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Côte d’Ivoire 2011 : Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur : itinéraire d’un enfant gâté (1/2)

Publié le jeudi 8 septembre 2011 à 13h25min

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Le communiqué du dernier conseil des ministres de Côte d’Ivoire est sans ambiguïté : « Le Premier ministre a dit sa grande préoccupation concernant la résurgence du racket, de la corruption et de l’insécurité, qui empoisonnent l’environnement des affaires et le quotidien de nos concitoyens, et fragilise l’équilibre social. Il a demandé que des mesures vigoureuses soient prises pour traquer et sanctionner les personnes en délicatesse avec les règles de bonne gouvernance prises par le gouvernement ».

Au lendemain de « l’affaire Charaux-Lafont » - et alors qu’une « affaire IB » se profile à l’horizon - cette dénonciation d’une « résurgence » des maux qui minent la Côte d’Ivoire peut être perçue comme une pierre dans le jardin du ministre de l’Intérieur, tout juste rentré de Paris. Et qui, sur France 24, titillé sur les questions qui dérangent revendiquait « un retour à la normalité [qui] se passe très bien », sans omettre de rappeler que, selon lui, « les gens veulent créer des contradictions inutiles. En fait, on voit venir, a-t-il ajouté. On veut créer des contradictions pour que le président Ouattara soit obligé, dans la précipitation, de prendre des sanctions contre ceux qui l’on soutenu afin de créer des contradictions en interne ». « Ambiance délétère » aurait commenté Alassane D. Ouattara si nous étions encore au lendemain de la mort du président Félix Houphouët-Boigny. Mais 18 ans plus tard, la situation n’est pas la même : la Côte d’Ivoire, en état de mort clinique, doit faire taire les états d’âme des uns et des autres si elle veut retrouver la forme. C’est la raison d’être de l’alliance politico-gouvernementale entre Henri Konan Bédié et ADO et de la nécessaire « temporisation » avec Guillaume Soro, interlocuteur incontournable pour déminer le terrain toujours occupé par les Forces Nouvelles (FN) dans le Nord du pays.

C’est dire que la tâche du ministre de l’Intérieur n’est pas des plus faciles. Et que si ADO a confié ce job à Hamed Bakayoko, c’est qu’il était certain de sa fidélité, quelles que soient les circonstances. La hiérarchie gouvernementale traduit d’ailleurs les priorités du chef de l’Etat et sa prise en compte des rapports politiques. Le portefeuille de la Défense est entre les mains du premier ministre, Soro, leader des FN ; celui de la Justice a été confié à maître Jeannot Kouadio Ahoussou, l’homme qui a permis à Bédié de figurer encore - et au premier rang - sur la scène politique ivoirienne douze ans après sa destitution ; Bakayoko - « Hambak » - arrive en troisième position avec le titre de ministre d’Etat à l’instar de Ahoussou (et de trois autres ministres : Affaires étrangères ; Emploi, Affaires sociales et Solidarité ; Plan et Développement).

Certes, on n’attendait pas Bakayoko dans cette fonction dont l’austérité correspond mal à sa préoccupation (affichée sur son site) d’être « un people en phase avec son époque », mais ce serait oublier la part de « relations internationales » qui incombe à ce ministère dans le contexte qui est celui de la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Mais aussi la maîtrise qui est celle de « Hambak » de l’histoire des Ouattara (il est également très proche de l’épouse du président de la République) et des multiples péripéties qui ont marqué son parcours depuis son accession, au début de la décennie 1990, au poste de premier ministre sous le règne de Houphouët-Boigny.

L’histoire de Bakayoko, c’est celle d’une réussite rapide, très rapide. Qui ne doit pas grand-chose à ses pérégrinations universitaires. Bac série D en poche décroché au Collège Notre-Dame d’Abidjan en 1984, c’est vers l’Université de Ouagadougou qu’il se dirige. Il y restera jusqu’en 1988 avant de revenir en Côte d’Ivoire pour s’inscrire en faculté de… médecine. Peu de temps. Il est « houphouëtiste », proche de Balla Keïta, alors tout puissant ministre de l’Education nationale, et va vivre avec lui les journées qui, au lendemain de la nuit dramatique du 19-20 février 1990 (répression des manifestations étudiantes à « Yop-City »), vont marquer l’entrée de la Côte d’Ivoire dans une crise dont les effets perdurent aujourd’hui. Keïta perdra son job le 28 février 1990 (il sera alors nommé ministre délégué à la présidence) tandis que Bakayoko, dont l’entregent était déjà avéré, va surfer sur les années Ouattara (le 18 avril 1990, ADO a été nommé président du « Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance économique »).

Dans Jeune Afrique, c’est Bakayoko qui signera le papier sur le mariage, le 24 août 1991, de Alassane Ouattara et de Dominique Follereau :« On ne peut que se réjouir de cette union, écrivait-il. Car un profond amour tisse les liens entre les futurs époux. Nul doute que l’esprit innovateur et créateur de Mme Folloroux saura apporter un plus au Premier ministre dans sa lourde tâche ». Ce n’est manifestement pas du journalisme mais c’est, indéniablement, de la communication « people ».

Dès 1991, Bakayoko est en position de créer un journal : Le Patriote, dont il sera le directeur de la publication. Il a 27 ans. L’année suivante, en 1992, il est candidat à l’attribution des fréquences radio. Avec 20 % des parts du capital, il se retrouve PDG de Radio Nostalgie Internationale, propriété de la Société radio nostalgie Côte d’Ivoire (Sorano-CI), filiale de Radio Monte Carlo (groupe Sofirad), et dispose d’un financement initial de 130 millions de francs CFA. Il fera partie des cinq candidats retenus et débutera ses émissions au printemps 1993.

Six mois plus tard, le « Vieux » meurt, ADO démissionne de la primature et Bédié s’installe à la présidence. Houphouët-Boigny enterré, Bakayoko sera dans le collimateur du pouvoir. Bédié et ADO s’affrontent ; plus encore dès lors que l’ex-premier ministre est de retour à Abidjan le samedi 22 janvier 1994. Le 19 janvier 1994, Yacouba Kébé, rédacteur en chef de Fraternité-Matin, et Ally Coulibaly (actuel conseiller diplomatique de ADO et ambassadeur à Paris), directeur de la première chaîne de télévision, ont été virés en conseil des ministres :
Bakayoko, patron d’un quotidien et d’une radio, dérange nécessairement.

Le jeudi 24 février 1994, il va être condamné à douze mois de prison et 200.000 francs CFA d’amende (+ trois mois d’interdiction de paraître pour Le Patriote) pour avoir publié, dans son édition du 25 janvier 1994, une « Lettre de Kong aux sœurs et frères ivoiriens » qui sera perçue comme une offense au chef de l’Etat. Tandis que la presse d’opposition (guère ménagée pourtant par Le Patriote quand ADO était premier ministre) dénonce « le début du processus de bâillonnement de la presse », l’AFP, dans son édition du 25 février 1994, écrira : « Longtemps thuriféraire notoire du régime, M. Bakayoko a, depuis l’accession de M. Bédié au pouvoir, pris parti pour l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, rival politique du nouveau chef de l’Etat ».
Didier Gouzien, le directeur du réseau international de Nostalgie, se
rend aussitôt à la MACA, la maison d’arrêt d’Abidjan, pour signifier à Bakayoko qu’il est, dans l’obligation, de le relever de ses fonctions de PDG de Radio Nostalgie tout en affirmant « ouvertement que sans le dynamisme de Ahmed Bakayoko et de Yves Zogbo Junior [directeur des programmes], cette radio n’existerait pas aujourd’hui en Côte d’Ivoire ».

En 2000, quand Bédié sera tombé, Bakayoko sera nommé PDG de Radio Nostalgie Afrique. Et c’est l’accession au pouvoir de Laurent Gbagbo qui va projeter l’homme d’affaires dans la sphère politique officielle. A la suite des accords de Marcoussis, qui font suite aux événements du 18-19 septembre 2002, il entre au gouvernement comme ministre des Nouvelles technologies de l’information et des Télécommunications en Côte d’Ivoire. Une page est tournée.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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