de par le FESPACO, le Burkina Faso a cette obligation de garder la veille et continuer à garder le leadership en la matière. Le thème tel qu’il a été discuté accorde plus de responsabilité au Burkina Faso, chargé quelque part du pilotage opérationnel par rapport aux attentes des pays africains présents au FESPACO et des partenaires qui financent l’organisation du festival.
On peut penser que ce sont de vieux problèmes, mais il n’est jamais tard pour revisiter l’histoire pour se projeter dans l’avenir. C’est ce qui a été fait à l’issue du colloque par le manifeste qui a été élaboré et adopté, et surtout par les fortes recommandations qui ont été prises à l’adresse du monde des affaires, des pouvoirs publics, des professionnels, des responsables des centres et écoles de formation. C’est important parce que c’est un secteur économique, et les économistes disent que l’homme est le premier facteur de production et la formation reste dans toutes les stratégies de développement l’alpha et l’oméga dans la réussite de nos politiques.
Pour prendre des exemples, les Etats Unis portent le cinéma comme 2e produit d’exportation, au Brésil c’est pratiquement la même chose, en Inde c’est acquis. Il y a 20, 30 ans, le Burkina Faso était en phase de labéliser son cinéma en Fasowood ou en Ouagawood. Mais nous sommes dans le processus. Le Nigéria a trouvé les moyens, les mécanismes internes pour booster son secteur et nous parlons de Nollywood depuis cette dernière décennie. C’est possible à condition que nous restions à l’écoute du monde, que nous nous inspirions des meilleures pratiques. Nous avons un potentiel assez énorme, de par la qualité des hommes, des cinéastes ont prouvé que les talents existent, il y a des films de renommées internationales.
Votre structure a fêté du 31 janvier au 4 févier 2017, ses 10 ans d’existence. Qu’est-ce qu’on peut retenir de l’ISIS après une décennie et quelles sont vos perspectives ?
C’est vrai l’ISIS a fêté ses 10 ans d’existence statutaire. Ce fut une célébration placée sous le signe du bilan et des perspectives.
L’ISIS en 10 ans, c’est la formation des jeunes recrutés à partir du Baccalauréat ; formés pendant trois ans pour une licence professionnelle dans cinq filières. La production, la réalisation, l’image, le son et le montage. Avec la possibilité d’un master pour deux filières, en réalisation fiction, et en réalisation de documentaires.
En 10 ans, l’ISIS a formé environ 200 jeunes professionnels des métiers de 18 nationalités. Parmi ces jeunes, il y a un bosniaque, c’est particulier parce que prendre le choix et l’option Burkina pour apprendre le métier du cinéma, il faut le faire. On a aussi des européens et des nationalités africaines.
Tous ces jeunes ont permis d’assurer un maillage au niveau de l’environnement audiovisuel et cinématographique national et africain. Au palmarès de grands moments comme le FESPACO où il y a une catégorie dédiée aux films d’écoles, l’ISIS a toujours répondu présent à travers les films des étudiants.
En 10 ans, ce sont 80 films réalisés par les étudiants sur des différentes thématiques, en rapport avec leurs attentes, leurs avis sur la société, sur la vie.
En 10 ans, c’est aussi une dynamique de partenariat, au côté de l’Etat Burkinabè qui est le principal appui pour que la structure existe et vive. Mais il y a aussi des partenaires traditionnels avec des pays européens, et des ONG.
L’anniversaire a donné l’occasion de tracer des perspectives, en termes de consolidation des acquis. C’est de donner plus de visibilité à la structure. Nous avons travaillé beaucoup à recadrer l’offre de formation pour la diversifier. A côté de la formation initiale, nous avons élaboré un plan de formation continue, pour accompagner les professionnels qui ont besoin de renforcements de capacités, au regard de l’évolution de la technologie. Nous sommes dans un contexte de télévision numérique de terre qui impact sur la formation, sur l’ensemble des corps de métier. Il faut proposer aux professionnels actifs, des modules de renforcement de leurs capacités pour rester dans l’ère du temps.
Le programme de formation a été relu pour donner une grande place à la pratique. Egalement, au niveau de l’encadrement pratique de la production, il y a une direction de studio école qui connait une nouvelle dimension parce que l’ISIS va être de plus en plus à l’initiative, porteur d’engagements vis-à-vis de certains partenaires. Les étudiants vont être dans un système d’appel à projets interne à l’institut.
Tous les étudiants qui sont sortis sont enveloppés dans un concept dit junior. L’ISIS pense qu’il y a une responsabilité à porter. Tous ces étudiants formés ont besoin d’accompagnement pour une insertion professionnelle. Avec des partenaires, nous avons discuté avec des anciens étudiants pour qu’à partir de 2017, chaque année, nous puissions leur dédier des appels à projets pour les accompagner dans la réalisation de certains de leurs films.
Nous avons lancé le concept graine d’intégration qui sera un projet porté par l’ISIS-SE en rapport avec les autres écoles de la sous-région. Cela devrait permettre à nos étudiants d’être dans une dynamique de coproduction. C’est un énorme prétexte pour amener les jeunes à avoir un regard croisé, à travers une dynamique d’intégration beaucoup plus forte.
Il y a également une plateforme de coopération intergénérationnelle pour que les anciens étudiants accompagnent ceux qui sont toujours à l’école. Nous prévoyons également le renforcement de plateforme technique. La technologie évolue, il faut que nous soyons à même de remplacer certains de nos équipements qui deviennent désuets
Justement, on sait que le numérique est devenu une exigence dans le cinéma, est-ce que vous avez toujours formé vos étudiants en numérique, ou bien c’est entre temps que cela est venu ?
L’ISIS a 10 ans, les premières générations ont connu le numérique, mais ont aussi travaillé sur l’analogie. L’ISIS est quand même héritière d’anciennes structures comme la direction de la production cinématographique qui avait des caméras et des tables de montage analogiques.
Mais depuis, l’ISIS travaille en tout numérique. C’est le contexte technologique qui le demande. Mieux nous avons des équipements haute définition acquis grâce à la coopération avec nos partenaires. Nous restons à l’écoute du monde et il y a une veille interne qui permet de suivre l’évolution de la technologie. En fonction des disponibilités budgétaires, nous faisons régulièrement des acquisitions.
Les étudiants qui sortent de l’ISIS ne sont donc pas en déphasage avec l’évolution technologique actuelle…
Pas du tout. Mieux, en interne, il y a des choses qui se font. Il y a des masters class et des ateliers spécifiques qui font recours à des experts extérieurs qui arrivent avec des nouveaux outils, par rapport à l’encadrement. Donc nous restons constamment dans l’ère du temps pour permettre aux étudiants d’être dans l’actualité par rapport à la technologie.
Pour terminer, revenons au FESPACO, comment avez-vous trouvé la qualité générale des œuvres à cette 25e édition ?
Pour tout avouer, le niveau est très élevé, quand on mesure la sélection des 20 films longs métrage pour la compétition dans cette catégorie. Je pense que le jury devrait avoir beaucoup de difficultés, mais cela fait partie aussi de la professionnalisation du festival. Qu’une sélection se fasse au mieux avec les meilleures crues du moment et qu’un jury puisse travailler à distinguer le film qui est le plus représentatif par rapport aux critères du FESPACO.
Mais, c’est la suite qui est important. Comment ces 20 films vont circuler sur le continent. La question de la distribution se pose. Le marché en ce moment a besoin d’être construit davantage pour que ces films aient une meilleure circulation pour que les populations africaines voient leurs films. C’est ce lien avec le marché qui reste le principal handicap.
Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo
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