LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie, la « Glorieuse Révolution », les « futilités des jours ordinaires », les « tempêtes fabriquées »…

Publié le mercredi 27 août 2014 à 20h51min

PARTAGER :                          
Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie, la « Glorieuse Révolution », les « futilités des jours ordinaires », les « tempêtes fabriquées »…

L’Algérie va commémorer dans à peine plus de deux mois, le 1er novembre 1954, le soixantième anniversaire de sa guerre de libération. A la veille de cet événement majeur, le président Abdelaziz Bouteflika a saisi l’occasion de la Journée nationale du Moudjahid (20 août) pour faire lire un important message sur la « Glorieuse Révolution » qui a été l’occasion de fixer les grandes lignes de la politique extérieure de la République algérienne.

Un message lu, une fois encore, par le conseiller à la présidence qui est, depuis les problèmes récurrents de santé du chef de l’Etat algérien, le lecteur attitré des messages présidentiels. Ce lecteur n’est autre que Mohamed Ali Boughazi, ancien ministre, « islamiste modéré », et « très proche » de « Boutef » (on l’annonce régulièrement au poste de premier ministre ou de président de l’Assemblée nationale). Ce message présidentiel s’inscrit dans un cadre particulier : « processus d’Alger » en vue de solutionner la crise au Nord-Mali ; tensions diplomatiques avec Rabat ; préoccupations concernant l’ancrage des organisations terroristes à la frontière de l’Algérie et de la Tunisie ; délitement de la situation sécuritaire en Libye et risques majeurs d’attentats (y compris avec des aéronefs façon 11-septembre) ; montée en puissance au Moyen-Orient mais aussi en Afrique des groupes islamiques fanatiques dans la nébuleuse de EIIL, nouvelle étoile du terrorisme…

C’est donc d’abord à une leçon d’histoire que nous a convié « Boutef ». Enfin, plus exactement, à la manière des bureaucraties staliniennes, à une réécriture de l’Histoire. La Journée nationale du Moudjahid célèbre deux événements majeurs qui se sont déroulés les 20 août 1955 et 1956. Le 20 août 1955, c’est l’attaque de Philippeville (aujourd’hui Skikda) par les moudjahid de Zighoud Youcef. Jusqu’alors, la rébellion s’était cantonnée aux maquis de Kabylie et des Aurès. Youcef veut l’étendre aux centres urbains. Première cible : Philippeville : 123 morts et une répression qui en fera largement dix fois plus. Youcef était une figure majeure de la rébellion dans le Nord-Constantinois : ancien du PPA puis du MTLD, il appartenait à l’OS, l’Organisation spéciale, sera arrêté en 1950 et s’évadera en avril 1954, avant la « Toussaint rouge ». Il va participer aux combats avec Didouche Mourad le 1er novembre 1954, sera de la bataille d’Oued Boukerker le 18 janvier 1955 (où Mourad va être tué). Lors du congrès de la Soummam, le 20 août 1956 (autre événement célébré par la Journée nationale du Moudjahid), congrès fondateur, il devient membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et sera promu colonel de l’Armée de libération nationale (ALN), commandant de la Wilaya II (Constantinois). Il sera tué, à l’âge de 35 ans, le 25 septembre 1956.

« Boutef » célèbre aujourd’hui Youcef. Mais ce que l’on appellera le « massacre de Philippeville », qu’il présente désormais comme l’expression des « capacités de la Révolution », avait été condamné, en son temps, par une large partie de la direction du FLN. Quant au congrès de la Soummam, le 20 août 1956, Bouteflika rappelle qu’il a institutionnalisé le FLN comme « unique et légitime représentant de la glorieuse Révolution », ce qui n’était pas du goût de tout le monde au sein de la rébellion algérienne et plus encore des partis et groupuscules réclamant l’indépendance. Mais ce rappel historique, près de soixante ans après les événements, vise d’abord à opposer la « Révolution algérienne » à ces « tempêtes fabriquées » qu’ont été, pour « Boutef », les « printemps arabes ».

« Boutef » nous dit encore que les 20 août 1955 et 1956 ont été « le fruit d’un travail de réflexion inscrit dans un processus aux contours clairs et établis qui dénotait d’une logique implacable aux conséquences probantes ». La « Révolution algérienne » a été un « projet […] sous tendu par la réalisation d’un objectif noble découlant d’une pensée créative et animé d’une conviction inébranlable ». Rien à voir, donc, avec ces « tempêtes fabriquées » qu’auraient été les « printemps arabes » et sur lesquelles surferaient les islamistes fanatiques dès lors que « certains laboratoires et certains malveillants […] veulent faire [de l’islam] une religion de violence, de discorde et de fanatisme » alors que l’islam doit être le « ciment de l’édification des sociétés ».

