LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Lassina Bonkoungou (technicien à Malabo) : « Sur l’île, des compatriotes rament tels des galériens »

Publié le vendredi 3 février 2012 à 01h09min

PARTAGER :                          

Originaire de Latodin, dans la province du Passoré, Lassina Bonkoungou est à Malabo depuis huit mois où il exerce dans une entreprise de la place dans la transmission en communication. En si peu de temps, il a réussi à s’intégrer et se débrouille même en espagnol. Selon lui, la rue est la meilleure école pour apprendre cette langue. Depuis son arrivée dans la capitale équato-guinéenne, il a fait connaissance avec beaucoup de ses compatriotes et affirme que nombre d’entre eux, sur cette île pourtant riche, rament tels des galériens.

Comment t’es-tu retrouvé à Malabo ?

• Je me suis retrouvé à Malabo par l’intermédiaire d’un ami qui fait le même travail que moi dans la transmission en communication.

Cet ami est de quelle nationalité ?

• Il est Burkinabè comme moi.

Dans quelle entreprise travailles-tu ?

• Je préfère ne pas donner le nom de cette société parce que j’interviens aussi chez nos concurrents. Je suis dans la télécommunication et je travaille sur les pylônes. J’interviens aussi dans le montage des antennes paraboliques à une certaine hauteur, c’est-à-dire la transmission d’une localité à une autre.
J’ai le niveau de la terminale, mais je n’ai pas fait d’école de télécommunication. J’ai appris sur le tas et j’ai eu la chance d’apprendre ce métier avec un directeur technique qui est employé dans une société à Ouaga. C’est avec lui que j’ai eu des notions et je me considère un peu comme un technicien autodidacte.

Depuis quand es-tu en Guinée-Equatoriale ?

• Cela fait exactement huit mois que je suis dans ce pays.

Par quel moyen es-tu arrivé à Malabo ?

• C’est de Ouaga que je suis venu en Guinée-Equatoriale en passant par Douala au Cameroun. J’avais des papiers qui me permettaient de venir ici sans visa.

Dans ce cas, on peut considérer que tu es un privilégié.

• Ah non ! Je ne suis pas vraiment privilégié et je ne connaissais pas la Guinée Equatoriale auparavant. Je suis un simple citoyen qu’un ami a aidé à venir faire quelque chose de précis. En fait, j’avais une autorisation d’entrer dans le territoire équato-guinéen avant de faire mon visa.

On imagine donc qu’à l’aéroport tu n’as pas eu de difficulté.

• Je n’ai rencontré aucun problème pendant les formalités de Police. A mon arrivée, le Protocole de la société m’attendait et tout s’est bien passé.

Depuis huit mois que tu es là, tu n’as pas été inquiété une fois par la Police qui fait du racket ?

• Personnellement, le travail que je fais ne me permet pas d’aller dans certains milieux. Je sais que des Burkinabè rencontrent des difficultés concernant les papiers, mais moi mes fréquentations restent dans un espace restreint.

Il t’arrive quand même de rencontrer des Burkinabè ?

• J’ai rencontré des compatriotes de n’importe quelle couche sociale et nous échangeons beaucoup. Je ne manque pas souvent de leur demander par quel canal ils ont pu arriver ici. J’en avais entendu parler et j’étais curieux de savoir tout cela.

Et qu’est-ce que les uns et les autres t’ont dit ?

• J’ai appris que certains passent par Cotonou au Bénin et d’autres par le Nigeria ou le Cameroun par bateau. Les passeurs prennent beaucoup d’argent et il y a aussi le risque de se faire escroquer.

Parles-tu l’espagnol ?

• Quand je quittais Ouaga, je n’avais aucune notion sur cette langue. Aujourd’hui, je me débrouille à force de côtoyer les gens.
L’espagnol est proche du français et il suffit de prendre son temps pour écouter et répondre par les terminaisons. C’est dans la rue que j’apprends et c’est la meilleure école (rires).

Revenons aux Burkinabè dont tu as fait la connaissance là-bas . Selon toi, sont-ils intégrés dans ce pays réputé difficile ?

• Ils ne sont pas totalement intégrés et les difficultés sont réelles. Beaucoup rament vraiment comme des galériens. J’ai vu certains qui sont arrivés récemment, et quand tu les vois (je m’excuse d’employer le mot), tu les prendrais pour des fous.
C’est après qu’ils se remettent de leur fatigue avant de commencer à chercher du travail. A Malabo, la plupart de nos compatriotes ne parlent pas le français et, pire, ils n’ont appris aucun métier avant de venir ici. C’est ce qui fait la différence avec les autres et le problème est général.

A qui fais-tu allusion quand tu parles des autres ?

• Je veux parler des Ivoiriens qui sont bien intégrés, respectés et même organisés. Il y a une grande société où ils sont presque tous des chauffeurs, et ils font la navette entre leur lieu de travail et le port pour charger des marchandises. Ils sont tous en règle et en plus de cela, on leur accorde même des congés. Il n’y a qu’un seul Burkinabè qui est conducteur de remorque dans cette même entreprise.

A part celui dont tu parles, les autres sont dans quel secteur d’activité ?

• J’ai beaucoup voyagé et partout où j’ai rencontré des compatriotes, le même problème se pose. C’est difficile dans ces conditions d’évoluer.
A Malabo, ce que font la plupart de nos compatriotes n’intéresse pas les Equato-guinéens. Ici, quand tu vois des gens en train de creuser des trous, ce sont des Burkinabè et des Maliens. Ils sont tous des contractuels recrutés par des entreprises chinoises qui les paient mal. Avec elles, il faut beaucoup travailler pour être pointé.

Ceux qui font ce travail ici ne sont pas bien rémunérés ?

• Certains s’en sortent et je pense qu’ils n’ont pas tous le même objectif. La plupart sont juste ici pour gagner quelque chose avec l’objectif d’aller construire une maisonnette dans leur village avec l’aide de leurs frères. Je ne crois pas qu’ils aient l’ambition de payer une parcelle à Ouaga. Ce qui leur tient surtout à cœur, c’est d’avoir de l’argent pour les tôles. En un mot, c’est le minimum qui les intéresse et si au retour ils ont pu s’acheter une moto et avoir une femme, c’est déjà suffisant (rires). Je les comprends, et c’est pourquoi je dis que chacun d’eux a un but bien précis.

Pourtant, la Guinée-Equatoriale est perçue comme un pays où il y a du travail et où on peut gagner beaucoup d’argent afin de donner un autre sens à sa vie. La réalité est tout autre ?

• C’est une mauvaise information qui fait croire que ce pays a besoin de main-d’œuvre.
La Guinée-Equatoriale est en construction grâce à son pétrole qui lui procure des ressources. Mais cela ne se limite pas aux bâtiments. La qualification professionnelle et le travail intellectuel sont des atouts importants. Ici avec un permis de conduire, on peut gagner décemment sa vie. Or, des Burkinabè n’ont même pas le permis à plus forte raison un bon niveau d’instruction pour faire autre chose.
Je crois qu’il faut sensibiliser nos compatriotes pour qu’ils comprennent que l’aventure se prépare quand on a un métier. Tout le monde n’est pas obligé d’aller à l’école, mais chacun doit apprendre un métier qui lui sera utile plus tard. Si ceux qui creusent les trous avaient une qualification dans un domaine, leur situation serait meilleure.

Quelqu’un qui a un permis de conduire et qui travaille dans une entreprise peut gagner combien par mois ?

• Un conducteur peut gagner 250 000 FCFA comme salaire de base et avec les heures supplémentaires, il peut se retrouver avec 400 000 FCFA par mois.
Un cadre, par contre, a un autre statut et gagne naturellement plus.

Vu la cherté de la vie dans ce pays, peut-on par exemple tenir jusqu’à la fin du mois avec un salaire de 400 000 FCFA ?

• La plupart des produits que vous voyez sur le marché sont importés et on trouve de tout ici. Par rapport à votre question, je pense que c’est un sacrifice qu’il faut faire. Si on est bien organisé dans ces dépenses, on peut faire des économies.
A Ouaga, le Nescafé qu’on prend dans les kiosques coûte 75 FCFA alors qu’à Malabo, c’est 500 FCFA. Je crois qu’on peut se priver de certaines choses si on sait d’où l’on vient. A Malabo, pour certains, 400 000 FCFA c’est comme de l’argent de poche pour le week-end et ce n’est pas un salaire. Mais à Ouaga, dans certaines couches sociales, c’est une fortune et je ne vous l’apprends pas. Chez nous, quelqu’un qui a un salaire de 400 000 FCFA par mois vit mieux que celui qui a cette somme ici.

Dans la société où tu travailles, est-ce que ça va ?

• (Silence…). J’arrive à gagner ma vie et il m’arrive même de travailler encore plus. J’ai un contrat à durée indéterminée et si je trouve mieux, peut-être que cela me permettrait d’avancer.
Pour le moment, je ne me plains pas à Malabo et le conseil que j’ai à donner à ceux qui veulent venir ici, c’est de connaître un métier.

Entretien réalisé par Justin Daboné à Malabo


Lettre de Malabo : Ce n’est plus comme les premiers jours

Les jours qui se sont écoulés, il y a eu le départ des supporters Burkinabè et angolais de Malabo. L’île, du coup, est devenue un lieu à l’atmosphère morose. Aujourd’hui, il ne reste plus que les Orange venus des bords de la lagune Ebrié et une poignée de journalistes. Nous faisons partie de ceux-là, et des confrères ivoiriens ne comprennent pas notre présence ici alors que notre équipe ne compétit plus.

Comme d’autres personnes, je suis sur le départ et j’ai un pincement au cœur : pas parce que je rentre au pays, mais c’est du fait que je vais quitter l’île, que j’ai commencé à aimer.
De toutes les villes que j’ai eu à visiter, Malabo a fait un effet sur moi comme Blantyre il y a trois ans. C’est vrai qu’ici la vie est plus chère que dans la dernière ville citée, mais je trouve quand même que Malabo est une cité calme, paisible où, dès le lever du jour, chacun vaque tranquillement à ses occupations.
Quand j’observe les Equato-Guinéens, je les trouve sympathiques hormis ceux qui appartiennent à la police. Les étrangers en savent quelque chose, et ce n’est pas pour rien qu’ils en ont une peur bleue.

Dans quelques jours, je partirai de Malabo avec le sentiment d’avoir passé de bons moments à l’occasion des matches qui se sont déroulés à l’Estadio. Aujourd’hui, l’ambiance des premiers jours a baissé avec le départ des supporters burkinabè et des Angolais. Ils ont animé à leur façon la ville durant quelques semaines à tel point que cela a impressionné les Equato-Guinéens. C’est la première fois de leur histoire que leur pays organise la CAN (avec le Gabon) et ils ne s’imaginaient pas que l’événement attirerait autant de monde sur l’île.

Beaucoup d’entre eux ont fait de bonnes affaires grâce au ballon rond. Chaque soir, les bars et autres lieux de distraction ne désemplissaient pas. Le poisson braisé accompagné de plantain était le plus prisé. A un moment, on a oublié que tout était cher et qu’il fallait faire avec et s’adapter aux circonstances. L’argent est fait pour être dépensé, et quand on est hors de son pays, il faut s’accommoder à de nouvelles conditions d’existence.

Sur l’île, il ne reste plus que les supporters ivoiriens et une poignée de journalistes. Quand ils apprennent que vous êtes Burkinabè, ils sont un peu tristes de voir que les Etalons ne sont plus dans la course. Certains nous ont dit qu’ils avaient souhaité que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso soient ensemble au second tour. « Nous sommes des voisins et des liens nous unissent depuis un temps immémorial. Les Etalons, de mon point de vue, manquent d’expérience à ce niveau de la compétition. Sans vous cacher, c’est l’équipe qu’on redoutait dans notre groupe parce qu’elle nous a toujours créé des problèmes », explique un confrère. Mais d’autres se montrent taquins avec nous, et sont surpris de nous voir encore à Malabo alors que notre équipe ne joue plus. Ah, avec ces Ivoiriens, il faut s’attendre vraiment à tout, même s’ils savent s’amuser.

Pendant que l’île s’est vidée d’une partie de ces étrangers, il se trouve effectivement que je suis encore là comme chez moi. Mais ce ne sera pas pour longtemps, puisque je compte suivre le quart de finale qui opposera la Côte d’Ivoire à la Guinée-Equatoriale demain samedi 4 janvier 2012 à l’Estadio. Depuis le mercredi dernier, une grande effervescence règne dans la ville, et c’est certain qu’on jouera à guichets fermés. Je présume que les supporters Orange seront noyés dans les tribunes à moins que Drogba et ses coéquipiers marquent le premier but pour faire taire les tambours des inconditionnels du Nzalang nacional.

Au moment où j’écris ces lignes, il n’y a plus de billet en vente, et tout le monde attend de prendre d’assaut les gradins. Comme cela se fait chez nous, depuis trois jours, on a distribué les tickets dans tous les coins de Malabo. Mais des étrangers que nous avons rencontrés disent ne pas être concernés par cette affaire. Ils ont plutôt des appréhensions si l’équipe subit un revers de fortune. Pour eux, ils pourraient être victimes d’un racket, c’est ce qui les préoccupe plus qu’autre chose.

A voir les taxis et autres véhicules aux couleurs nationales, on sent que les Equato-Guinéens sont certains que leur équipe frappera un grand coup. Pour une formation qui ne se voyait pas à ce niveau de l’épreuve, on se surprend à pousser loin le rêve. Le Nzalang a déjà atteint son objectif, et même s’il échouait aux portes des demi-finales, on ne lui en tiendrait pas rigueur. La pression est donc dans le camp des Eléphants, l’un des favoris pour la succession des Pharaons d’Egypte.

Maintenant, on ne sait pas ce que l’un des fils du président Nguema Obiang a promis aux joueurs en cas de victoire. Mais une chose est certaine, d’autres promesses ne manqueront pas, et le Nzalang livrera encore bataille jusqu’au bout.
Après ce quart de finale, je projette de faire une excursion à Libreville où se jouera la finale le 12 février 2012. Ce sera la première fois (s’il plaît à Dieu), dans ma carrière, que j’assisterai à une finale de la CAN. Quand on vit la coupe d’Afrique des nations jusqu’à la fin, elle reste gravée dans votre souvenir.

Dans quelques jours donc, malgré mon état grippal, je serai à Libreville que j’ai vu de passage lors du déplacement des Etalons à Bitam pour leur match amical contre les Panthères du Gabon. Une autre ville que je vais découvrir comme Malabo. On dit que là-bas aussi la vie est chère comme sur l’île, mais celui qui a résisté à l’adversité sait comment s’y prendre.
En attendant de partir, quand je ne suis pas à ma table de travail, je passe un peu mon temps à me promener.

Il a plu des cordes le 30 janvier dernier toute la nuit, et je ne l’ai su que par les volets. Le temps avait fraîchit. Le lendemain, il est devenu subitement lourd dans cette région tropicale, comme si la veille la pluie n’était pas tombée. On a le corps moite après une longue course. Quand j’ai rejoint l’appartement que les jeunes gens connaissent, j’ai commencé à ranger mes effets. Mon départ approche et comme on dit, partir, c’est mourir un peu .

Justin Daboné

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique