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CAMEG : Cette maladie congénitale qui en fait une vache à lait depuis 1998...

Publié le mercredi 17 août 2016 à 05h54min

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CAMEG : Cette maladie congénitale qui en fait une vache à lait depuis 1998...

A l’entame de notre intervention sur la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels Génériques et des consommables Médicaux (CAMEG), nous voudrions préciser aux lecteurs que nous nous exprimons ici en qualité de médecin et juriste. S’il en était encore besoin de le rappeler, le médecin que nous sommes devient inutile s’il active ses neurones pour poser un diagnostic sans que l’on puisse rendre disponible le bon médicament à son malade.

Nous avons décidé d’adopter la forme de l’anonymat, non pas par lâcheté, mais simplement pour éviter les amalgames entre notre personne physique et les personnes morales auxquelles nous appartenons. Du reste, nous restons disponibles par mail pour assumer notre discours sur la CAMEG, qui n’a également pas varié depuis la transition où le Gouvernement de la transition avait requis une relecture des textes de la CAMEG.

I) UNE NOTE D’HISTOIRE :

La Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels Génériques et des consommables Médicaux (CAMEG) a été créée par décret N°92-127/SAN-ASF du 21 mai 1992, modifiée par le décret N°94-070/PRES/SASF du 15 février 1994. Sous la forme d’un projet avec un statut d’EPIC. L’évolution de la CAMEG a connu plusieurs étapes, parmi lesquelles la plus importante est la modification de son statut juridique en une forme associative en 1998 sous les récépissés N° 98 053/MATDS/SG/DGAT/DLPAJ du 05 février 1998 portant déclaration d’existence et N° 98-160/MATDS/SG/DGAT/DLPAJ du 11 Mai 1998 portant déclaration de changement dans la composition de l’organe dirigeant.

Nous aboutissons ainsi à une association hybride privée avec une comptabilité privée ayant le monopole de l’approvisionnement de l’ensemble des structures publiques de santé en médicaments et consommable médicaux.
Une vue synoptique sur cette association est très édifiante.

II) DES INCOHÉRENCES JURIDIQUES DES STATUTS AUX ANTIPODES DU DROIT POSITIF RÉGISSANT LES ASSOCIATIONS AU BURKINA FASO

La CAMEG une Association créée sous l’empire de l’ancienne Loi n°10/92/ADP du 15 décembre 1992 portant liberté d’association.

  Une association qui ne dispose pas dans ses statuts d’une instance suprême qu’est l’Assemblée Générale (AG). Cela, malgré qu’il soit mentionné la signature des membres fondateurs : (UE, France, GIZ, Pays-Bas, OMS, UNICEF, le Ministère de la Santé, le Ministère des Finances le Ministère du Commerce), comme étant membres de « l’Assemblée Générale Constitutive ". cf page 14 des statuts. De ce qui précède les membres statutaires de devraient en principe être constitués de l’UE, la France, la GIZ, les Pays-Bas, l’OMS, l’UNICEF, le Ministère de la Santé, le Ministère des Finances le Ministère du Commerce. Hélas, la volonté de tronquer la forme juridique était congénitale.

  Le droit positif régissant la liberté d’association en 1998 disposait expressément en son ARTICLE 3 : « Toutes personnes désirant former une association dotée de la capacité juridique doivent observer les formalités ci-après :
 asseoir une instance constitutive (Assemblée Générale, Congrès…) ;
 soumettre à cette instance, pour adoption, les projets de statuts portant l’objet, les buts, la durée, le siège et le règlement intérieur de la future association ;
 procéder à la désignation des membres dirigeants de l’association ;
 établir un procès –verbal des travaux de l’instance constitutive avec mentions obligatoires de la composition de l’organe dirigeant, l’indication de l’identité et des adresses complètes de ses membres. Les associations, seule l’Assemblée Générale est l’instance suprême de délibération ».
Un organe d’administration ne saurait se substituer à une instance l’association CAMEG dispose à son article 9 que le Conseil d’Administration est l’organe de délibération.

  La comptabilité de la CAMEG est de type privé (art 16 des statuts). Dans cette association les commissaires aux comptes sont nommés par le CA, cela est aux antipodes de l’orthodoxie financière. le CA désigne ses propres contrôleurs. Dans une association, les commissaires aux comptes sont élus/désignés en principe par l’AG.

  La CAMEG est une association hybride avec les textes d’un établissement public c’est le CA qui décide de la politique de la CAMEG. Autant dire de la politique de l’approvisionnement des médicaments génériques de 18 millions de Burkinabés.

  Le Conseil d’Administration (CA) de la CAMEG décide de prolonger à l’an 2000 sa propre durée de 2 ans à 3 ans. Evidemment, cette modification n’a pas été publiée au Journal Officiel (JO). Ils auraient pu la prolonger à « 37 ans » puisque détenant les pouvoirs les plus étendus. Le CA en principe ne peut pas modifier les dispositions qui le régissent sa propre durée. Le CA est un organe (d’administration) et non une instance (de décision et d’orientation). Dans ce cas-ci, la modification devrait être portée à l’attention du Ministère chargé des libertés publiques pour délivrance d’un récépissé de changement d’organes dirigeants comme. l’ARTICLE 44 de l’ex loi n°10/92/ADP disposait : « Toute modification dans les textes constitutifs de toute association, union d’associations ou fusion d’associations, doit être portée, dans les mêmes conditions de l’article 4 à la connaissance de l’Autorité compétente qui en délivre récépissé. Il en est de même en cas de changement dans la composition des organes dirigeants ». Le MATDS ne pourra se prononcer qu’au vu du PV de l’AG des membres et non du CA.

  La CAMEG dispose d’un comité de supervision et de contrôle. L’article 11 des statuts dispose : il peut transmettre ses suggestions et observations au CA et au DG. Il dispose de pouvoirs les plus étendus : il peut convoquer un CA extraordinaire ; il peut introduire toute question qu’il juge nécessaire dans l’ordre du jour des séances du CA. Tel que présenté dans les statuts, le comité de supervision devrait être au-dessus du CA et devrait de ce fait représenter les pouvoirs dévolus à l’AG. Par conséquent, les membres du CA ne peuvent en aucun cas, modifier les dispositions qui régissent le comité de supervision, néanmoins ils ont décidé de leur propre chef la modification de la durée de leur propre mandat, et de modifier la durée du mandat des membres du comité de supervision qui, pourtant n’est pas défini ni limité par les statuts.

  Le comité qui supervise la CAMEG est ampliataire, sous la responsabilité du DG de tout rapport d’audit et d’inspection, faudrait-il encore que le DG veuille se faire « hara-kiri » en lui envoyant un rapport qui l’incrimine.

  Le dernier Récépissé d’existence de la CAMEG date de 1998 et les statuts de 1998 dispose que le CA à un mandat de 2 ans depuis l’an 2000 les administrateurs ont décidé à l’interne de siéger pour 3 ans. Des modifications ont donc été portées sur les textes de 1998, aussi au niveau des dirigeants plusieurs modifications ont été faites sans avoir déposé les nouveaux textes au MATDS en vue d’obtenir un récépissé de déclaration de modification de textes. La prescription qui consiste à déposer également, à chaque renouvellement de CA, la composition nouvelle des dirigeants en vue d’obtenir un récépissé de déclaration de changement dans la composition de l’organe dirigeant n’a pas été respectée

  Le statut d’association pose problème également : qui sont les membres adhérents ? Quid de leurs responsabilités et des cotisations à payer ? Les chancelleries, les ministères, les Organisations internationales peuvent-ils adhérer ou faire partie d’une (Association, ONG, ASBL) ? Sur le plan doctrinal, les puristes estiment que l’Etat ne peut être arbitre et joueur. L’on peut tout de même admettre que les démembrements de l’Etat peuvent faire partir de certaines associations sui generis. Cependant, le fait que l’Etat soit personne morale dans une association dont il a la prérogative de contrôler comporte indéniablement des conflits d’intérêts. Au-delà du juridisme, sous l’angle de l’éthique de l’action publique cela ne pose-t-il pas un problème ?
Nous ne voulons pas rester dans la critique facile c’est aussi un devoir citoyen de réfléchir aux pistes de solution

III) DES PISTES DE SOLUTIONS

1) LA CAMEG SOUS LA FORME D’UNE ASSOCIATION

Avantages : Une totale autonomie de la CAMEG vis-à-vis de l’Etat. Ainsi, certaines personnes qui estiment, que nos gouvernements en Afrique sont infantiles, et qu’il établiront un vase communicant entre la caisse de la CAMEG et la poche du Président du Faso, seront rassurées. Au demeurant, il faut rappeler que malgré sa forme associative depuis 1998 les Burkinabés savent très bien à qui profitait la CAMEG. Certains Partenaires Techniques et Financiers (PTF) seront satisfaits et il y aura moins de bruits et blocages. Les enjeux économiques demeurent c’est le statuquo et on continu à faire le « mouta mouta », les partenaires extérieurs dont l’assembleur de médicament d’un pays du Nord qui fournit un peu moins de la moitié des commandes de la CAMEG est satisfait. Les firmes indiennes et autres ayant des connexions avec des acteurs internes du Burkina sont satisfaites. Ainsi le pillage organisé du contribuable continu, Le DG continu à toucher autour de 3 millions par mois sans les autres avantages (02 voitures de fonction, carburant….). Si par extraordinaire la forme associative est maintenue par les décideurs publics, les représentants de l’Etat devraient représenter au moins la moitié des administrateurs et le président du conseil d’administration devrait être choisi parmi les représentants de la tutelle technique. Autrement, la CAMEG sera toujours comme elle l’a été une association dont les DG sont nommés par l’exécutif pour avoir le contrôle, tout en la maintenant à l’abri des règles de la gestion publique, une sorte de « no man land ».

Inconvénient : l’Etat ne contrôle rien le contribuable que je suis, que vous êtes et potentiel malade donc potentiel client de la structure qui a le monopole des structures publique de santé, est laissé à la merci de 11 administrateurs fut-ils les plus intelligents et les plus intègres.

Les administrateurs représentants l’Etat sont au nombre de 4 donc démocratiquement minoritaires.
Une précarité de près de 400 travailleurs qui risquent de se retrouver au chômage en cas de faillite en 2015 la CAMEG avait une dette de 15 milliards. Ce n’est nullement la reconnaissance d’association d’utilité publique qui va résoudre le problème, car la reconnaissance d’Association d’utilité publique n’emporte pas le fait que l’Etat se subroge à la CAMEG pour gérer son passif et ses travailleurs en cas de faillite. Aussi dans la perspective de l’Association qui pourrait devenir une ONG organisation non gouvernementale l’Etat peut-il toujours être membre d’une association dont il a la prérogative de contrôler ?

2) LA CAMEG SOUS LA FORME D’UN GROUPEMENT D’INTÉRÊT PUBLIC (GIP)

Avantage : la forme associative est maintenue avec l’existence de l’Assemblé Générale comme instance suprême et l’existence d’organes comme le conseil d’administration avec la présence des PTF est d’autres structures de la société civile dans le Conseil d’administration.
Le Directeur général sera recruté par appel à Candidature avec validation du conseil d’administration et nomination en conseil de ministre les partenaires auront un regard sur la transparence du processus de recrutement. Le programme National des Volontaires est un exemple qui illustre cela, les PTF, la société civile et l’Etat, font un bon ménage.

Inconvénient :
La comptabilité des GIP reste publique avec la lourdeur et le peu de réactivité que cela comporte à moins que le conseil de ministre prenne une mesure exceptionnelle pour rendre la comptabilité soit privée, c’est le cas de l’Hôpital public Blaise Compaoré qui a une comptabilité privée.

3) LA CAMEG SOUS LA FORME D’UNE SOCIÉTÉ D’ETAT

Avantage : la comptabilité est de type privé la CAMEG aura une fluidité dans son fonctionnement. La CAMEG rend des comptes à l’AG des sociétés d’Etats et Etablissements Publics. Les bénéfices reviennent aux contribuables, une sécurisation des médicaments

Inconvénient : les PTF ne seront pas rassurés, risque de mauvaise gestion et donc de faillite, précarité des travailleurs, mais amoindri, car l’Etat pourrait intervenir de droit, les fournisseurs ne seront pas rassurés

4) LA CAMEG SOUS (LA FORME D’UNE SOCIETE D’ETAT A CARACTERE STRATEGIQUE

Avantage : Regard bienveillant au sommet de l’Etat par la Présidence à l’image de la SONABEL, SONABHY, ONEA. Tant que l’Etat n’est pas en faillite, la CAMEG ne sera pas en faillite. Les travailleurs sont protégés ainsi que leurs droits acquis. Les fournisseurs traditionnels sont rassurés, car l’Etat est toujours solvable, une comptabilité privée plus réactive et flexible. 80 % des coûts de santé donc de l’Assurance Maladie Universelle est maitrisée par l’Etat pour une bonne régulation. L’Exécutif assume et rendra compte des ruptures et de la qualité des médicaments à la population. L’AMU sera plus encadré. Un des axes du PNDES qui consiste à mettre en place une unité de production de génériques pourrait s’appuyer sur la logistique de la CAMEG pour un approvisionnement optimum des médicaments aux populations. Une mutualisation de la fabrication des médicaments de la CEDEAO pourrait utiliser la CAMEG comme relai d’approvisionnement des autres pays. La CAMEG pourrait financer une Agence nationale de sécurisations du médicament pour l’outiller dans le contrôle approfondi et indépendant des médicaments vaccins et autres produits de santé.

Inconvénient : quelques PTF pourront s’y opposer, certains partenaires s’inquièteront, cela implique que l’Etat continue à travailler avec les partenaires traditionnelles pour mettre ensemble un plan d’apurement de la dette. Les fournisseurs ont toujours une peur bleue d’avoir affaire à l’Etat comme adversaire juridique l’Etat ne pouvant pas être contraint à s’exécuter, ils doivent être rassurés. Aussi nous pourrions être accusés de nationaliser la structure d’approvisionnement du médicament dans un contexte d’économie du marché. Cependant, il faut noter que la protection du marché du médicament pour chaque pays est possible selon les dispositions du droit communautaire il faudrait juste s’y aligner en respectant ses textes pour ouvrir le pourcentage autorisé aux structures privées. Enfin l’on ne pourrait pas faire l’économie de la discussion avec l’ordre des pharmaciens et les syndicats pour permettre de viabiliser les pharmacies privées.

Il faut déjà se satisfaire du respect des textes par l’exécutif en nommant ses administrateurs pour 2ans au lieu de 3 ans comme cela se faisait depuis 2000. Cependant, il faut aller au-delà de ce conformisme en posant des actions drastiques pour résoudre définitivement le problème de la CAMEG. Il est impératif de revoir la forme juridique de la CAMEG pour éviter qu’un groupe s’en approprie et d’en faire toujours une vache à lait sous le dos du contribuable et au risque de mettre en péril la gratuité et surtout l’Assurance Maladie Universelle. Le médicament est très stratégique pour un Etat pour être dévolu aux humeurs de 11 administrateurs. Nous espérons par ce modique apport enrichir le débat démocratique, nous avons la ferme conviction que c’est à travers le débat public que certaines choses pourront changer.

Un citoyen, professionnel de la santé
Mail : dr.rakiswende@gmail.com

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