Ce qui étonne dans le message de Bouteflika au sujet du 20-août, c’est l’hommage au Maroc et à Mohammed V. « Le choix de l’offensive du 20 août 1955, dit-il aujourd’hui, portait en lui une expression de solidarité particulière avec le peuple marocain frère à l’occasion du deuxième anniversaire de l’exil du roi moudjahid Mohammed V, Dieu puisse lui accorder sa miséricorde ». Il ajoute que l’offensive de l’ALN à Philippeville a permis à Paris de trouver une solution politique à la question marocaine et le retour d’exil de Mohammed V et de sa famille. Le 20-août est donc, nous dit « Boutef », « une date commune aux deux peuples » qui ont une « communauté de destin en toutes circonstances et nous appelle à ne pas faire cas des futilités des jours ordinaires ». Ces « futilités » seraient-elles ces accrochages diplomatiques incessants entre Rabat et Alger ? Cet hommage à Mohammed V et au « peuple marocain frère » annonce-t-il un changement de ligne diplomatique concernant la question du « Sahara occidental » ?
Qu’est-ce qui pourrait justifier une telle évolution ? C’est que la « stabilité de l’Algérie » est confrontée à un « fond d’agitation régionale et géostratégique » qui résulte d’un « manque d’attachement aux valeurs d’unité, de souveraineté et de sécurité et une mauvaise appréciation des embûches posées par les semeurs de discordes pour diviser les sociétés en vue de les dominer ». Parce que son pays a connu les « affres du terrorisme », il souligne : « Nous avons aussi opté pour le dialogue et la politique de bon voisinage avec tout le monde sans l’immixtion dans les affaires internes des Etats. L’Algérie continuera ses démarches pour arrêter l’hégémonie, l’effusion de sang et le démantèlement des régimes car la stabilité et la sécurité de notre pays sont tributaires de la stabilité du voisinage, du développement et de la prospérité ».

La Journée nationale du Moudjahid a été célébrée cette année avec un retentissement particulier. Tandis que le premier ministre, Abdelmalek Sellal, affirmait à Toulon, à l’occasion de la commémoration du 70è anniversaire du débarquement de Provence, qu’une « page inédite entre Paris et Alger » venait d’être écrite, Ramtane Lamamra, ministre algérien des Affaires étrangères, se préparait à rendre hommage, le 20 août 2014, aux « martyrs de la Révolution » tombés après « 132 ans de colonialisme ». La presse algérienne évoque « la main tendue de l’Algérie » à la France tout en soulignant que, compte tenu des concessions d’Alger vis-à-vis de Paris, « la balle n’est désormais plus dans le camp des Algériens ».

Faut-il s’étonner de cette volonté d’Alger d’être reconnu par la « communauté internationale » (qui n’est jamais qu’une communauté « occidentale ») ? Sûrement pas. Alger est mort de trouille depuis que l’EIIL fait la « une » de la presse mondiale. Abi Abdallah Othmane El Assimi, cadi d’AQMI pour la région « Centre » de l’Algérie (Kabylie), là où serait terré Abdelmalek Droukdel, émir d’AQMI, a diffusé le 26 juin 2014 une vidéo présentant les combattants de l’EIIL comme « les plus pieux, les plus éloignés des Kharijirtes [déviants]. Ils sont sur une voie juste qui n’est pas celle du compromis. Ils ne craignent pas ce que disent les uns et les autres. C’est une voie où la parole d’Allah est supérieure à tout, une voie qui a appliqué la charia […] et qui refuse les frontières imposées tracées par les tyrans. Au contraire, ils reconstruisent la carte du califat sur la voie du prophète ». « Reconstruction » qui préoccupe Alger à tel point que le régime accepterait désormais des accords avec des groupes islamiques dont il est avéré qu’ils ont mené des actions terroristes, y compris sur le territoire algérien. En la matière, Alger sait qu’on ne peut pas courir plusieurs lièvres à la fois, et celui qu’Alger veut voir abattre est bien celui qui porte les couleurs du fanatisme islamique : EIIL. C’est, aujourd’hui, le plus dangereux !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique